Europe de l’Est

Agriculture 2.0

d'Lëtzebuerger Land du 30.07.2021

Pas d’abeilles, pas de pollen. Pas de pollen, pas de fleurs. Pas de fleurs, pas de fruits. Pas de fruits, pas d’animaux. Pas d’animaux et de fruits, pas grand-chose à manger. Bref, il suffit d’éliminer les abeilles pour mettre en danger notre survie. Fragilisés par la pollution et les changements climatiques, nos écosystèmes posent de plus en plus de problèmes aux petits insectes qui assurent la pollinisation et la reproduction des plantes. Les industries polluantes les poussent à migrer vers des pays où la nature a été mieux conservée. En Europe elles préfèrent s’installer dans les pays moins développés où la nature n’a pas encore succombé à l’assaut industriel.

Dans ce scénario, les pays de l’Europe de l’Est ont un avantage face à l’Europe de l’Ouest. Selon le rapport sur l’apiculture européenne rendu public par l’organisation EU Beekeeping Sector fin 2020, c’est la Roumanie, pays situé aux frontières orientales de l’Union européenne (UE), qui s’impose sur le marché du miel. En 2020 la Roumanie a été le premier producteur de miel dans l’UE avec une production de 30 000 tonnes de miel. Quant au nombre de ruches, la Roumanie est en deuxième position après l’Espagne avec ses deux millions de ruches sur les 18, 5 millions que comptent les 27 pays de l’UE.

Les Roumains ont trouvé la baguette magique pour attirer les abeilles et augmenter la production de miel. Cette baguette ce sont les nouvelles technologies qui se développent aujourd’hui dans l’apiculture et l’agriculture. Bogdan Iordache, 43 ans, est un informaticien qui, en 2015, s’est découvert une passion pour les abeilles. C’est ainsi qu’il a développé l’application Apiary Book, accessible en 18 langues sur Google Play, qui permet de gérer les abeilles avec un téléphone mobile. La petite start-up roumaine est rapidement devenue leader mondial dans ce domaine en attirant 22 000 abonnés et 160 000 téléchargements. « En tant qu’informaticien je passais mon temps scotché à mon ordinateur, explique Bogdan Iordache. J’avais besoin d’un prétexte pour m’obliger à sortir de chez moi et à me reconnecter avec la nature, et j’ai suivi un cours d’apiculture. Au début je notais dans un carnet les données que je recueillais. Et puis j’ai inventé l’application Apiary Book. » Une idée qui vaut aujourd’hui des millions d’euros.

Les nouvelles technologies changent la donne non seulement en ce qui concerne la vie des abeilles, mais aussi en ce qui concerne l’agriculture. L’Europe de l’Est a hérité d’une situation contrastée laissée par les régimes communistes. D’une part, les énormes surfaces de terre des grandes fermes gérées par l’État. D’autre part, les petites surfaces entretenues par les paysans avec les moyens du bord pour une agriculture de subsistance. Dans les années 1990–2000 les grandes fermes privatisées avaient gagné le pari de l’agriculture, mais les nouvelles technologies jouent maintenant en faveur des petits entrepreneurs.

Le cas de la Roumanie illustre ces contrastes. Selon l’Eurostat, l’Office statistique de l’UE, un tiers des petites exploitations agricoles de l’UE se trouvent en Roumanie où neuf exploitations sur dix –  92 pour cent des 3,1 millions d’exploitations – ont une superficie inférieure à cinq hectares. Mais à l’autre extrême 0, 8 pour cent des fermes de plus de 50 hectares exploitent plus de la moitié de la surface totale du pays. La ferme de Braila, ville située à l’est de la Roumanie, possède 70 000 hectares de terre et s’enorgueillit d’être la plus grande ferme d’Europe.

Longtemps les fermes géantes ont mené le jeu dans l’agriculture de l’Europe de l’Est, mais la roue de l’histoire tourne à présent en faveur des petites surfaces qui, grâce à la technologie, trouvent une niche dans le futur. Norofert est une petite affaire agricole qui a démarré en Roumanie en 2000, et c’est en 2015 qu’elle a commencé à s’envoler grâce à une technologie qui produit des engrais écologiques sous forme de pastilles effervescentes. « Nous avons saisi la niche de l’agriculture bio et ça a marché, selon Vlad Popescu, le patron de Norofert. Nous sommes en train d’ouvrir une antenne de notre affaire aux États-Unis pour approcher le marché américain. Les nouvelles technologies ont changé le paysage industriel et elles commencent à changer la donne de l’agriculture. Les jeunes entrepreneurs sont en train de prendre le relais, et ce sont eux qui vont injecter les nouvelles technologies dans l’agriculture. »

La Roumanie profite des progrès de la technologie pour compenser son retard par rapport aux économies occidentales. Le 21 avril, la société roumaine UiPath, devenue leader mondial dans l’automatisation des processus par la robotique, a été estimée à quarante milliards de dollars à la Bourse de New York. Oublié le modeste appartement bucarestois où l’affaire avait démarré avec une petite équipe de jeunes informaticiens. Oubliés les champs abandonnés et les paysans qui, il y a dix ans, travaillaient encore la terre avec les charrues. Aujourd’hui les nouveaux paysans sont les jeunes informaticiens qui déploient leur créativité dans l’agriculture.

Mirel Bran
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