La « validation » des impôts allemands de 1944

La notion de « publication par référence » … sans référence

d'Lëtzebuerger Land du 24.07.2008

Si le Luxembourg est connu pour sa place financière, il est beaucoup moins connu que notre petit pays peut également se vanter de certaines innovations juridiques et ceci, il faut bien le dire, sans que personne ne s’en soit rendu compte. Nous avons en effet gratifié le monde juridique d’une notion inédite, à savoir celle de la « publication par référence » … sans référence. 

Nous nous expliquons en nous reportant dans le temps à une époque qui n’est plus tellement récente puisqu’il s’agit de l’histoire de l’immédiat après Deuxième Guerre mondiale. 

Le récit des faits donné à cet endroit est très court et par la force des choses il s’agit d’une simplification im­portan­te. Le lecteur intéressé est prié de se ré­férer à une étude très poussée de la question parue récemment dans la publication Cahiers de droit luxembourgeois1. Comme tout le monde le sait, le Luxem­bourg, après avoir perdu son indépendance en raison de l’occupation par les armées nazies, a regagné celle-ci suite à la libération du pays en 1944. En date du 26 octobre 1944 a été pris un arrêté dit de validation aux termes duquel ont été re­connues comme valables une grande partie des mesures fiscales introduites par les Allemands. 

En effet, dès le début de l’année 1940 l’envahisseur allemand, s’était empressé d’introduire au Luxem­bourg les lois fiscales allemandes et ceci au moyen de différentes « Ver­ordnun­gen » (ordonnances) dont l’effet était de remplacer les lois luxembourgeoises traditionnelles par les dispositions allemandes correspondantes. 

L’article 112 de la Constitution luxembourgeoise dispose : « Aucune loi, au­cun arrêté ou règlement d’administration générale ou communale n’est obligatoire qu’après avoir été publié dans la forme déterminée par la loi ». Le mode de publication fait l’objet de l’article 2 de l’arrêté royal grand-ducal du 22 octobre 18422 : « Les actes législatifs seront obligatoires dans toute l’étendue du Grand-Duché trois jours francs après leur insertion au Mémorial, à moins qu’ils n’aient fixé un délai plus court ».

Il est un fait que les dispositions allemandes mentionnées ci-avant, bien que visées avec minutie par les différentes ordonnances du CdZ, n’ont jamais fait l’objet de la moindre publication au Mémorial ni en 1940, ni ultérieurement3. La question est donc de savoir si ­cette absence de publication constitue la violation d’une formalité substantielle avec pour conséquence que ces dispositions n’auraient jamais été valablement introduites au Luxem­bourg.

Dès la libération et face aux néces­sités financières inhérentes à une situation d’après guerre, un arrêté grand-ducal daté du 26 octobre 1944 (dit « arrêté de validation ») prit le contre-pied par rapport aux arrêtés du 22 avril 1941 et du 13 juillet 1944 (qui tous les deux avaient déclaré la nullité de toutes les mesures prises par l’occupant), en déclarant en son article 1er : « Par dérogation aux arrêtés grands-ducaux du 22 avril 1941 et du 13 juillet 1944, … toutes les me­sures prises par l’ennemi avant le 10 septembre 1944 et relatives aux impôts, taxes, cotisations et droits men­tionnés à l’art. 2 sont tenues pour valables et continuent à être appliquées à partir du 10 septembre 1944 jusqu’à disposition ultérieure ». L’ar­ticle 2 énumère les impôts allemands suivants : Einkommensteuer, Lohn­steu­er, Kör­perschaftsteuer, Kapital­er­trags­­teuer, Steuerabzug von Auf­sichts­ratvergü­tungen, Umsatz­steuer, Ver­mö­gens­steuer, Gewerbesteuer, Grund­­steuer, Kraftfahrzeugsteuer, Wertzu­­wachs­steuer, Wechselsteuer, Beförderungs­steuer, Feuer­schutz­steu­er, Versi­­cherungssteuer, Erbschafts­­­steuer, Kirchenbeiträge. Certains de ces impôts ne devaient avoir qu’une durée de vie très réduite : cinq d’entre eux ont été abolis par l’arrêté grand-ducal du 21 décembre 1944.

