Avec Good Girls, Larisa Faber signe une comédie musicale sur l’avortement sans regret. Portrait d’une artiste qui ne manque ni d’audace ni d’irrévérence

Sans regrets et en musique

Larisa Faber sur la scène  de l’Ariston
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 04.11.2022

Ce lundi midi, l’équipe de Good Girls s’offre une pause pendant sa répétition. Il fait doux et Larisa Faber propose une rencontre devant l’Ariston où se jouera sa pièce. Assise sur un banc en bois, elle revient sur son parcours et sur ses créations. Elle rembobine jusqu’à son enfance. Longtemps, elle a détesté qu’on l’appelle Larisa, avec le son z à cause du seul s de son prénom. Ça s’écrit comme ça, c’est un prénom roumain. « Petite, je n’aimais pas expliquer mes origines roumaines. J’essayais d’être la plus parfaite des Luxembourgeoises », s’amuse aujourd’hui l’actrice, scénariste et réalisatrice. Elle est née en Roumanie en 1986 et y a vécu jusqu’à ses quatre ans. Sa mère avait demandé un visa, juste après la chute du dictateur Ceaușescu et avait étudié l’économie et le tourisme en espérant voyager. Elle rêvait de Canada, mais la rencontre avec un Luxembourgeois (que Larisa appelle « mon père adoptif » chaque fois qu’elle se réfère à lui : il l’a en effet adoptée quand elle a eu 18 ans) aura changé leur trajectoire. À l’aube de 1990, les voici installés dans un petit appartement du quartier de la gare à Luxembourg. Elle se souvient que sa langue maternelle non seulement n’était pas comprise, mais avait des connotations négatives. « Ma maman tenait à parler roumain en référence à son histoire, à la littérature, à la culture mais moi, j’associais cette langue à la honte ». La petite Larisa sera une élève modèle, très bonne à l’école « pour être digne de l’affection et de l’accueil des Luxembourgeois. »

Longue chevelure, visage doux mais déterminé, port altier dû à ses années de danse classique, Larisa Faber est aujourd’hui en paix avec son passé et ses origines. La Roumanie est même « un pays qui me fascine », dit-elle en évoquant son rêve de travailler un jour avec Cristian Mungiu, le réalisateur, notamment, de 4 mois, 3 semaines et 2 jours qui a reçu la Palme d’or à Cannes en 2007. « Je me présente comme Luxembourgeoise d’origine roumaine. Je ne veux plus exclure cette partie de mon vécu ». Pendant ses études au Drama Centre
London, cette origine et la maîtrise de cette langue étaient même considérés comme son unique selling point, le « truc en plus » qui va lui permettre de se démarquer. « J’étais embauchée pour jouer des filles de l’Est, avec les stéréotypes et clichés que cela suppose : des prostituées et des femmes de ménage. J’ai même appris à parler anglais avec l’accent roumain ». Elle se remémore aussi à quel point elle a été nourrie par les histoires familiales et par « l’humour bizarre » des Roumains. « Beaucoup d’histoires que ma mère et ma grand-mère m’ont racontées comportaient des blagues. C’était leur façon de faire face à la pression et à la douleur associées à la vie là-bas sous le communisme. »

Raconter des histoires est le moteur de Larisa. Elle a commencé par la danse, mais l’attrait de la scène s’est confirmé par le théâtre. « Je considère la scène comme un lieu réconfortant pour les acteurs et actrices. On est dans un cadre régulé, mais avec une grande liberté. » Tout en reconnaissant un aspect narcissique à cette profession, elle invite aussi à une certaine modestie : « Je suis tiraillée entre la mégalomanie – des gens payent pour venir te voir sur scène – et le manque de confiance – est-ce que c’est suffisamment bien pour qu’ils te consacrent deux heures de leur vie ? » De fil en aiguille, elle a aussi voulu écrire, mettre en scène et réaliser. Selon l’histoire à dire, elle choisira la scène ou le film et y apparaîtra ou non. « Parfois, j’écris, je mets en scène et je joue. C’est beaucoup. Parfois j’écris, mais je ne joue pas. Parfois j’écris et je joue, mais je confie la mise en scène à une autre. » Même si de nombreux rôles à l’écran (Bad Banks, Angelo, The Beast in the Jungle, Capitani) et au théâtre (Oncle Vania, Love and Understanding, Midsummer) émaillent son parcours, la partie « making » commence à rattraper la partie « acting » dans sa biographie. Les projets personnels, qu’elle initie et écrit sont de plus en plus importants. Elle commence une phrase en disant « quand j’étais comédienne », avant de se reprendre. Comédienne, elle l’est bien sûr toujours. Mais les projets décalés par la pandémie et la naissance de son enfant ont remis en cause son assurance : « Je suis tombée du piédestal où je m’étais moi-même installée. Je me suis rendu compte qu’on ne peut pas tout faire, pas tout jouer, pas tout le temps. » Alors en « espérant » (elle sait le double sens du mot qui veut aussi dire attendre) qu’on lui propose à nouveau des rôles qui la font vibrer, elle écrit ses propres histoires. « En tant qu’actrice, je me sens un peu protégée : je peux jouer dans le monde de quelqu’un d’autre. Si vous êtes la seule à inventer le monde et que vous ne trouvez pas votre public, c’est vraiment nul. Cela peut être un processus plus difficile, mais extrêmement gratifiant. »

