EP #0 de Perudo

L’art de ne rien dire en deux leçons

d'Lëtzebuerger Land du 26.08.2010

Discrète de nature, la scène instrumentale locale continue son petit bonhomme de chemin, souvent snobée par les spotlights médiatiques et les consommateurs lambda. Et pourtant, sa pertinence et son pouvoir d’évocation ne sont pas certainement pas en cause. La preuve par deux.

Tout d’abord, avec l’arrivée d’un premier EP intitulé #0 de Perudo, disponible en téléchargement. Derrière ce pseudonyme se cache Pierre Bianchi, qui a fait partie entre autres de Miaow Miaow et d’Eyston. Les six titres proposés s’ancrent dans l’abstract hiphop, genre qui connaît ces jours-ci un salutaire regain d’intérêt grâce à des personnages comme Flying Lotus, qui se permettent de réactualiser les codes du genre. Tombé dans une injuste marginalisation, ce courant connut pourtant son heure de gloire, il y a une quinzaine d’années avec l’avènement d’artistes comme DJ Shadow, DJ Krush ou encore DJ Cam et l’apparition de labels comme Mo’Wax ou Ninja Tune, parmi les plus connus.

Les morceaux proposés sont constitués exclusivement à partir de samples que Perudo retravaille ensuite. Il parvient à recréer l’atmosphère enfumée et noire, inhérente à la majorité des productions du genre. On assiste à un travail d’orfèvre au niveau des textures tandis que les samples sont millimétrés et bien choisis ; beats lourds et autres craquellements de vieux vinyle créent sans peine une atmosphère dense, propre à des délires cinématiques. L’entreprise est malgré tout quelque peu entachée par un lassant Araka qui tourne assez vite en rond et un 10, qui, malgré des passages somptueux, s’éparpille trop. Pour le reste, des morceaux comme Shaved fish, Dawn waves ou encore B-O-C font monter graduellement la sauce et la tension, à coups de petits samples, placés avec beaucoup d’à propos, sans perdre le fil rouge.

Si l’EP n’arrive pas à se démarquer entièrement d’un exercice de style, pour devenir une œuvre à part entière, celui-ci est néanmoins assez convaincant pour miser quelques kopecks sur la suite des pérégrinations de Perudo.

Ensuite, dans un autre registre, signalons les adieux de Yegussa, sous la forme d’un deuxième EP, le bien nommé Dead and empty. Générale­ment, les adieux offrent un autre éclairage sur le parcours d’un artiste ou d’une formation. Éclairage émaillé de regrets, de nostalgie, voire de soulagement. Ici, on penchera pour la première possibilité. Si Yegussa a décidé d’arrêter les frais, le trio a le bon goût de terminer sur un point d’orgue. Considéré souvent comme le petit frère plus concis de Tvesla (également disparu cette année), ce combo proposait un rock tendu et (forcément) instrumental, recentrant ici le propos vers une certaine idée du rock noisy US des 90’s ou des formations plus récentes comme Shellac, Part Chimp ou toute la clique franco-italienne du label Africantape.

On a droit à six morceaux, joués avec une grinta viscérale, restituée sans fard par l’enregistrement de Gilles Bar­tholmé et par le mastering de Charel Stoltz. L’artwork montrant trois oiseaux noirs effectuer un vol piqué entérine le côté funeste. Chacune de ces pièces se voit gratifiée d’un commentaire, qui donne des indications interprétatives quant à leurs poèmes soniques.

La section rythmique soutient très efficacement le jeu de guitare qui aime varier le ton. Souvent brut de décoffrage, avec de vicieux coups de rasoirs qui visent la carotide, le guitariste sème cependant ici et là des arpèges empreints de mélancolie. Alternant passages emportés à d’autres où la rage est plus rentrée et insidieuse, le groupe a opté pour une approche plus âpre et ramassée, soignant ses compos en trouvant un équilibre, voire une pertinence qui faisaient parfois défaut sur leur premier EP éponyme, qui en comparaison ressemble à une compilation de jams mal dégrossies (seul le palot Cho dénote et renoue avec ces errements). Les différents paliers sont maîtrisés et les passages les plus cinglants sont délivrés avec ce dosage d’abandon et de justesse, que l’on peut entendre sur Neuroleptica, Atopie ou encore le morceau titre.

Ainsi, Yegussa s’offre des adieux sur la pointe des pieds, paradoxalement bruyants, avec peu de temps morts et autant de passages à vides.

Pour plus d’information sur : www.myspace.com/yegussa, myspace.com/perudolux. Pour télécharger l’EP, aller sur www.perudo.bandcamp.com.
David André
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