Ce fameux arrêté de validation ne comporte pas de référence à des lois allemandes que des générations de juges déclarent avec une régularité sans faille avoir été publiées au Luxem­bourg par une « publication par référence », per relationem, purement fictive donc par opposition à une publication effective au Mémorial. On affirme ainsi que sont applicables au Luxembourg des dispositions légales qui ne sont mentionnées avec le moin­dre mot 4 : on peut considérer qu’au lieu d’une publication par référence il s’agit plutôt d’une publication « par contagion ».

Selon le cas, le vice est plus ou moins grave : la validation des différentes lois fiscales matérielles est supposée faite soit par référence à des impôts (il y a vice au premier degré du fait que les lois sous-jacentes ne sont pas nommément mentionnées et encore loin l’endroit de leur publication effective), soit il y a référence plus indirecte encore aux lois « validées », du fait que certaines lois seraient nécessaires (ou indispensables) pour l’application des impôts « validés » (vice au second degré, étant donné que ces lois, en tant que telles, ne font même pas partie du domaine des impôts ainsi « validés »).

Voyons rapidement quelle est la position respective des trois pouvoirs dans l’État par rapport à cette question qui hante la fiscalité luxembourgeoise de­puis plus de 60 années déjà. 

Comme nous allons le voir ci-après, nous avons un clivage très net dans le sens suivant : l’exécutif semble avoir rejoint le pouvoir judiciaire pour conclure à l’application intégrale de toutes les dispositions re­latives aux impôts validés. Le législatif en revanche adopte une position beaucoup plus nuancée. 

Selon la jurisprudence luxembourgeoise, notamment celle du Conseil d’État du 8 décembre 1948 (arrêt Schwall, no 4582 du rôle5) : « Consi­dérant, d’autre part, que l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 n’a pas entériné les lois allemandes nommément désignées portant création d’impôts, mais a déclaré maintenues en vigueur, de façon générale, les impôts, taxes, cotisations et droits mentionnés à l’article 2; qu’il s’ensuit qu’en décrétant, entre autres, la validité des dispositions et mesures relatives à l’Einkommensteuer l’arrêté grand-ducal précité a reconnu la validité non seulement de l’Einkommen­steuergesetz du 27 février 1939, mais encore celle de ses mesures d’exécution, des instructions, des adaptations et des interprétations authentiques qui en sont la suite et le complément indivisibles ; que, plus spécialement le paragraphe 13 du Steueranpassungs­gesetz du 16 octobre 1934, stipule que les conditions légales du domicile fis­cal étant déterminées ‘im Sinne der Steuer­ge­set­ze’, s’appliquent à toutes les lois d’impôts; qu’il en résulte que cette disposition portant définition et interprétation de la notion du domicile, forme une partie intégrante du paragraphe 1er de l’Einkommensteuergesetz du 17 février 1939; que l’indivisibilité existant au point de vue de leurs conditions constitutives, entre l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les bénéfices de guerre établit une no­tion de domicile commune aux deux impôts et trouve son origine dans le paragraphe 13 du Steuer­an­pas­sungs­gesetz du 16 octobre 1934 applicable à tous les impôts; que le moyen est donc dénué de justification ».

Le Conseil d’État est à créditer d’une très belle pirouette pour avoir écrit le passage souligné (par nous): la question posée était de savoir si la LAF était ou non visée par notre arrêté de validation d’octobre 1944 : cette ques­tion était très pertinente compte tenu du fait que l’arrêté ne le précisait pas. Le Conseil d’État déduisit alors sa conclusion non pas du contenu de l’arrêté (c’était uniquement dans ce dernier qu’elle pouvait être trouvée) mais du texte même de la loi qui était l’objet de la question : la référence « im Sinne der Steuergesetze » contenue dans la StAnpG allemand conduisit la Haute Corporation à la conclusion que cette disposition est applicable au Luxembourg : « c.q.f.d. » (« ce qu’il fallait démontrer » comme nous écrivions à l’époque dans les devoirs de mathématiques). 

Les ouvrages généraux de droit abordent souvent la question de savoir si le dispositif des décisions de justice est dégagé au terme d’un raisonnement juridique mené sans faille ou bien si le juge ne commence pas par arrêter une sentence avant d’élaborer la motivation qui sert de justification à celle-ci. Nous nous abstenons de toute prise de position de nature générale sur cette question : toutefois, on a nettement l’impression que c’est la deuxième approche qui a inspiré le Conseil d’État lorsqu’il a pris l’arrêt Schwall en 1948.

