Les mues du journal lusophone Contacto reflètent l’histoire de l’immigration portugaise

Nouvelle vague

Ménage portugais
Photo: Patrick Galbats
d'Lëtzebuerger Land du 17.03.2017

La presse lusophone luxembourgeoise a connu son premier essor dans les années 1960-1970 : du journal salazariste (As Cinco Quinas, 1966) au périodique maoïste (A Verdade), en passant par le bulletin de l’União (A Nossa Voz, 1975). Parmi la panoplie de projets publicistes qui sont nés dans cette période mouvementée, seul le Contacto aura survécu. Il fut fondé en 1970 par l’association Amitiés Portugal-Luxembourg, proche de l’Église catholique. Durant ses premières années, le Contacto informe ses lecteurs sur la vie associative portugaise et les questions politiques et sociales touchant à leur vie quotidienne. Jusqu’à la Révolution des Œillets de 1974, il reproduira le discours officiel portugais, c’est-à-dire l’idéologie de l’Estado Novo. Bien que rédigé et distribué au Luxembourg, le journal était imprimé au Portugal ; cette soumission volontaire à la censure salazariste laisse songeur. José Correia, rédacteur en chef depuis 1996, se rappelle avoir un jour reçu un coup de téléphone du Portugal. À l’autre bout du fil, un homme se présente – non sans fierté – comme l’ancien censeur du Contacto. « Il a dit m’appeler pour me féliciter de la survie du journal. Il m’expliquait qu’il avait toujours admiré les tournures adroites que le Contacto trouvait et qui lui permettaient de laisser passer certains passages. »

Après la révolution de 1974, le ton changea. Belmiro Nariño de Campos, dit « padre Belmiro », catho de gauche et anti-salazariste, sera quinze ans durant rédacteur en chef du Contacto. (Il est décédé en janvier de cette année.) À partir de 1977, le LCGB s’implique activement dans la publication du journal ; chaque adhérent portugais du syndicat recevra automatiquement un abonnement. En 1987, le Contacto est repris par les éditions Saint-Paul et se professionnalise. En 1996, pour élargir son lectorat, le journal devient gratuit. En quelques années, le nombre d’abonnés triple, passant de 5 000 à 15 000. Cette masse critique crée un argument de vente pour les annonceurs. Le Contacto, qui s’adresse à une communauté lusophone qui pèse plus d’un cinquième de la population totale, continue ainsi à capter un nombre considérable de publicités sur un marché qui reste pourtant déprimé. Luxlait, le Kichechef, les boucheries Ferreira et Mc Donald’s sont des annonceurs réguliers. Mais c’est à Cactus que revient la dernière de couverture ; semaine après semaine, la chaîne de supermarchés y décline sa gamme portugaise : liqueur Beirão, bacalhau, bûche de Noël a portuguesa, vinho tinto, huile d’olive de la marque Gallo. (D’autres annonceurs du Contacto, comme Cora, Auchan et Delhaize, misent également sur ce créneau communautaire, mais sans s’offrir le même degré de visibilité.)

Si, au sein de son équipe, José Correia est le seul natif du Luxembourg, il a fait son lycée au Portugal où ses parents étaient retournés après l’adhésion du Portugal à la CEE en 1986. (Le rédacteur en chef estime que de nombreux enfants d’immigrés passés par l’école luxembourgeoise écriraient un « portugais trop déficient pour l’écriture journalistique ».) En 1996, au sortir de l’université de Strasbourg où il étudiait l’histoire, José Correia est embauché par le Contacto dont il devient le premier journaliste à plein temps. Durant les premières années, son travail consiste principalement à s’occuper du réseau de correspondants locaux, pour la plupart issus de la vie associative ou syndicale, dont il corrige et édite les textes. En trois ans, le journal changera deux fois de rythme de parution ; il devient bimensuel en 1997, hebdomadaire en 1999. Tout juste avant la percée d’Internet, la fin des années 1990 constitue une deuxième époque dorée pour la presse lusophone. (Editpress lance d’ailleurs à ce moment-là un produit concurrent, Correio, dont la publication cessera en 2013). Entre février 2011 et décembre 2012, l’équipe rédactionnelle du Contacto travaille sur le Point 24, l’éphémère concurrent à L’Essentiel, dont l’édition portugaise paraissait les mardi et les vendredi. Un travail supplémentaire happé aujourd’hui par la version portugaise du portail multilingue de wort.lu. Le Contacto est de plus en plus fréquemment cité par les autres médias, principalement sur des dossiers sociaux (accidents de travail, pratiques de dumping sur les chantiers) et linguistiques (langues enseignées et pratiquées dans les écoles et crèches).

