Selfie linguistique III

En français w.e.g.

d'Lëtzebuerger Land du 17.03.2017

La situation linguistique ici est parfois ambiguë. J’habite au Luxembourg et je travaille ici depuis 1999. Je suis Français, mais ma femme est Luxembourgeoise, ainsi que mes deux enfants. J’ai également beaucoup d’amis qui sont Luxembourgeois, alors je me sens bien intégré. Mais il y a aussi des moments où je me sens un peu exclu. Par exemple lors des élections nationales : même si toute ma vie se joue ici, je ne peux pas voter. C’est bien dommage.

Quand je suis venu au Luxembourg, je ne savais pas encore si j’allais rester. J’ai accompagné un ami d’enfance et nous avons commencé à travailler ensemble dans la restauration car j’ai une formation de serveur. Je ne parlais que le français. J’ai vite trouvé un autre travail dans une brasserie au centre-ville qui était fréquentée majoritairement par des Luxembourgeois. C’est là que j’ai appris mes premiers mots de luxembourgeois. Après avoir rencontré ma compagne de vie, je me suis inscrit à un cours de langue. Mais comme je travaillais dans la restauration, il était difficile de suivre les cours du soir régulièrement et avec la rigueur nécessaire dû à mes horaires. Ayant raté le cours plusieurs fois, ils ont fini par m’exclure.

Comme les Luxembourgeois parlent le français, je me débrouillais bien sans le luxembourgeois. Maintenant, lorsque je commence à leur parler en luxembourgeois et qu’ils remarquent que je suis Français, les Luxembourgeois changent souvent de langue et me parlent en français aussi. De cette manière, il est cependant difficile d’élargir mes connaissances du luxembourgeois. C’est quand j’ai commencé à travailler avec des francophones qui parlent le luxembourgeois, que j’ai pu m’entraîner en luxembourgeois avec eux. Cela m’a motivé à le parler.

Maintenant je travaille dans le café d’un lycée. Le fait que le français soit ma langue maternelle n’a pas posé de problème et a été une des raisons pour lesquelles la direction m’a embauché. Encore une ambiguïté. Le directeur veut que les élèves du lycée appliquent leurs connaissances de français. Ainsi je suis sollicité à utiliser le français, ce qui permet aux étudiants de le pratiquer et de s’y familiariser. Tout comme à la maison, où mes enfants de par mon utilisation du français, ont eu plus de facilité dans leur apprentissage de la langue. Depuis cette année j’ai une collègue débutant dans le métier qui ne parle pas le français, alors je dois tout lui expliquer en luxembourgeois. Parfois cela est difficile pour moi, mais en même temps ça m’aide beaucoup à apprendre.

J’ai commencé aussi à parler plus souvent le luxembourgeois à la maison. Normalement je parle en français avec ma femme, mais avec mes enfants ça dépend de la situation. Quand il a y des choses sérieuses à expliquer, je préfère le faire en français. Comme ça, je suis sûr qu’ils me comprennent.

Le luxembourgeois est important pour avoir accès aux administrations et être informé de la politique. C’est plutôt là où je me sens mal à l’aise. Il y a autre chose qui me gêne un peu : même si je comprends que la majorité des Luxembourgeois aient voté contre le droit de vote pour les étrangers au référendum – je conçois leur crainte de perdre en influence – je trouve la discussion actuelle sur l’importance du luxembourgeois un peu exagérée. Car les étrangers qui habitent ici, au moins ceux que je connais, font de leur mieux pour apprendre le luxembourgeois.

Après presque vingt ans au pays, je ne suis plus l’actualité politique en France comme je le faisais au début. Ce sont les décisions de la politique d’ici qui influencent ma vie et mon avenir ainsi que ceux de ma famille. C’est pour cette raison que j’aimerais bien avoir mon mot à dire. Et c’est également pourquoi j’envisage sérieusement d’introduire une demande pour la double nationalité.

Régis Hervé
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