Inflation

Prix administrés

d'Lëtzebuerger Land du 01.07.2004

« Back to the 1970s? » s’interrogeait il y a trois semaines The Economist. L’hebdomadaire craint un retour de la « stagflation », de l’inflation élevée en période de stagnation économique. La première hausse depuis quatre ans des taux d’intérêt de la Federal Reserve, mercredi, doit être vue dans le même contexte. En mai, le taux d’inflation aux États-Unis a dépassé les trois pour cent. Alors que les intérêts de la Fed s’élevaient à seulement un pour cent. Vues du Grand-Duché, toutes ces interrogations semblent bien loin. Tout comme le conseil de la Banque centrale européenne (BCE) siège même en absence d’un représentant luxembourgeois, il ne faut pas trop s’inquiéter qu’une hausse des taux d’intérêt vienne freiner la reprise conjoncturelle parce que le Luxembourg connaîtrait une trop forte hausse des prix. On peut le voir de la manière. On peut aussi se dire que ce n’est pas à Francfort qu’on commencera à s’inquiéter de notre sort. Le Luxembourg ou plutôt l’Union économique belgo-luxembourgeoise avait depuis la moitié des années 80 une politique monétaire simple : suivez le guide, c’est-à-dire la Bundesbank allemande. Avec l’avènement de l’euro, la référence est devenue plus large. Plutôt qu’un pays, elle en couvre douze. L’hystérie autour de la lutte contre l’inflation a perdu beaucoup d’actualité, semble-t-il. Or, il n’en est rien. Jamais l’inflation n’a été un indicateur plus important qu’aujourd’hui. En effet, un point d’inflation de plus que son voisin équivaut, dans une zone à monnaie unique, à la perte d’un point en termes de compétitivité. En supposant toutes autres choses égales, c’est aussi simple que ça. Dans le pays A, les coûts de production augmentent alors que dans le pays B, ils restent stables. À ce jeu, le Luxembourg ne fait que perdre. Depuis l’année 2000, le Luxembourg affiche systématiquement une hausse des prix plus forte que ses partenaires européens. La situation est plus inquiétante encore dans la comparaison entre le Grand-Duché et ses principaux partenaires commerciaux : Allemagne, Belgique, France et Pays-Bas. Année après année, l’inflation locale dépasse la moyenne des leurs. C’était vrai en 2000 (3,2 p.c. contre 2,1 p.c.), en 2001 (2,7 contre 1,9), en 2002 (2,1 contre 1,7), en 2003 (2,0 contre 1,8) et reste vrai en 2004, mois après mois. Plutôt que d’être en ligne avec les hausses de prix dans les pays voisins, le Luxembourg affiche des taux comparables à l’Irlande, l’Espagne ou encore le Portugal. Or, pour ces pays on peut argumenter qu’ils sont entrés dans la zone euro avec une monnaie sous-évaluée par rapport au Deutsche Mark. Ce qui n’était pas le cas du franc belgo-luxembourgeois. Entre le début 2002 et le début 2004, indique la BCE1, le Grand-Duché a, par la seule inflation, perdu 2,5 points en termes de compétitivité vis-à-vis des autres pays de la zone euro. La France (0,6) et les Pays-Bas (0,8) sont certes dans une situation similaire, mais les principaux partenaires commerciaux du Grand-Duché ont gagné en compétitivité : un point pour la Belgique et même 2,2 pour l’Allemagne. L’euro a donc bien permis au Luxembourg d’échapper aux effets défavorables de fluctuations des taux de change. Mais l’économie nationale a payé un prix. L’inflation n’est certes qu’un élément dans la compétitivité d’un pays. La perte de vitesse du Luxembourg se confirme cependant dans d’autres indicateurs. Dans son Rapport annuel 2003, la Banque centrale du Luxembourg (BCL) tire la sonnette d’alarme2 : Oui, quand on ne regarde que le secteur manufacturier - pour lequel des indicateurs de compétitivité existent depuis le plus de temps - la situation apparaît encourageante. Mais dès qu’on élargit le champs d’analyse, la situation se détériore sérieusement. Comme le président de la BCL Yves Mersch l’a récemment formulé sous forme d’une boutade : « Il nous faudrait une dévaluation comme en 1982. » La recherche d’un coupable pour l’inflation s’arrête au suspect éternel : l’indexation automatique des salaires. Dès que le taux d’inflation dépasse 2,5 pour cent par an et que les tranches indiciaires tombent avec moins de douze mois d’intervalle, la progression des coûts salariaux devient problématique. C’était le cas de 1999 à 2001. Depuis, les délais se sont rallongés à quatorze mois. Trop peu pour une véritable accalmie. Mais les salaires et leur indexation ne suffisent pas à tout expliquer. Au-delà des chocs externes, comme le pétrole, il y a d’autres éléments. La progression de l’inflation au début de la décennie n’avait ainsi rien d’extraordinaire en tenant compte de la très forte croissance économique. Le ralentissement économique depuis 2001 n’a cependant apporté qu’une accalmie relative au front des prix. Le taux d’inflation se maintient autour de deux pour cent depuis 2002. Les prix de l’essence aidant, il a même atteint 2,6 pour cent aux derniers chiffres. Mais même en dehors des influences exogènes, le taux d’inflation se maintenait en 2003 à 2,1 pour cent. Ces chiffres impliquent que chaque euro déposé actuellement sur un compte d’épargne auprès d’une banque est en train de perdre en valeur plutôt que d’en gagner. Parmi les responsables de l’inflation, on trouve aussi les pouvoirs publics. Yves Mersch n’arrête pas de fustiger les hausses des « prix administrés ». Le Statec retient pour sa part pour 2003 des éléments comme les coûts des virements bancaires, les prix du parking, ceux des services postaux et les tarifs médicaux parmi les explications pour l’entêtement de l’inflation. Faisant une fois de plus de l’air à ses frustrations au sujet de l’indexation des salaires, le président de la Fedil, Charles Krombach, estimait il y a quelques semaines qu’un gouvernement qui veut maintenir l’« index » doit viser une inflation zéro. Cette déclaration tient plus du lobbyisme politique que de la réalité économique. Elle indique surtout que les employeurs semblent avoir moins de problèmes avec l’« index » qu’avec le fait que leurs salariés osent vouloir gagner plus avec le temps. Des comparaisons montrent que les progressions des revenus ne sont malgré l’indexation à moyen terme pas plus élevées au Grand-Duché que dans les pays voisins. Il reste qu’une perte de compétitivité s’occupera à terme d’elle même de l’inflation par l’absence de croissance. Gouvernement, conseils échevinaux et autres acteurs publics ne doivent pas perdre de vue qu’ils sont aussi des acteurs économiques. Leur responsabilité est de même en jeu quand on adresse les prix des loyers et de l’immobilier, ou encore des crèches faute d’équilibre entre offre et demande. Mais il est sans doute plus simple d’en vouloir aux messagers et de casser le thermomètre.

1 Banque centrale européenne, Bulletin mensuel 05/2004, mai 2004, p. 44 (www.ecb.int)

2 Banque centrale du Luxembourg, Rapport annuel 2003, avril 2004, pp. 20-22 (www.bcl.lu)

Jean-Lou Siweck
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