Sa rédaction se compose de cinq personnes : une juriste, un ancien sportif professionnel et des journalistes ayant auparavant exercé leur profession au Portugal. Cette composition reflète la nouvelle vague de l’immigration portugaise. Depuis 2003, de nombreux jeunes urbains et diplômés ont quitté le Portugal en direction du Grand-Duché. Cette donne sociologique commence à transparaître dans les statistiques luxembourgeoises qui voient le pourcentage de Portugais très faiblement formés reculer d’à peu près trois pour cent par an. (Même si la barrière linguistique bloque encore souvent l’accès aux emplois correspondant au diplôme universitaire.) Sur la dernière décennie, le journal a également réussi à s’attacher les services de nouveaux correspondants au Portugal : un journaliste-vedette, une thésarde, un ancien haut fonctionnaire… D’une certaine manière, le Contacto « profite » d’une double crise : celle, structurelle et mondiale, de la presse écrite et celle, économique et sociale, qui frappe l’Europe dite « périphérique ».

En septembre 2016, Saint-Paul annonce une « réorganisation de son pôle lusophone ». José Campinho, passé de Correio à New Media Lux, puis de Amazon à Decisão (« le premier magazine économique et business pour la communauté lusophone au Luxembourg », édité par Saint-Paul), fut engagé comme nouveau gérant du Contacto et de Radio Latina. Un mois plus tard, désormais doté d’une nouvelle maquette, le journal devient payant – le prix : un euro au kiosque. « Un produit payant a plus de valeur », estime son rédacteur en chef, José Correia, même s’il concède qu’il est difficile de faire changer les habitudes de lecteurs qui ont reçu le journal gratuitement pendant vingt ans. Il dresse une généalogie du lectorat : « La première génération reste très attachée au papier ; la deuxième génération, de 35 à quarante ans, nous lit soit sur papier soit sur Internet ; quant à la troisième génération, soit elle ne nous lit plus, préférant lire en français ou en luxembourgeois, soit elle nous lit par attachement émotionnel, parce que le Contacto a toujours été une présence dans la maison familiale. »

À feuilleter les vingt dernières éditions de l’hebdomadaire lusophone Contacto, on trouve des critiques highbrow (sur l’expo Les héritiers de Jérôme Bosch à la Villa Vauban ou sur la rétrospective
Almada Negreiros à la Fondation Gulbenkian de Lisbonne), des reportages fouillés (Luxleaks, fausses autorisations de commerce), de longues analyses (robotique, printemps arabe) et des entretiens-fleuves avec des artistes locaux (quatre pages pour le sculpteur Wil Lofy ; deux pages pour le journaliste-écrivain Gaston Carré). On y trouve aussi des comptes-rendus détaillés de publications scientifiques sur l’immigration portugaise, mais également sur des sujets plus inattendus comme la politique du gouvernement portugais en 1940 vis-à-vis des réfugiés juifs luxembourgeois. Certains de ces articles sont postés sur les réseaux sociaux, ce qui permet d’en mesurer le retentissement. Parue en février sous le titre (traduit ici en français) « Si les étrangers pouvaient voter, les problèmes dans l’éducation seraient rapidement résolus », une longue interview avec Jean-Jacques Weber,
professeur en sociolinguistique à l’Uni.lu, a recueilli
311 « likes » et 206 partages, ce qui au Luxembourg constitue déjà un effet viral. Bien que, selon le dernier sondage Plurimedia, il compte 55 700 lecteurs (soit le double du Jeudi ou du Feierkrop), le Contacto ne reçoit pas d’aide à la presse. Le journal remplit six des sept critères définis par la loi sur la promotion de la presse écrite – à une exception près : avoir « recours principalement aux langues luxembourgeoise, française ou allemand ».

Bernard Thomas
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