L’argent de poche, un vecteur de fidélisation cher aux banques

Million dollar babies

d'Lëtzebuerger Land du 29.01.2021

Effet pandémie Tout se mange aujourd’hui à la sauce Covid-19. La thématique de l’argent de poche n’y échappe pas. La banque ING a ainsi tenté en septembre dernier de voir un lien entre le confinement, les gestes barrières et la distribution de sous aux enfants par les parents. La banque néerlandaise relève qu’aujourd’hui seuls les deux tiers des parents donnent l’argent de poche en liquide, alors que le pourcentage s’élevait à 86 pour cent en 2017. Effet pandémie ? Toujours est-il qu’ING s’est érigée en leader de la publication corporate sur un créneau apprécié des banques : l’épargne des enfants à travers l’argent de poche. La banque avait ouvert la brèche via une étude quantitative réalisée en 2014, ING International Survey. Ce sondage opéré sur 12 000 personnes originaires de treize pays européens révélait que les personnes ayant reçu de l’argent de poche quand elles étaient jeunes maîtrisaient « mieux leurs dépenses » à l’âge adulte. Depuis, ING (qui propose le service « Junior Savings ») livre régulièrement des publications sur l’argent de poche pays par pays. Le Luxembourg se classe parmi les cinq premiers en termes de proportion de parents qui donnent de l’argent aux enfants. Les parents luxembourgeois seraient parmi « les plus généreux », un facteur à lier au coût de la vie et aux salaires (au pouvoir d’achat donc). Mais les chiffres ne paraissent pas.

Old school En 2019, la BIL (qui offre ses comptes Billy, le petit écureuil violet) s’est penchée sur le sujet par le truchement des comportements bancaires de plus de 200 jeunes de 14-20 ans du Lycée Aline Mayrisch, dont une large majorité sont des Luxembourgeois (90 pour cent). Vu l’amplitude des âges des élèves, la répartition homogène de l’argent de poche donné par les parents n’étonne guère. 29,5 pour cent reçoivent entre cinquante et cent euros, 25,6 entre 25 et cinquante, 20,8 entre cent et 200 et 19,8 pour cent entre zéro et 25 euros. 4,3 pour cent reçoivent plus de 200 euros.

Pour ce qui concerne les supports bancaires, 80 pour cent des jeunes interrogés disposent d’un compte courant. 76 pour cent ont une carte de débit, vingt pour cent une carte de crédit. Pour transférer de l’argent, ils sont 21 pour cent à procéder par virement, 19 par Digicash. Douze pour cent disposent d’un compte Paypal. « Face à une génération hyper connectée, nous nous attendions à ce que nos répondants privilégient essentiellement la banque à distance. Nous avons donc été plutôt surpris de constater que presque soixante pour cent des sondés ne disposent pas encore d’un espace de banque en ligne ou ne s’y rendent jamais », relève l’établissement de la route d’Esch.

Plus surprenant encore, 63 pour cent des répondants au sondage envisagent en premier lieu le rapport avec la banque via l’agence, pour 38 pour cent par téléphone. L’email et la messagerie sécurisée ne sont considérés que bien après. La demande de sécurité ressurgit néanmoins comme critère le plus important pour une banque à 90 pour cent, loin devant l’accessibilité (57 pour cent). La banque ne prétend pas à ce que ces résultats reflètent « une image fiable du pays », mais tire néanmoins une conclusion : Les jeunes « apprécient la simplicité et l’accessibilité de leur banque, mais ils recherchent aussi et avant tout un partenaire fiable et capable de les accompagner dans la gestion de leurs besoins financiers futurs. Plutôt rassurant », juge l’établissement de la route d’Esch, bien à propos. Dans une logique commerciale déjà éprouvée, la banque cherche à nouer un lien via le parent dès le plus jeune âge afin de fidéliser sa clientèle.

Depuis 1961, la Caisse d’épargne de l’État passe outre l’intermédiation parentale pour accéder à l’enfant avec ses « Spuerbéchse ». Ces petites tirelires dotées de cinquante euros (autrefois cent francs) distribuées lors des fêtes de l’épargne scolaire aux élèves de première année d’école primaire bénéficient d’un passe-droit assez remarquable de la part des communes, révélateur de la possibilité pour les banques d’entrer dans les écoles. La tendance s’est même institutionnalisée ces dernières années, mais dans une logique moins commerciale.

Et au début, il y avait un comité Consécutivement à la crise des subprimes, durant laquelle des banques, des professionnels de la finance et des agences de notations sont tombés dans le panneau des crédits pourris, a germé l’idée louable d’ériger « une stratégie nationale en matière d’éducation financière ». Quoi de plus logique pour un centre financier international, deuxième place mondiale pour la distribution de fonds d’investissement et domicile de 17 fonds « madoffés » ? En 2012, quatre ans après, le régulateur financier la CSSF a créé le Comité pour la protection du consommateur financier, un aréopage d’associations plus ou moins liées à la finance, à la consommation et aux jeunes. Après deux ans de réflexion, ces sages ont conclu que la prévention était clé et qu’il convenait d’investir dans l’éducation financière. CQFD.

En 2014, un groupe ad hoc est né pour préparer une stratégie nationale en matière d’éducation financière. Des initiatives éparses ont vu le jour. Relevons « d’Woch vun de Suen » organisée par le lobby des banques. L’ABBL (plus précisément sa fondation) envoie ainsi une semaine par an des professionnels de la finance à l’école fondamentale pour sensibiliser les enfants à l’argent, « apprendre aux jeunes âgés de dix à douze ans à mieux gérer leur argent et leur épargne et par conséquent les sensibiliser à l’importance de la maîtrise budgétaire pour leur avenir ».

Selon les conseils du Jugendtamt, les enfants de quatre à neuf ans peuvent recevoir entre 0,5 et trois euros par semaine. Ceux entre dix et treize ans, entre treize et 22 euros par mois. Les grands de quinze à 18 ans ou plus, entre 25 et 70 euros par mois.

Pierre Sorlut
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