Architecture

Eh Beng, vingt ans déjà…

d'Lëtzebuerger Land du 12.10.2012

Sur le dos du gros livre, quelque 350 pages, outre le nom de Beng, un chiffre qui a priori n’est pas nécessairement évident : 7 673 ; qui est repris en tout petit, en bas de la couverture, et là le lecteur comprend de suite : 7 673 jours, une vingtaine d’années donc. Et à rebours, il fera la connaissance du bureau d’architecture, jusqu’à l’an 1, les débuts où quatre jeunes gens passés à La Cambre, l’institut bruxellois, décidèrent de sauter le pas dans la vie professionnelle. Aux Bidaine, Engel, Noury et Goedert, se dont associés depuis Pedro De Matos et Denis Rosolen. Et le bureau de s’étendre, d’une part en essaimant à l’étranger, d’autre part en créant un atelier spécifique « Espace & Paysages ».
Le livre qui célèbre l’anniversaire se clôt sur des images de l’intérieur du bureau d’Esch-sur-Alzette, sur un puzzle de ses collaborateurs. Il s’est ouvert  sur un texte de Jérôme Netgen, opposant deux figures d’architecte, deux caricatures plutôt, en premier un homme arrivé, « d’âge mûr, un peu enrobé et donc porteur des attributs du bourgeois bohème… », en second, « un jeune loup ambitieux et utopiste ». Pour se convaincre qu’on est loin de la réalité luxembourgeoise, il suffit de frayer les manifestations de l’Ordre ou de la Fondation ; il est vrai toutefois que pour Beng, la femme n’est pas de la partie à l’étage supérieur.
En exergue du texte, une citation extraite de la Poétique de l’espace, de Gaston Bachelard, « la maison, dans la vie de l’homme, évidence des contingences, multipli(ant) ses conseils de continuité ». C’est mal traduit en allemand, où les contingences sont carrément exclues, et si c’est faux, c’est d’autant plus regrettable que plus loin, avec raison et justesse, l’on considère comme l’une des caractéristiques de Beng leur faculté d’adaptation : « L’architecture de Beng est réputée pour être particulièrement pratique : puriste, sensible et en harmonie avec son environnement ».
Il y a cette évidence des contingences, elles sont multiples dans le métier, et l’architecte ne perd rien à en tenir compte, à s’y plier même. Cela n’empêche pas son coup de patte de s’imposer, et à feuilleter le livre, à passer des réalisations de plus ample envergure, dans les domaines de l’éducation, du sport ou de la culture, aux habitations, collectives ou individuelles, nouvelles ou seulement transformées, ce qui frappe le plus fort, c’est le sens, accentué, et heureux, de Beng pour les volumes, leur création, de grande rigueur, leur juxtaposition et leur imbrication, d’une netteté qui n’exclut pas des fois un certain enjouement.
Voilà pour l’aspect extérieur, où en plus l’attrait est souvent donné par une utilisation variée des matériaux, leur dialogue ; et puis telles ouvertures
viennent en même temps rythmer les espaces créés à l’intérieur, les inonder de lumière. Et ce qui pourrait peut-être sembler trop sévère, se trouve aussitôt atténué, ou rehaussé plutôt, par de la couleur ; à l’extérieur, elle donne de la forme, elle souligne, tout au contraire, à l’intérieur, la voici pourvoyeuse d’atmosphère, et elle estompe si l’on veut.
Le dernier chapitre du livre montre telles collaborations de Beng avec des artistes, et dirai-je qu’il souligne en même temps la difficulté de cette part faite (dans le meilleur esprit) à l’art, aux intrusions plastiques, dans une architecture dont on serait enclin à constater qu’elle se suffit à elle-même. Me revient à l’esprit la réflexion d’un artiste internationalement connu, appelé à concourir pour une réalisation majeure dans une institution européenne, disant qu’il est fait appel justement aux arts pour cacher ou mieux faire passer au moins les défauts, les fautes de l’architecture. Qu’on le prenne donc comme un compliment, quand on chipote sur ce point.

Lucien Kayser
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