«Le Luxembourg compte parmi les États membres qui sont considérés globalement comme ayant le moins bien suivi les recommandations par pays des grandes orientations de politique économique (GOPE)», écrit la Commission européenne à l’adresse du gouvernement dans son évaluation des économies de la zone euro. Les reproches formulés par Bruxelles, mardi, ne le sont pas pour la première fois, que ce soit par la Commission européenne ou par l’OCDE à Paris. Or, jusqu’ici, le Luxembourg pouvait répondre: «Regardez nos taux de croissance et admirez!» Pas de chance, l’argument ne convainc plus trop depuis deux ans.
Les réactions ministérielles au document bruxellois varient. Interrogé par Le Quotidien, Henri Grethen a répondu qu’«il avait d’autres chats à fouetter» que de lire des rapports de la Commission, qu’il appelle à formuler des propositions concrètes. Ce que l’exécutif européen fait en fait année après année. La lecture d’un des rapports vaudrait peut-être vraiment la peine, un de ces jours, pour le ministre de l’Économie. D’autant plus que la Commission y défend des idées qu’un certain Henri Grethen, il fut un temps, aurait sans doute soutenu.
Plus malin, l’éternel premier de classe Luc Frieden a préféré survoler le rapport afin de s’en approprier les cerises. Il est vrai que le ministre du Budget s’en sort plutôt bien dans les commentaires de la Commission, et ce en dépit du fait qu’elle estime le déficit budgétaire (selon la définition du pacte de stabilité) à 1,8 pour cent du PIB en 2003. Or, tout fier, Luc Frieden a pu présenter mercredi son programme de stabilité et de croissance – un exercice annuel exigé de tous les pays de la zone euro – avec un déficit réduit à 0,3 pour cent en 2003, 0,7 pour cent l’année prochaine et même plus que 0,1 pour cent du PIB en 2005. La différence entre ces chiffres et ceux de Bruxelles s’expliquerait par les ajustements budgétaires que le gouvernement a dû effectuer en automne après la révision des chiffres de croissance par le Statec. Confirmation dans quelques semaines après analyse du dossier à Bruxelles.
Tout est donc dans le meilleur des mondes, pourrait-on croire. Or, comme disait Churchill, il ne faut faire confiance qu’aux statistiques qu’on a manipulé soi-même. À la différence du budget de l’État, le pacte de stabilité se base sur les recettes et dépenses réelles du secteur public en un an. La présence de réserves ou les vases communicants entre budget et fonds d’investissement ne l’intéressent pas. Ce qui retient son attention par contre, ce sont les budgets aussi bien de la sécurité sociale que ceux des administrations communales. Un élément qui sert bien le ministre du Budget.
Grâce aux nombreux frontaliers jeunes et en pleine forme, la sécurité sociale luxembourgeoise encaisse chaque année plus d’argent qu’elle n’en dépense:546 millions d’euros de trop en 2003 et même 713 millions en 2005. L’administration centrale de l’État par contre affiche un budget fortement déficitaire. Cette année, l’État dépensera dix pour cent de plus (692 millions d’euros) qu’il n’a de recettes. En 2005, ce taux approchera douze pour cent.
Ce n’est donc que grâce aux surplus de la sécurité sociale – qui, il est vrai, sont en partie financés à travers le budget de l’État – que les critères du pacte de stabilité sont respectés au Grand-Duché. En prenant en compte les seules recettes et dépenses de l’administration centrale et des communes, le Grand-Duché afficherait un déficit budgétaire de 2,7 pour cent en 2003 et exploserait même la limite de trois pour cent du pacte de stabilité l’année prochaine avec un déficit de 3,4 pour cent. Il ne reste donc qu’à espérer que les nouveaux cotisants à la sécurité sociale de la dernière décennie n’oseront jamais vieillir ou tomber malade.
Jean-Lou Siweck
Catégories: Finances publiques
Édition: 12.09.2002