Festival

Cinéma hors-piste à Gérardmer

d'Lëtzebuerger Land du 05.02.2021

Le Festival international du film fantastique de Gérardmer vient de se terminer. Dans ce contexte si particulier, le frisson était à la fois dehors, dans la rue où sévit toujours l’épidémie, et dedans, où perdure tant bien que mal le virus du cinéma sur les petits écrans devant lesquels le public a pu assister à cette 28e édition intégralement en ligne. Diverses animations ont ponctué ces cinq jours de festivités avec notamment des entretiens quotidiens avec les réalisateurs et les membres du jury invités via Instagram et Facebook. Concernant le cru de cette année, douze longs-métrages de fiction étaient soumis à l’appréciation du jury présidé par Bertrand Bonello, aux côtés de Pascal Bonitzer, Camélia Jordana et du comédien Gaspard Ulliel notamment. Côté courts, cinq films étaient présentés au jury présidé par Pio Marmaï, qui a choisi de récompenser le film de Michiel Blanchart, T’es morte Hélène (2020).

Après une année 2020 chaotique et incertaine, la psychologie humaine semblait parée à toutes les épreuves pour affronter les peurs et les fantômes du cinéma fantastique et de ses dérivés. En compétition officielle, Rob Savage, un jeune cinéaste dans la vingtaine, s’est fait remarquer pour sa façon de saisir l’esprit et les nouveaux usages de l’époque, pleinement ouverte désormais à de multiples configurations virtuelles. Auteur, à 18 ans, d’un premier long-métrage primé dans de nombreux festivals (Strings, 2012), il présente à Gérardmer son nouveau film, Host (2020), conçu à partir d’un dispositif aussi dépouillé qu’efficace, puisqu’il s’agit ni plus ni moins d’une application Zoom. Grâce à la barre des fonctions visible tout au long du film dans la partie inférieure du cadre, le spectateur s’identifie à ce que perçoivent à tour de rôle cinq jeunes femmes en quête de sensations fortes – dont le cinéaste a conservé les véritables prénoms – qui se réunissent en vue d’organiser une séance de spiritisme en ligne. Mais le rituel tourne (forcément) mal, en étant sans cesse court-circuité par des commentaires et des interventions incongrus, ce qui permet au cinéaste de pointer au passage les maux dernièrement recensés au sein de la population étudiante (difficultés de concentration, sentiment d’isolement, etc.). Or, les esprits convoqués durant la séance ne sont pas du tout contents du peu de respect que leur témoignent les participantes et ne vont pas tarder à se manifester à leur détriment. Impossible, dès lors, de se cacher derrière l’écran de son ordinateur, ni même d’y trouver un refuge opportun. Spectralité et procédé virtuel se complètent ici affreusement bien.

Les autres films en compétition nous rappellent combien le corps humain est diversement habitable. Quand il n’héberge pas des démons au cours d’une séance de spiritisme qui dérape (Host, donc), il peut être annexé par une technologie neurologique mise au point à des fins criminelles par une organisation secrète. Il ne s’agit pas ici du pitch de Scanners (1981), le film de David Cronenberg réédité cet été en salles, mais bien de la vision terrifiante que déploie Possessor (2020), le deuxième long-métrage de son fils (après Antiviral en 2012), Brandon Cronenberg, qui a obtenu le Grand Prix du Festival de Gérardmer. Tasya Vos (Andrea Riseborough), agente à la solde de cette organisation, voit la combine se retourner contre elle après avoir investi le corps d’un homme au goût prononcé pour la violence... et avec lequel elle finit par se confondre, jusqu’à se perdre dans un dédale introspectif où elle se voit confrontée à ses propres pulsions de mort. Autre façon d’habiter un corps en proie au transhumanisme : le zoomorphisme, soit la métamorphose de l’humain en un animal qui y trouve un lieu de parasitage privilégié. Là encore, La Mouche (1986) de Cronenberg fait figure de référence incontournable du genre. Ce sont ici les moustiques dans le film de Filip Jan Rymsza (Mosquito State, sur le trading comme continuation de la guerre) ; la transformation en loup du jeune Teddy dans le film éponyme de Ludovic et Zoran Boukherma (lauréat du Prix du Jury, ex aequo avec Sleep, le premier long-métrage de Michael Venus) ; ou encore les sauterelles des Nuées dont fait élevage Virginie (Suliane Brahim), mère de famille dont le quotidien glisse subrepticement vers la folie sanglante, sur fond de crise agricole. Les Nuées, de Just Philipot, marche dans les pas du « réalisme gore » de Grave (2017) ; le film a obtenu le Prix du public et le Prix de la Critique de cette 28e édition du Festival international du film fantastique de Gérardmer.

Loïc Millot
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