La jurisprudence Schwall (qui conclut à l’applicabilité de la StAnpG), selon la terminologie très maladroite du Conseil d’État, considère que sont validés non seulement les lois relevant du domaine des impôts mentionnés mais également celles de ses « mesures d’exécution, des instructions, des adaptations et des interprétations au­thentiques qui en sont la suite et le complément indivisible » mais seulement dans la mesure où elles sont la « suite et le complément indivisible » des lois matérielles d’impôts.

Or il est manifeste que la AO en tant que loi séparée ne joue à l’égard des dispositions de la loi de l’impôt sur le revenu le rôle ni de mesures d’exécu­tion (sans doute de nature administrative), ni d’instructions (circulaires administratives), ni d’adaptations (no­tion étrange), ni d’interprétation au­thentique. La AO est une loi fondamentale qui est la base des lois fiscales matérielles : dire qu’il s’agit d’une mesure d’exécution, etc. des autres lois est incorrect dans la mesure où la AO est la loi de base, le fondement et non pas une mesure d’exécution (une adaptation ou encore une inter­prétation) des lois matérielles.

Cette jurisprudence est pourtant restrictive et nuancée en tout cas beaucoup plus que les décisions ultérieures qui s’y sont référées le laissent en­tendre. L’arrêt Schwall n’exclut pas telle ou telle disposition donnée des lois générales en question mais elle exclut de l’application n’importe quelle disposition qui n’est pas indispensable à l’application de la loi matérielle visée. Correctement appliquée, il faudrait vérifier pour chaque disposition de la loi générale si elle est ou non indispensable à l’application des lois matérielles. À notre connaissance, ce travail n’est jamais fait par les juridictions.Il est en tout état de cause impossible de considérer que toutes les dispositions de la AO seraient la suite et le complément indivisibles de la loi de l’impôt sur le revenu ; ceci est notamment exclu à l’égard des dispositions pénales de la AO.

La jurisprudence des juridictions administratives nouvelles est bien résumée dans la formulation suivante : « Ledit arrêté a ainsi maintenu provisoirement en vigueur les textes d’ori­gine allemande prévisés. Cette validation s’étend aussi à l’Abgaben­or­d­nung, ainsi qu’à ses dispositions d’exé­cution et elle les purge des vices éventuels liés au défaut de pu­blication effective au Luxembourg (cf. C.E., 8 décembre 1948, Schwall, n° 4582 du rôle; C.E., 4 août 1962, Kieffer, n° 5750 du rôle) »6. Tout en se référant à l’arrêt Schwall, cette jurisprudence est en fait beaucoup moins nuancée et ceci en affirmant clairement la validation de la AO et ceci (sans doute) dans toutes ses dispositions, ce qui est contraire à la jurisprudence Schwall.

La formulation utilisée par les juridictions administratives est discutable dans le sens qu’elle considère que le vice se situât au moment de l’introduction des lois allemandes par les « Verordnungen » de 1940. Tel n’est pas le cas : même une publication en bonne et due forme en 1940 n’aurait pas pu faire considérer comme légale l’introduction de ces mesures fiscales allemandes (acte d’une autorité instituée par une occupation de force en violation flagrante du droit international…). La non-publication constitue un vice supplémentaire, absolument superfétatoire, qui en réalité ne change guère quoi que ce soit.

En réalité, le reproche se situe au niveau des vices de l’arrêté de 1944 lui-même. Ce dernier aurait dû soit lui-même procéder à la publication des textes validés, soit au moins spécifier que, par exception, les mesures de publicité normalement requises ne sont pas applicables (sans man­quer de nommer expressément les lois et autres dispositions visées avec les références de leur publication d’origine). Aucune de ces deux hypothèses n’a été réalisée ce qui signifie donc qu’il n’a pas pu y avoir de « purge des vices » ou disons de façon plus correcte : introduction rétroactive juridiquement valable des lois fiscales allemandes.

S’il est bien souhaitable que dans le domaine de la fiscalité (tout comme dans d’autres domaines du droit) la sécurité juridique soit assurée, ceci ne peut être que l’effet de la loi et non pas de la jurisprudence : en d’autres termes, si la loi prévoit une situation nuancée, ce n’est pas au juge de la simplifier et de faire comme si la loi était sans nuances. Or la position du législateur sur la question est autrement nuancée comme on a pu le voir en 1967 lors de l’élaboration de la loi du 4 décembre 1967 (L.I.R.), voir point 3 ci-après. 

