Un document à la saveur aigre-douce, mais rassurant quand même, si l’on tient compte du raout incroyable que le dossier de la fiscalité de l’épargne avait provoqué au printemps dernier, dans le sillage du scandale LGT entre le Liechtenstein et l’Allemagne. « Nous sommes nous-mêmes étonnés que ça ne soit pas pire », plaisante Jean-Jacques Rommes, le directeur de l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL), relevant que le rapport ne contient aucune invective contre le secret bancaire.
Car les opérateurs de la place financière de Luxembourg s’attendaient au pire. Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls à craindre les effets dévastateurs du premier rapport sur le fonctionnement de la directive de 2003 sur la fiscalité de l’épargne. Les autorités aussi redoutaient les coups que les principaux opposants aux juridictions pratiquant le secret bancaire, auraient pu lui porter. Le document publié lundi 15 septembre se révèle plutôt accommodant avec les pays qui ont choisi, afin de préserver le secret bancaire, de prélever une retenue à la source sur certains revenus de l’épargne. Rien à voir avec un brûlot jetant l’opprobre sur le système qui a réussi à cohabiter, dans l’Union et dans les pays tiers, avec l’échange d’informations, pratiqué par le gros des États membres de l’UE.
Pour rappel, la directive 2003/48/CE du 3 juin 2003 sur la fiscalité de l’épargne sous forme de paiement d’intérêt a instauré un mécanisme dual, qui a donné le choix aux 27 États membres et aux pays tiers entre l’échange d’information sur les dépôts des non-résidents ou le prélèvement d’une retenue à la source, initialement de 15 pour cent et qui ira progressivement à 35 pour cent (voir ci-contre). Ce fut le prix à payer pour tenter d’harmoniser la fiscalité de l’épargne et, implicitement, tenter de lutter contre l’évasion fiscale en Europe. Le Luxembourg, mais aussi hors UE, la Suisse, purent ainsi préserver le secret bancaire, l’Europe remettant à plus tard ses intentions d’y mettre un terme, au nom du bon fonctionnement du marché unique.
Le compromis de 2003 prévoyait un examen de passage après trois ans de fonctionnement de la directive avant d’en envisager la réforme. Le rapport a donc été présenté lundi dernier par la Commission européenne qui tire un bilan plutôt positif de la mise en œuvre du texte à en lire le préambule : « La directive s’est révélée efficace dans les limites de son champ d’application. Elle a également eu des résultats positifs indirects, non-mesurables, sur le respect par les contribuables de l’obligation qui leur incombe de déclarer les intérêts qu’ils perçoivent ».
La suite de la lecture du rapport est moins « bienveillante » pour les affaires et les intérêts de la place financière. Les experts de Bruxelles déplorent ainsi que le champ d’application de la directive, très limité dans la gamme des produits d’épargne, n’ait pas été « à la hauteur des ambitions exprimées unanimement dans les conclusions du Conseil des 26 et 27 novembre 2000 ». D’où les propositions de réforme présentées cette semaine par la Commission européenne qui portent sur des sujets aussi peu consensuels que la clarification du bénéficiaire économique, la définition de la notion d’agent payeur et le traitement des instruments financiers équivalents » à ceux qui sont déjà couverts par la directive de 2003. Ce point sera sans doute la principale épine du dossier. Bruxelles veut brasser large dans la gamme de produits financiers générant des intérêts et envisage même des « dispositions transitoires » pour inclure les profits tirés de certains contrats d’assurance-vie « non-classiques » qui sont commercialisés « comme produits alternatifs aux organismes de placement collectif ». Le rapport évoque en outre des intentions de réforme des OPCVM non-coordonnés, qui auraient droit au même traitement que les OPCVM disposant d’un passeport européen.
En s’attaquant à la notion de bénéficiaire économique, la Commission entend à l’avenir éviter que les contribuables se cachent derrière des structures sociétaires, quelles qu’elles soient (trust, fondations ou fonds d’investissement spécialisés, Soparfi, etc.), pour éluder les obligations de la directive sur la fiscalité de l’épargne et la contourner. « Des cas récents de fraude fiscale, précise le rapport en référence à l’affaire LGT, impliquant des pays tiers coopérant déjà avec l’Union européenne dans le domaine de la fiscalité de l’épargne, ont montré qu’une application incohérente de la notion d’agent payeur à la réception ouvre la porte à des abus et à des distorsions de concurrence ».
La liste des « améliorations possibles » sera soumise au Conseil des ministres des Finances et de l’Économie (Ecofin) fin octobre ou début novembre. D’ici là, le rapport n’a pas suscité de commentaires de la part des autorités luxembourgeoises. Interrogé cette semaine par le Land sur ce que le rapport lui inspirait, le Premier ministre Jean-Claude Juncker esquiva en assurant qu’il ne l’avait pas encore lu. Luc Frieden, le ministre CSV du Trésor et du Budget, habituellement si prolixe pour défendre le statu quo, n’a pas réagi à nos sollicitations et a laissé dire ar sa secrétaire qu’il n’avait pas encore trouvé le temps, lui non plus, d’en faire lecture pour pouvoir le commenter.
Les banquiers, eux, en ont avalé la moindre ligne dès la publication, lundi. Le rapport leur inspire un sentiment mitigé : ils sont d’une part rassurés que « la Commission n’ait pas tiré à boulet rouge sur le secret bancaire », dixit leur représentant Jean-Jacques Rommes, mais d’autre part « pas ravis » de certaines propositions, qui assimilent par exemple un peu « grossièrement » le bénéficiaire économique dans le cadre du blanchiment d’argent et le contribuable fiscal. « Cela dénote d’une incompréhension générale de ce qu’est un bénéficiaire économique en matière de blanchiment d’argent », relève le directeur de l’ABBL.
La Commission européenne n’aura probablement pas cure de ces réserves. Elle veut brasser large et en finir avec les « trous de souris » de la directive qui ouvrent des autoroutes de contournement aux riches contribuables européens. Bruxelles caresse le vœu de dresser une « liste positive » pour chaque État membre des catégories de personnes morales et de constructions juridiques, et de l’annexer à la directive révisée. Ses intentions portent aussi sur la définition « couvrant tous les titres équivalents de créance » pour garantir « l’efficacité de la directive dans un environnement changeant ». Son idée est d’intégrer dans le champ d’application de la directive « tout revenu provenant de titres assurant une protection totale ou quasi totale du capital et un rendement défini à l’avance ». Il y a de l’eau dans le gaz.