Ses histoires parlent forcément d’elle car, pour Larisa Faber, « tout art est personnel ». Elle considère d’ailleurs la distinction entre l’homme et l’artiste « incompréhensible » : « c’est parce que la personne est qui elle est qu’elle fait ses choix artistiques et humains ». En 2019, elle écrit Stark bollock naked, pour le recueil High Five paru chez Black Fountain Press. Après les patients atteints de démence, dont sa grand-mère, dans Disko Dementia, elle traite ici de l’horloge biologique qui résonne chez les femmes de la trentaine, comme elle. L’âge où des amis commencent à avoir des enfants, où des pubs pour les tests de grossesse apparaissent sur ses réseaux sociaux et où le gynécologue insiste « Vous voulez des enfants ? Vous avez un partenaire ? Alors allez-y maintenant »… Cette « comédie dramatique » a été montée au théâtre, d’abord à Londres, puis à Neimënster. Larisa y figure nue, son corps servant d’écran à la projection d’images. Ce qui peut être compris au sens très littéral : les amis, les professionnels de la santé, les parents, la société – tout le monde – projette ses idées et idéaux sur la femme. La musicienne Catherine Konz accompagnait Larisa sur scène, avec des instruments gynécologiques en guise d’instruments de musique.

Good Girls, qui sera créé au Escher Theater la semaine prochaine, en est un peu la suite logique. Parce qu’à peu près à l’époque de Stark bollock naked, Larisa est tombée enceinte par accident. Elle décide d’avorter – « c’était une évidence. Pas quelque chose de léger, mais je n’avais pas de doutes » – ce qui va être plus difficile qu’elle ne le pensait : « Sans doute un peu naïvement, j’avais idéalisé le Luxembourg comme un pays où l’on peut dire non. Un pays où l’on a plus de droits. Mais le chemin pour accéder à ce droit est loin d’être aisé. » Elle fustige le manque de soutien, la difficulté d’obtenir des informations, la réprobation des professionnels. « Ce qui a été traumatique dans cette expérience, c’est le jugement que j’ai ressenti de la part de différents professionnels de santé et le stigma sociétal m’intimait à ressentir du regret, voire de la culpabilité ». Quand son gynécologue réalise qu’elle est enceinte, il la félicite avant qu’elle lui dise qu’elle veut avorter. Lors d’une prise de sang (qui n’a d’autre utilité que de retarder l’intervention), les infirmières lui demandent les prénoms envisagés. « Les professionnels de santé devraient être neutres plutôt que de sacraliser la maternité », estime celle qui a grandi avec des histoires d’avortements clandestins dans la Roumanie communiste où la contraception était interdite. Au bout du compte, Larisa Faber dit « J’ai eu un avortement et je me suis sentie soulagée ». Elle dit « j’ai eu » ; pas « j’ai subi ».

Au cinéma, les récits de grossesses non désirées se terminent souvent par une décision de garder l’enfant, avec ou sans mise à l’adoption, ou par une fausse couche. Les avortements se finissent généralement dans l’opprobre, la douleur et la dépression, quand ce n’est par la mort de la femme. Larisa connaît cela, mais elle tombe sur un témoignage dans le Guardian qui explique que, certes, les histoires dramatiques autour de l’avortement sont de bonnes histoires, mais qu’il est aussi important que les gens écoutent les femmes qui ont avorté et qui se sentent bien malgré tout. Et c’est ce qu’elle va faire avec Good Girls : une comédie musicale irrévérencieuse sur l’avortement. « Pourquoi ne pourrais-je pas faire de l’humour sur ma propre expérience vécue ? D’autant plus que d’autres personnes ressentent la même chose. Même si la décision peut être parfois difficile, si la procédure n’est pas agréable physiquement, l’après est une sorte de life saving procedure et je voulais faire entendre ces voix. » Elle va ainsi recueillir des témoignages au Luxembourg, en partenariat avec le Planning familial, à Londres avec Abortion Right UK et en Lituanie, via Kaunas capitale européenne de la Culture et la dramaturge Gabrielė Labanauskaitė. De ces témoignages, Larisa Faber retient que l’avortement est finalement une chose commune, bien que profondément personnelle. « C’est encore un sujet tabou, même les lettres IVG sont une sorte d’euphémisme pour ne pas dire la chose. Avoir la parole a été libérateur pour beaucoup de personnes qui ont témoigné. » Certaines en parlent pour la première fois, d’autres racontent que leur mère aussi avait avorté. L’une considère que c’est une prise de pouvoir face au patriarcat, l’autre dit culpabiliser de ne pas se sentir coupable, une autre encore qu’il faut pouvoir en rire… « C’est forcément politique. Le sujet est politique, en rire est politique. On doit pouvoir raconter des histoires et rire un bon coup. Le divertissement n’est pas un gros mot. »

Trois comédiennes sont sélectionnées pour leur maîtrise des langues, du mouvement et du chant – Teklė Baroti, Monika Valkūnaitė et Nora Zrika – et Catherine Kontz est à nouveau à la manœuvre pour la composition de la musique. Les textes reprennent les témoignages dans leur langue et l’ensemble est surtitré en français. « Ce ne sont pas de simples phrases qui défilent au dessus de la scène, les mots sont intégrés aux vidéos et font partie de la scénographie, comme un quatrième personnage ». Pour la première fois Larisa réalise un spectacle destiné à un public plutôt francophone, « une nouvelle audience ». Bénéficiant ici de soutiens publics (Escher Theater et Esch2022), elle se remémore cependant certains cours donnés à Londres très axés sur le marketing. « Quand on crée un spectacle, il faut penser à qui il est destiné, comment on va attirer cette cible, ce qui le rend unique, ce qui fait sa pertinence… Ce qui fait qu’un théâtre va investir et que des gens vont choisir ta pièce plutôt qu’un série Netflix ». On ne s’étonnera pas que goodgirlsmusical ait sa propre page Instagram.

Good Girls est joué du 8 au 12 novembre
à 20h à l’Ariston. theatre.esch.lu

France Clarinval
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