La pratique jurisprudentielle des dernières décennies montre clairement que dans l’esprit des juges cette question est définitivement tranchée. Les juges considèrent sûrement que les plaideurs qui invoquent cette problématique sont en panne d’arguments sur le fond et ne savent pas faire autre chose que de se perdre en manœuvres dilatoires. Celui qui soulève la problématique de la validation des lois allemandes en 1944 s’entend citer les arrêts classiques pris à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale : l’arrêt Schwall du Conseil d’État, le jugement Kieffer de 1962 ainsi que ceux des juridictions administratives qui parlent de la « purge des vices ». Si l’on voit bien les vices, on voit moins la purge. 

L’approche traditionnelle des juges n’est pas une réponse adéquate et ceci pour deux raisons au moins :

– En 1978 le Conseil d’État a abandonné sa propre jurisprudence datant de 1948 et donc l’approche ayant consisté à accepter la notion de publication par référence.

– Le nombre des impôts validés a diminué, notamment en 1967 (effet 1969) de sorte que l’applicabilité des mesures a diminué également ; à ce moment-là, le législateur a pris les mesures qui s’imposent afin d’éviter que les dispositions de nature générale puissent être considérées comme ayant cessé d’être applicables au Luxembourg.

Dans ce contexte nous mentionnons une question parlementaire qui a été posée par le député J.-Y. Henckes en date du 6 février 2006, laquelle a connu une réponse commune des ministres Juncker et Frieden en date du 7 avril 2006.

Nous reproduisons de larges extraits tant de la question que de la réponse ministérielle à celle-ci. 

« L’article 112, de la Constitution dispose qu’ ‘aucune loi, aucun arrêté ou règlement d’administration générale ou communale n’est obligatoire qu’après avoir été publié dans la forme déterminée par la loi.’

Plusieurs arrêts du Conseil d’État ont décidé que la preuve de la régularité formelle d’une loi ou d’un règlement est fournie par la publication au Mémorial.

Or, certains textes de loi qui sont toujours d’application voire même certaines parties du Code civil et du Code pénal ou certains traités ou accords internationaux n’ont jamais été publiés au Mémorial.Il se pose dès lors la question de savoir si, à défaut, de publication, ces textes ont une valeur juridique et s’ils ne devraient pas être publiés.

Ainsi, la fiscalité luxembourgeoise est en partie fondée sur des textes allemands introduits par l’occupant pendant la deuxième guerre mondiale, notamment, la loi générale des impôts (dite Abgabenordnung) du 22 mai 1931 ou encore la loi sur l’impôt commercial communal du 1er dé­cembre 1936. Ces textes, parmi d’au­tres, ont été maintenus temporairement en vigueur à la fin de la guerre par un arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 dit arrêté de validation qui a déclaré à son article 1er que ‘… toutes les mesures prises par l’ennemi avant le 10 septembre 1944 et relatives aux impôts, taxes et cotisations mentionnés à l’article 2 sont tenues pour valables et continuent à être appliquées à partir du 10 septembre 1944 jusqu’à dispositions ultérieu­re’ C’était une fiction dite légale très contestable en droit qui n’a pas été remise en cause par la suite.Dans ce contexte j’aimerais poser les questions suivantes au Gou­ver­nement :

1) Quelle est la validité juridique des lois non publiées au Mémorial au regard de l’article 112 de la Consti­tution ?

2) Ne conviendrait-il pas de faire l’inventaire des textes non publiés mais toujours en vigueur et de les publier conformément à la loi constitutionnelle et à la loi d’exécution ? »

Cette question connut la réponse suivante :

« L’Honorable Député s’interroge sur la validité juridique des textes non publiés in extenso au Journal officiel, il cite les exemples de la loi générale des impôts (dite ‘Abgaben­ordnung’) du 22 mai 1931 et de la loi sur l’impôt commercial communal du 1er décembre 1936. Ces textes ont été maintenus en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 concernant les impôts, taxes, cotisations et droits, publié au Mémorial de 1944 à la page 80.

D’une manière générale, la publication des lois, arrêtés ou règlements d’administration générale ou communale doit se faire conformément à l’article 112 de la Constitution. Cet article 112 figure dans notre Loi fondamentale dès sa mise en vigueur, le 17 octobre 1868. Le texte constitutionnel de 1848 préfigurant notre Consti­tution actuelle de 1868 contenait d’ailleurs déjà un article 116 ayant le même libellé que l’actuel article 112, de même que la Consti­tu­tion de 1856.

