L’exposition Face-à-Face propose un dialogue inédit entre deux collections, celle du Mudam et celle du Saarlandmuseum. Ou comment modernes et contemporains parlent la même langue

Dialogues et histoire de l’art

d'Lëtzebuerger Land du 04.11.2022

Ceux qui revendiquent le M de Mudam pour « moderne » vont être satisfaits : Fernand Léger, Henri Matisse, Max Ernst, Otto Dix, Hans Bellmer, Auguste Rodin ou Giorgio de Chirico sont exposés au Kirchberg. Le musée dédié à l’art contemporain n’a pas viré sa cuti : il accueille des œuvres de la collection de la Moderne Galerie du Saarlandmuseum pour l’exposition Face-à-Face. Qualifié « d’ambitieux projet transfrontalier », il s’agit d’une double exposition qui puise dans les collections des deux institutions. Le Saarlandmuseum se présente à Luxembourg avec trente œuvres de sa collection d’art moderne classique, les avant-gardes en Allemagne et en France tandis que le Mudam a prêté des œuvres plutôt spatiales (vidéos, installations, peintures), internationales à la voisine sarroise (Eija-Liisa Ahtila, Martha Atienza, Burt Barr, David Altmejd, Kara Walker, Fernando Sánchez Castillo, Lorna Simpson et Su-Mei Tse).

Comme Marie-Noëlle Farcy, curatrice au Mudam l’explique, « le point de départ était de créer une analogie entre les œuvres d’art, de vraiment mélanger, de ne pas avoir l’art moderne d’un côté et le contemporain de l’autre ». L’exposition au Kirchberg établit des résonances entre les œuvres qui comptent parfois presque un siècle d’écart. Dans une séparation un peu simpliste, une salle d’exposition (aile ouest) est consacrée au corps et à ses mouvements, tandis que l’autre (aile est) s’intéresse plutôt à la matière, à la nature et à ses métamorphoses. Les rapports entre les œuvres sont généralement formels, visuels, comme dans ce rapprochement saisissant entre les verts d’Helmut Federle (Untitled (September), 1996) et de Giorgio de Chirico (Mélancolie, 1955-56) ou les volumes en cartons découpés de Tobias Putrih (Macula Serie B (no.9), 2006-2007) et la toile de Max Ernst où des corps ont pris des formes végétales (Ils sont restés trop longtemps dans la forêt, 1927). Plus subtil, le coin de miroir sur lequel Jimmy Paulette s’appuie dans la photo de Nana Goldin (1991) renvoie au Konstruktionen (1923) de László Moholy-Nagy.

Mais, passé le jeu de l’analogie, on s’amuse de passerelles insoupçonnées entre les lithographies Les Formes vivantes (1963) d’Alexander Archipenko et les maquettes architecturales de François Roche (I’ve Heard About, Generic City, 2005) : la fidélité de la représentation importe peu, c’est la dynamique des formes qui prend le pas. On poursuit le dialogue entre Nedko Solakov et George Grosz, dans un même trait noir et satirique. La petite bourgeoise allemande hypocrite en pleine Première Guerre mondiale (Kleine Grosz Mappe, 1917), trouvant écho 70 ans plus tard dans les errements des décideurs politiques bulgares durant l’ère communiste (Historical Decision, 1987). On se surprend aussi à ne pas forcément distinguer une collection de l’autre. Ainsi, la Stèle de réflecteurs (1966-1968) d’Heinz Mack aurait pu appartenir à la collection du Mudam. Face-à-Face est d’ailleurs une manière de découvrir encore cette collection que la directrice Suzanne Cotter s’est efforcée de rendre visible tout au long de son mandat.

L’exposition est aussi une manière de battre les idées reçues en brèche et de voir s’appliquer ce que le Mudam prône à peu près depuis son ouverture : l’art contemporain n’est pas inintelligible, ni fumiste. Il découle de cette histoire de l’art plus longue où le questionnement de l’artiste sur sa position et sur sa définition de l’art est constamment remise sur le métier. L’expérimentation, les innovations technologiques, le détachement par rapport au « faire », ne sont que la suite logique de cette chronologie. « L’histoire de l’art moderne peut être écrite. Il y a une chronologie, on peut identifier des pièces phares et des mouvements importants. L’art contemporain ne permet pas ce genre de lecture. Nous voulons permettre au visiteur de voir ce qu’était l’avant-garde au début du vingtième siècle », dit encore Marie-Noëlle Farcy. Si l’exposition n’a qu’un seul mérite, ce sera celui de montrer que modernes et contemporains sont très proches et suivent des fils similaires. Et c’est déjà pas mal.

France Clarinval
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