Jeune public

Blonde-bouilles et gribouillis

d'Lëtzebuerger Land du 14.10.2022

Sous le confort et la chaleur de la Rotonde ouest, la Cie SCoM – Sterno Circo occipito Mastoidienne, a invité les jeunes spectateurs et leurs accompagnants à vivre avec eux Trait(s), un programme court entre cirque, musique et peinture qui ne faiblit jamais et qui aura coupé la chique à tous les gamins de l’assistance. Une grande réussite donc, signature de l’ambitieuse programmation jeune public des Rotondes, de loin la plus convaincante de la région.

L’entrée en matière d’un spectacle jeune public a toujours de quoi amuser. On rassemble les mômes dans un endroit réservé à la cordialité, où l’on s’oblige à la patience. Un lieu, rapidement, devenu temple de la folie infantile. Les parents jacassent de pluie et de beau temps, tandis qu’autour d’eux des petites pattes courent et sautent, des lèvres sourient ou se serrent pour pleurer. L’impatience du « pestacle » est palpable, et là, dans cette salle d’attente improvisée, on a l’impression qu’un monde parallèle s’est construit en deux minutes trente, celui d’enfants sous sucres rapides, sortis tout droit d’un trip au Parc Merveilleux, et militant pour faire du territoire qui les entoure, leur pays à eux, usine à rêverie, mine d’imaginaire. Le spectacle, pour l’adulte comme pour l’enfant, commence déjà là, et la condition d’accueil est inhérente à la pleine plongée spectaculaire…

Et puis, tout commence, les enfants – et les parents – galopent jusque dans la grande salle des Rotondes et paf s’arrêtent net. Trois gradins forment un cercle, créant au centre l’espace de jeu, non pas une cour de récréation, mais le lieu où se joue la pièce, là où d’autres jouent, des adultes tient. Alors, sagement, tous s’installent. Le gradin cisaille le dos, mais tant pis, on part pour trente-cinq minutes de fantasmagories, le dos attendra le chiropraticien, autre lieu de jeu, moins que de rêverie.

En amorce, les deux jeunes artistes en scène nous préviennent : « restez bien sur les gradins », jets de peinture et cerceaux – une « roue Cyr » – en mouvement pourraient tacher ou heurter… Personne n’a de toute façon envie de poser un pied au sol. Tout le monde l’a compris, l’espace est « consacré », et ce code de représentation est assez finement introduit par les artistes. Quand d’habitude, au moins un bambin finit dans la zone derrière le quatrième mur, lors de notre passage devant Trait(s), aucun ne s’y est aventuré. C’est rare, et cela formule le symbole d’un spectacle qui rend chacun devant, heureusement captif.

C’est aussi à la force d’un spectacle passionnant, construit en différents fragments, permettant un éminent suspense de « physicalité », que la troupe réalise ce tour de force de captiver l’entière assemblée d’enfants. Inspiré par les œuvres des peintres abstraits Vassili Kandinsky, Joan Miro, Yayoi Kusama et Sonia Delaunay, – tout de même mais sans forcément impressionner – Trait(s) met en scène une circassienne à la roue Cyr et un musicien multi-instrumentiste, réunis pour peindre. Pourtant, cela vu, ce « cirque graphique » comme décrit, ne s’arrête pas à la seule composition d’une toile, et s’en est même qu’une bribe, logée au premier degré.

Au contraire, ce qu’on y voit de peinturluré à trait plus à un prétexte de mise en scène : la peinture comme parti pris et ligne d’intention, de démarrage. En fait, les traits et tracés sont partout, dans les nappes sonores qui filent et voltigent, dans les gestes à l’agrée de cirque, étirés par la circassienne, les sons du plateau, ceux de l’anneau frottant la matière picturale sur le papier. Ce qui domine finalement c’est cette idée exposée dès l’implantation, celle de cercles, imbriqués les uns dans les autres. Une rotonde abritant un gradin circulaire, lui-même jalonnant des roues aux mouvements infini… Un cercle c’est rassurant, instructif, et ça brise la géométrie quadrangulaire du spectacle qui peut, parfois, effrayer les plus petits.

Au final, cet axe fonde la justification intello-artistique du projet, celle de l’exploration du cercle, laissant sur son passage des traces, celles du « circassien en mouvement ». Et si tout cela se tient, et attise la curiosité de l’adulte, celle de l’enfant est décuplée par l’heureuse fantaisie qui se dégage de l’association musique/cirque. Le duo exulte vraiment, de leur sourire constant, de leur énergie créative, de leur rythme en bonhomie, pour que l’ensemble contente le regard du gosse qui s’émerveille sans forcer, jamais. Rançon du succès : un silence scotché à cette cathédrale sphéroïdale, jusqu’aux applaudissements sincères d’un public jeune, bien biberonné par les Rotondes dans sa quête de futur spectateur conscient..

Godefroy Gordet
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