Entre 1822 et 1848, la loi du 2 août 1822 relativement à la promulgation des lois ainsi qu’à l’époque où elles commencent à être obligatoires (publiée au Journal officiel des Pays-Bas, 17e tome, numéro 33) et l’arrêté royal du 9 mars 1832 créant le Mémorial législatif et administratif et concernant la publication des lois et arrêtés du souverain dans le Grand-Duché de Luxem­bourg (publié au Mémorial Administra­tif et Législatif, numéro 1 du 3 avril 1832, p. 1) réglaient la publication des textes législatifs et leur entrée en vigueur.

Avant 1822, la publication, les effets et l’application des lois étaient définis exclusivement par le Code civil qui dispose dans son article 1er : ‘Les lois sont exécutoires dans tout le territoire luxembourgeois, en vertu de la promulgation qui en est faite par le Grand-Duc. Elles seront exécutées dans chaque partie du Grand-Duché, du moment où la promulgation en pourra être connue’.

Aussi, les lois entrées en vigueur avant 1822 n’exigeaient-elles pas d’être pu­bliées dans le Journal officiel de l’époque, leur promulgation suffisant à les rendre exécutoires.

Pour ce qui est plus particulièrement des deux lois fiscales citées à titre d’exemple par Monsieur le Député, il existe une jurisprudence constante selon laquelle ni la Constitution, ni la loi ordinaire n’imposent l’obligation de reproduire formellement dans le texte de loi les termes d’une ‘loi étran­gère ou autres dispositions ou mesures, déclarées obligatoires par voie de référence’ (arrêt du Conseil d’État du 8 décembre 1948). 

Dans son jugement du 17 novembre 1997, le Tribunal administratif a confirmé que l’applicabilité de principe de ces textes allemands résulte de l’arrêté du 26 octobre 1944 précité, qui a maintenu provisoirement en vigueur ces textes d’origine allemande et qui les ‘purge des vices éventuels liés au défaut de publication effective au Luxembourg. L’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 a été maintenu en vigueur par la loi du 27 février 1946 concernant l’abrogation des lois de compétence de 1938 et 1939 et l’oc­troi de nouveaux pouvoirs spéciaux au Gouvernement’ dont l’article 3 est à considérer comme une ratification législative implicite dudit arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, lui conférant la nature d’une véritable loi’. ‘Faute de disposition expresse en sens contraire, le maintien ainsi opéré vaut à la fois pour la période antérieure à l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, voire à la loi du 27 février 1946 précités et pour l’avenir, en attendant le remplacement des textes allemands ainsi visés par des dispositions nouvelles ».

La première phrase de cette réponse : « L’Honorable Député s’interroge sur la validité juridique des textes non publiés in extenso au Journal officiel, il cite les exemples de la loi générale des impôts (dite « Abgabe­n-­­ordnung »)… » constitue un exemple parfait du dialogue de sourds qui s’installe fréquemment en cette matière : le reproche est beaucoup moins que la AO n’ait pas été publiée in extenso mais il consiste avant tout dans le fait qu’elle n’est même pas mentionnée avec moindre mot dans le Journal Officiel. Le gouvernement, comme tant d’autres, ne semble pas se rendre compte de la véritable portée de notre fameuse invention de la « publication par référence » … sans référence.

3. La position du législateurEn fait, cette position nous paraît très bien refléter celle de la jurisprudence du Conseil d’État dans l’arrêt Schwall. Ce point a surtout été mis en évidence lors de l’introduction de la LIR avec donc la conséquence que l’Einkommenssteuergesetz, la Körperschaftssteuergesetz, etc. ont cessé d’être applicables et ceci avec effet au 1er janvier 1969. 

Cette fois-ci, le législateur était bien conscient du problème ainsi créé et il a su y apporter une réponse adéquate : le problème était qu’en abro­geant définitivement les lois de l’impôt sur le revenu allemandes, les dis­positions des lois générales auraient du même coup cessé à s’appliquer : n’étant que la « suite et le complément » de ces lois, ces dispositions se seraient évaporées avec l’abrogation des lois de base. La réponse apportée a consisté à faire déclarer par l’article 186 L.I.R. que sont expressément applicables en ces matières les dispositions de la StAnpG et de la AO. En fait, le législateur a fait prolonger le statu quo antérieur : « les dispositions des lois fiscales de portée générale, notamment de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934 et de la loi générale des impôts du 22 mai 1931 ainsi que les dispositions et mesures prises en exécution de ces lois seront applicables à la pré­sente loi pour autant qu’elles étaient applicables aux lois abrogées par l’ar­ticle 185, alinéa 2, lettre a ».

