Bande dessinée

Quand le doute s’installe

d'Lëtzebuerger Land du 25.08.2023

Michel Bussi est, depuis une décennie, un des romanciers les plus lus du monde littéraire francophone avec plus d’un million de livres vendus en 2016, plus d’un million également en 2018 et encore en 2019. Un succès public doublé d’un succès critique, puisque cet ancien professeur de géographie a également remporté de nombreux prix littéraires dont celui du romain insulaire dans la catégorie « romain policier » pour Ne lâche pas ma main, sorti en 2013 et qui vient, dix ans plus tard, d’être adapté en bande dessinée.

Que ses livres soient adaptés, c’est loin d’être une première pour l’écrivain de 58 ans. Parmi ses nombreux romans, portant tous ou presque des titres issus de chansons françaises – dans ce cas-ci, il fait référence à la chanson homonyme de François Hadji-Lazaro (ancien du groupe Les Garçons bouchers mais aussi tenancier de bistrot dans le film Black Dju de Pol Cruchten) –, quatre ont déjà été adaptés pour la télévision et huit de ses ouvrages ont été adaptés en BD. Fred Duval avait déjà travaillé sur Un avion sans elle, avec Nicolaï Pinheiro au dessin ; et le duo Duval/Cassegrain avait déjà collaboré sur Nymphéas Noirs (pour lequel ils avaient obtenu le Prix BD RTL du mois de janvier 2019). Voici le duo de retour en librairie pour Ne lâche pas ma main, avec cette fois-ci la participation de Michel Bussi lui-même dans l’adaptation.

Comme toujours avec Bussi, l’album nous plonge dans un récit policier. Contrairement à la majorité de ses œuvres, en revanche, l’écrivain, ne situe pas son récit dans sa Normandie natale. Au contraire, Ne lâche pas ma main marque, dans la bibliographie de Bussi, le début d’une autre grande spécificité qu’on retrouve dans nombre de ses romans, celui de l’insularité. L’histoire se déroule sur l’Ile de la Réunion. À Saint-Gilles-Les-Bains, sur la côte ouest de l’île, la famille Bellion profite de quelques jours au soleil dans le sinon luxueux du moins sympathique hôtel Alamada. Il y a Martial, le père, Liane, la mère et Sofa, leur fille de six ans.

Un vendredi, alors qu’ils profitent de la piscine, la mère de famille remonte dans la chambre. Une heure après elle n’est toujours pas redescendue. Le père monte alors la chercher. La porte de la chambre est fermée et la jeune femme a disparu avec ses affaires. La chambre est sans dessus dessous, les affaires éparpillées au sol, un vase de fleurs renversé et de nombreuses traces de sang sur les draps, au sol ou sur les rideaux. Le mari demande alors à l’équipe de l’hôtel d’appeler la police. S’agit-il de la fugue précipitée d’une épouse volage, d’un enlèvement violent ou encore d’un meurtre dont on aurait dissimulé le cadavre ?

Ce sera à la capitaine Aja Purvi de mener l’enquête. La jeune femme est ambitieuse et semble avoir une revanche à prendre sur la vie, elle la « zarabe métisse créole » dont les parents ont travaillé toute leur vie, justement, à l’Alamada. Rapidement le témoignage du père de famille semble en contradiction avec ceux des employés de l’hôtel ; et, parallèlement, des cadavres de personnes récemment assassinées sont retrouvés dans les environs.

Martial Bellion passe ainsi de victime à coupable présumé. Tout l’accuse et lui-même se demande : « Pourquoi je suis revenu sur cette ile ? Pourquoi ? / Quelque chose a dérapé… Rien ne se passe comme prévu…/ J’ai perdu le contrôle… ». Il décide alors de d’enfuir avec sa fille. Une petite qui se demande si son père a tué sa mère comme les journaux télé semblent l’indiquer ? Le père ne cesse de lui clamer son innocence et lui demande de lui faire confiance.

Une course poursuite s’engage alors – en voiture, à pied, en hélicoptère, en bateau – entre ce père et sa fille et toutes les forces de police de La Réunion à travers les différentes zones de l’île, d’une côte à l’autre, en passant par le « Jardin d’Eden », par la nature luxuriante des hauteurs qui font penser à la Suisse ou encore par les espaces désertiques autour du Piton de la Fournaise.

Le scénario ne laisse aucun répit tout au long des 130 pages de ce one-shot découpé en quatre actes telle une pièce de théâtre. Un découpage bienvenu tant le récit est dense et probablement trop verbeux pour certains. Le scénario est pourtant haletant, riche en personnages – celui de l’adjoint de Purvi, le sous-lieutenant Christos Konstantinov est particulièrement savoureux –, plein de rebondissements créant à plusieurs reprises de nombreux doutes dans l’esprit du lecteur. Rien que pour ça, l’album pourrait déjà être considéré comme une réussite ; mais dans cette adaptation BD, le récit est accompagné non seulement par un découpage dynamique qui met le scénario en exergue, mais aussi et surtout par un dessin réaliste et expressif de toute beauté – qui s’offre d’ailleurs de jolis clin d’œil, comme, au moment de la découverte de la dépouille d’un certain Rodin –, qui rend hommage aux magnifiques décors de la Réunion, avec une palette de couleurs pastel et une lumière gorgée de soleil.

Une manière, pour les auteurs, d’offrir au lecteur un voyage à bas cout pour Le Réunion, sa diversité, sa flore, les spécificités de sa population. On sent que le professeur de géographie ne s’est pas totalement effacé derrière le romancier et que le duo Duval/Cassegrain a tenu à rester au plus près du roman.

Un album à recommander à tous les amateurs de polar.

Ne lâche pas ma main de Duval et Bussi. Aire Libre/Dupuis

Pablo Chimienti
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