Les vacances de Pâques des juges étaient prévues du 4 au 21 avril. Ils sont donc rentrés. À moins qu’ils n’aient jamais quitté le Luxembourg. Ou qu’ils soient confinés quelque part en Europe, à Tallin, la Valette ou à Naples. Une source, officielle pourtant, n’est sûre de rien. Pour les avoir croisés par hasard, elle peut seulement confirmer la présence au Grand-duché des trois juges espagnols. On peut rêver d’un monde dans lequel cette information, qui concerne des personnes publiques, serait en libre accès. Mais où qu’ils soient, ils travaillent, dit la directrice de la Direction des technologies de l’information, Raluca Peica. Dans la lettre interne de la Cour du 22 avril, elle annonce que « les réunions liées à l’activité judiciaire (tels que les délibérés et les conférences de chambres) ainsi que les réunions de coordinations, peuvent maintenant se tenir virtuellement ». « Le système de vidéoconférence Webex utilisé par la Cour est hébergé dans nos locaux et l’utilisation des équipements de l’institution permet d’assurer une communication sécurisée entre les participants aux réunions », partage-t-elle sereinement. Des spécialistes de l’informatique en doutent. « Certes, il n’y a pas de risque d’espionnage sur le cloud, mais il y a d’autres menaces. La Cour a déjà des failles de sécurité, ce n’est pas une raison pour en ajouter d’autres. C’est un peu comme si vous sortiez de chez vous sans fermer la porte à clé. Personne ne vous a cambriolé, donc vous vous dites qu’il y a pas de voleur et le lendemain vous laissez la porte grande ouverte », dit-un expert. Un héritage de la gestion informatique chaotique depuis dix ans sur laquelle il n’y a pas lieu de revenir.
La Cour n’a de toute façon pas le choix si elle veut avancer. La semaine de congé de l’Ascension va arriver puis les sept semaines de vacances d’été à partir de la mi-juillet. Il est peu probable que les cabinets des juges renoncent à leurs congés. Leur cabinet est équipé de laptops pour le télétravail. Ils gardent le même rythme qu’à leur bureau. Les juges ont des vacances mais aussi, en temps ordinaire, de nombreuses activités extérieures (ou missions), réduites à néant en ce moment mais qui vont reprendre un jour, petit à petit. Pour certains, le Covid-19 donne l’occasion à la Cour de remettre les compteurs à zéro. De faire cesser le doute qui plane sur la réelle utilité de certaines missions. Certes, dans la liste de 2019, publiée récemment sur le site de la Cour, de nombreux organismes et instituts ont demandé de venir leur parler du droit européen… « mais de l’intérieur, on voit bien que, pour les missions et activités extérieures, peu d’informations gênantes s’échappent », dit une source. « La parade à la transparence est simple, il suffit de mettre le moins d’information possible dans ces documents administratifs. D’ailleurs depuis quelques années, la Cour, mais pas le Tribunal, ne met même plus les demandes d’autorisation sur les procès-verbaux de ses réunions hebdomadaires. Elle se contente de dire qu’elle accepte toutes celles qui lui ont été adressées. » Et d’ajouter, en passant : « Peu de gens le savent. Il y a deux budgets pour les missions. » Un pour la catégorie une, les représentations protocolaires, tous frais payés, plus un per diem dont la Cour refuse toujours de révéler le montant. Et la catégorie deux, les missions d’intérêt européen, moins bien remboursées. « S’il reste de l’argent pour la catégorie une en fin d’année on le transfère dans la deux et on paie comme pour la catégorie une. Le premier qui demande est le premier servi. Il y a des spécialistes en la matière », nous raconte notre contact.
Depuis 2017, chaque année sur son site, la Cour publie une liste, longue mais minimaliste, avec le nom de juges, et les organismes invitants. Point de date. Et pourtant le Parlement les exige ainsi que l’objet de la mission et les frais engagés, des données qui n’apparaissent pas. Deux exemples permettent d’en comprendre l’intérêt. En 2016, le juge irlandais informait le Tribunal au cours de sa réunion hebdomadaire qu’il partait en mission à Dublin. Il avait rendez-vous avec « Madame l’Attorney général d’Irlande » le 4 novembre, pendant la semaine de vacances dite « blanche » parce qu’il n’y a pas d’audiences. Sa mission débutera le dimanche 30 octobre pour finir le 5 novembre. Pour cette visite il prendra « sa voiture de service CD » et demandera un chauffeur pris dans le pool spécialement créé pour les besoins des juges du Tribunal européen, seuls les juges de la Cour ayant un chauffeur attitré. Autre exemple, la juge Bulgare demande à partir pour Sofia le mercredi 26 octobre pour « des entretiens ou réunions de travail en vue de l’organisation de futures initiatives relatives au droit de l’UE ». Une mission de trois jours, jusqu’au vendredi suivant, veille des vacances de la Toussaint. Elle prendra sa voiture CD (dont les frais lui seront aussi remboursés) et un chauffeur du pool. Pour beaucoup, concilier travail et loisirs aux frais du contribuable, organiser des réunions dans son pays natal qui correspondent à la tenue d’évènements privés est une pratique trop longtemps tolérée. On l’a dit, la crise du Covid-19 et le retour à la normale pourraient être le point de départ d’une Cour plus vertueuse.