Il ne faudrait pas perdre de vue que la citation précédente fait référence à une disposition légale dûment adoptée et publiée : il s’agit du droit positif fiscal luxembourgeois : elle existe et elle s’impose à tout interprète à quelque niveau qu’il se trouve.

Ce libellé a été introduit dans le texte de loi par le Conseil d’État (doc. parl. 571/16, p. 118) qui a proposé l’article 257, avec le texte finalement retenu accompagné des commentaires suivants : « … les lois fiscales générales et les règlements d’exécution de ces lois constituent le complément nécessaire de la législation relative à l’impôt sur le revenu. Un texte spécial doit donc prévoir que ces lois générales … s’appliquent désormais à la nouvelle loi relative à l’impôt sur le revenu ».

La parenté de l’arrêt Schwall est indéniable.

Cette disposition légale représente de la part du législateur de la confirmation la plus éclatante qui soit que la théorie dite de la publication par référence n’est pas considérée comme applicable, en tout cas pas à l’égard de ces deux lois générales. Le législateur considère manifestement que ces deux lois ne sont validées que dans la mesure où elles sont :

1) applicables aux impôts validées et 2) nécessaires (voire indispensables) à l’application des lois matérielles validées. 

Si le législateur avait donné droit à la théorie de la publication par référence, il n’aurait pas eu besoin de faire quoi que ce soit à ce sujet : les lois générales ayant été validées une fois pour toutes et donc en bloc, leur application aurait été garantie et ceci jusqu’au jour de leur abrogation expresse.

La question de l’applicabilité de la AO et de la StAnpGRevenons à la question de savoir si les dispositions de la AO (et de la StAnpG) sont ou non à considérer comme « la suite ou le complément indivisibles » de la AO. 

L’objet de cette courte contribution n’est pas (et ne peut pas être) de faire une analyse, paragraphe par paragraphe, des 488 paragraphes de la AO en plus des 20 paragraphes de la StAnpG.Nous nous limitons donc à un cas extrême et donc facile, en l’occurrence les dispositions pénales de la AO.

En effet, ces dispositions n’étaient pas applicables avant l’occupation du pays en 1940 et on aurait très bien pu s’en passer après la libération du pays en 1944. 

Comme exemple de questions difficiles qui peuvent se poser une fois que l’on accepte cette prémisse, on peut citer les cas suivants : la partie de la AO contenant des dispositions pénales peut-elle être invoquée par les juges au prétexte qu’il s’agirait de combler une lacune ? Il est certain qu’il peut y avoir « des lacunes que l’on pourrait appeler subjectives, c’est-à-dire : dans l’opinion de certains »7. Et pour continuer avec le même auteur : « Mais des lacunes objectives n’existent pas en droit. Singulièrement en droit pénal. Tout ce qui n’est pas sanctionné est juridiquement permis… Sauf exceptions légales, il y a plénitude de droit de la liberté. Deux domaines fermés, séparés, complémentaires : celui de la loi contraignante et celui de la liberté ; l’acte qui ne rentre pas dans l’un rentre nécessairement dans l’au­tre. … De même constater que la loi ne punit pas, ou même que le doute existe quant à l’application de la loi, c’est constater non pas une lacune mais l’autorisation, la permission de la loi »8.

La conclusion qu’on peut (et qu’on doit) tirer de ces passages est, à notre sens, la suivante : il n’est pas permis au juge d’appliquer les dispositions de droit pénal de la AO au motif qu’il y aurait lacune et qu’il conviendrait de la combler. Les seules dispositions pénales qu’il puisse appliquer sont celles qui ont été introduites depuis 1944 c’est-à-dire donc celles qui sont prises par le législateur luxembourgeois, donc essentiellement celles qui ont trait à l’incrimination de « l’escroquerie fiscale » (§ 396, alinéa 5 AO), en dehors de celles qui ont existé avant 1940 (voir ci-après). 

