Des refus d’aller à la piscine de la part de certaines filles, qui présentent pour cela des certificats médicaux de complaisance. Des refus de garçons de s’asseoir en classe à côté d’une fille ou de lui serrer la main. La contestation de certains enseignements. Des tenues vestimentaires trop ostentatoires. Des tensions entre élèves lors des repas (« halal » et « non halal ») et à l’époque du ramadan. Ou encore le refus de suivre un cours dans une classe ayant du mobilier rouge, supposément interdit par le Coran. Telles sont les principales difficultés que rencontre en France l’Éducation nationale en matière de laïcité et de mixité au sens large.
Pour la première fois, le ministre Jean-Michel Blanquer a dévoilé, le 11 octobre dernier, des chiffres concernant les obstacles pour faire appliquer la laïcité en milieu scolaire. « 402 cas ont été traités, entre avril et juin, par les équipes dédiées des rectorats », a-t-il révélé, en précisant qu’au total, un millier de cas avaient été signalés et qu’environ soixante ont été jugés suffisamment « difficiles » pour entraîner un déplacement de ces « cellules laïcité » dans les établissements publics concernés. « Plusieurs religions, et pas que l’islam, peuvent être impliqués », a tenu à préciser le ministre.
Comment interpréter ces chiffres ? Comme ce sont les premiers, il n’existe par définition pas de points de comparaison possibles pour juger si le nombre de cas traités est en hausse, en baisse ou en stagnation. On peut néanmoins les placer en regard des grands agrégats de l’Éducation nationale: quelque 55 000 établissements, de la maternelle au lycée, accueillent 12,5 million d’élèves pour plus de 850 000 enseignants (enseignements public et privé confondus).
Loin des caricatures, des clichés ou de l’idéologie qui sont souvent au cœur des discours sur « l’islamisation » de la société, ces éléments soulignent que les atteintes à la laïcité à l’école ne sont pas un phénomène massif. Un constat du reste mis en avant par le Comité national d’action laïque (Cnal), sur la base d’une enquête de l’Ifop rendue publique en juin 2018 : « La situation est globalement apaisée, l’école laïque met en application le principe de laïcité, ne combat pas les religions mais les tient à distance. Neuf enseignants sur dix estiment que le climat scolaire autour de la laïcité est aujourd’hui apaisé dans leur école ou leur établissement scolaire ». Ainsi, la loi du 15 mars 2004 interdisant à l’école les signes ou tenues vestimentaires « ostensibles », comme le voile islamique, est « peu contestée et, quand elle l’est, 97 pour cent des enseignants disent que les difficultés sont réglées par le dialogue ». « Si l’on met de côté, ajoute le Cnal, les situations où les élèves ne situent pas encore la différence entre savoir et croyance et les provocations adolescentes, les problèmes rencontrés sont très rarement des atteintes insupportables à la laïcité ».
Une fois ce tableau d’ensemble brossé, il faut toutefois souligner que la majeure partie de ces atteintes ont lieu dans un petit nombre d’écoles, le plus souvent dans les quartiers les plus pauvres des banlieues des grandes métropoles. En particulier en région parisienne, dans le Nord et autour de Marseille. « Environ un établissement sur dix en France connaît régulièrement ou de temps en temps des difficultés ou des contestations », détaille le Cnal, en soulignant que dans ce cadre « les actes ou paroles d’intolérance entre élèves, de racisme, d’antisémitisme, de pression à l’égard des filles atteignent un niveau inquiétant ».
Du coup, les enseignants sont en première ligne pour gérer ces tensions liées à la mixité, plus qu’à l’application de la laïcité stricto sensu. Ils sont « une majorité à s’alarmer de la montée des communautarismes » (52 pour cent, contre trente pour cent de l’ensemble des Français) et « 27 pour cent d’entre eux se disent inquiets concernant l’adhésion des élèves et des familles aux valeurs de la République, une inquiétude deux fois plus ressentie » par les enseignants des écoles de quartiers défavorisés. Pour le Comité national d’action laïque, « cela permet de mesurer toute l’importance du rôle de l’école pour contrecarrer ces tendances néfastes ». Et « l’immense tâche » confiée ainsi aux enseignants, qui sont néanmoins encore très peu nombreux (six pour cent) à avoir bénéficié d’une formation continue sur la laïcité.