De même, les dispositions de la StAnpG sur l’abus de droit (§ 6) sont elles in­dispensables? On peut très bien concevoir une loi fiscale sans disposition anti-abus : d’ailleurs, avant 1944 notre droit ne connaissait pas de disposition correspondante. En ou­tre, des pans entiers du droit fiscal luxembourgeois ne connaissent pas de telle dis­position : il est question de la TVA et des droits d’enregistrement notamment.

Les dispositions sur la simulation (§ 5 StAnpG) sont-elles le « complément indivisible » de ces dispositions lé­ga­les? Ou bien les dispositions du code civil (voir article 1321 C.c.) sur le mê­me sujet ne sont-elles pas suffisantes? 

On voit de suite que l’on entre dans une incertitude juridique malsaine et préjudiciable. Mais, la solution à ce dilemme ne consiste pas à continuer à ignorer le problème comme tel a été le cas par le passé mais il faudra, un jour ou l’autre, prendre des mesures positives passant par l’adoption par le législateur et la publication au Luxembourg des dispositions légales qui sont applicables.

La situation est encore rendue un peu plus complexe par l’élément suivant qui de façon générale n’est pas abordé non plus: il s’agit de la valeur juridique des lois fiscales luxembourgeoises valablement introduites par le législateur national avant 1941. Celles-ci n’ont jamais été abrogées9. Les règles d’application des lois dans le temps conduisent donc à la conclusion que celles-ci sont toujours valables sauf si elles ont été implicitement écartées par les dispositions ultérieures contraires. Cette situation soulève en particulier la problématique des relations existant entre les lois spéciales antérieures et les lois générales postérieures. En tout état de cause, une application juridiquement correcte de ces règles obligerait de vérifier de cas en cas quelle disposition prime : nous n’avons connaissance d’au­cun cas où une telle confrontation des dispositions anciennes avec les dispositions nouvelles aurait été réalisée effectivement. 

ConclusionComme on a pu le voir ci-dessus, on se trouve dans une situation de conflit entre les positions adoptées par les différents pouvoirs de l’État : d’un côté se trouvent les pouvoirs exécutif et judiciaire adoptant des situations extrêmes dans le sens qu’ils considèrent que toutes les lois allemandes introduites en 1941 (sauf celles exclues par l’arrêté grand-ducal du 21 décembre 1944) sont applicables dans leur intégralité alors que de l’autre côté se trouve la position beaucoup plus nu­ancée du législatif qui ne veut appliquer que les mesures qui sont le complément indivisible des impôts validés.

Quelle est la position à suivre ? Si cette matière est en soi difficile, ceci ne peut pas valoir pour la conclusion à tirer : à cet égard, la réponse est très simple dans le sens qu’il ne peut pas faire de doute que le dernier mot revient au législateur et que tôt ou tard les juges et le pouvoir exécutif devront se rallier à cette position : en d’autres termes, la solution de facilité adoptée à ce jour devra être abandonnée en suscitant des discussions très difficiles, il est vrai, sur l’application de l’une ou de l’autre disposition des lois générales d’impôt, à moins que le législateur intervienne pour clarifier la situation.

L’auteur est avocat à la Cour Loyens [&] Loeff Assistant Professeur, Université de Luxembourg

1 Le lecteur intéressé qui a le moindre problème à se procurer ce document est invité à me contacter par email : jean-pierre.winandy@loyensloeff.com

2 Entre-temps remplacé par le règlement grand-ducal du 9 janvier 1961.

3 H. Dostert, "Validité de notre législation fiscale introduite pendant l’occupation", Études fiscales 1.3.1963, p. 1.

4 Ne voulant pas déformer la réalité, nous nous empressons d’ajouter que la loi d’adaptation fiscale (Steueranpassungsgesetz) est mentionnée mais non pas pour la déclarer applicable, mais pour en déclarer non applicables les alinéas 1 et 2 du § 1. 

5 Affaire no 4582 du rôle, P. 14, p. 489.

6 TAdm du 17 novembre 1997, no 9788.

7 R. Legros, "Considérations sur les lacunes et l’interprétation en droit pénal", in Le problème des lacunes en droit, Et. Bruylant, Bruxelles, 1968, p. 364.

8 R. Legros, "Considérations sur les lacunes et l’interprétation en droit pénal", in Le problème des la­cunes en droit, Et. Bruylant, Bruxelles, 1968, p. 365.

9 Voir annotateur X.Y. au dessous de la publication de l’arrêt Schwall, P. 14, p. 495

Jean-Pierre Winandy
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