Il est bien connu que les 135 000 frontaliers français, belges et allemands représentent une partie considérable des salariés au grand-duché. Or, à côté de leur contribution évidente au niveau du capital humain, c’est leur pouvoir d’achat qui a une relevance tout aussi importante pour l’économie luxembourgeoise. Une étude, effectuée par le Statec et le Ceps/Instead (d'Land, 20/06/08), explique maintenant les comportements en termes de dépenses des frontaliers au Luxembourg. Et ce sont avant tout les Français qui ont changé leurs habitudes d’achat lors de ces dernières années.Selon les estimations des auteurs de l’étude, les frontaliers, toutes origines confondues, ont dépensé 1,220 milliard d’euros en 2007, ce qui correspond à une dépense annuelle moyenne de 9 076 euros par an. Il s’agit d’une augmentation notable par rapport aux données recueillies lors d’une étude similaire en 2003 : il y a cinq ans, ces chiffres ne s’élevaient qu’à 835 millions d’euros avec une dépense moyenne de 7 833 euros par personne. Pendant la période 2003-2007, les dépenses totales des frontaliers ont donc progressé de 46,2 pour cent, tandis que la dépense moyenne par frontalier s’est accrue de quelques 15,9 pour cent.
Or, comme le montrent les statistiques, la moyenne des dépenses par personne n’a pas tellement changé. Les auteurs de l’étude indiquent que l’accroissement du nombre des frontaliers de 106 856 à 134 935 est, à lui seul, à l’origine de deux tiers de l’augmentation de la dépense totale. D’autres facteurs sont à prendre en considération comme l’inflation des prix, l’évolution des comportements de dépenses et l’évolution de la structure entre les frontaliers des trois pays.
C’est en effet le changement de la dynamique des dépenses au sein des différents groupes nationaux qui explique le dernier tiers de l’augmentation. En 2007, les Français dépensaient 10 196 euros par personne, tandis que les Belges arrivaient à 8 662 euros et les Allemands à 6 997 euros. En 2003, les dépenses de nos voisins francophones étaient encore plus proches les uns des autres, avec 8 125 euros (France) et 8 079 euros (Belgique) par personne, lorsque les Allemands étaient à 6 655 euros. En d’autre termes, l’augmentation du pouvoir d’achat des Français, ou bien leur volonté d’acheter plus de produits au grand-duché, a partiellement contribué à la hausse des dépenses frontalières. Cette augmentation de la part des frontaliers résidants en France est d’autant plus spectaculaire qu’elle compense l’augmentation de quatre points de la représentation des frontaliers allemands, qui dépensent moins d’argent en général.
Cette hypothèse se confirme avant tout dans les achats de voitures, qui représentent 17 pour cent de la dépense totale des frontaliers. Les Français sont en effet responsables d’une majeure partie des ventes de véhicules : 15 pour cent d’entre eux viennent acheter leur voiture au Luxembourg, contre seulement quatre à cinq pour cent des Belges et des Allemands. Ces premiers ont vu une hausse de cinq points, tandis que les deux autres groupes ont gardé des dépenses assez stables. Une tendance similaire se dessine dans le nombre de fois que les frontaliers viennent faire réparer leur voiture au grand-duché, où les Français prédominent aussi. Selon Guy Schuller du Statec, un des auteurs de l’étude, leur grande proportion à acheter des voitures explique la large contribution française aux dépenses frontalières. Cependant, s’il est vrai que les dépenses françaises sont moins fortes dans les autres secteurs, elles y ont aussi progressé ces dernières années. Selon les estimations du Statec et du Ceps/Instead, la visite de restaurants par les frontaliers belges et allemands a baissé entre 2003 et 2007, tandis que celle des français a augmenté de 4,4 pour cent. Puis, pour ce qui est de la dépense moyenne de ceux qui font leurs courses au Luxembourg, les frontaliers français ont gagné 7,6 points par rapport à 2003, ce qui les rapproche des comportements de leurs homologues belges et allemands. En ce qui concerne l’achat de vêtements et de chaussures, la proportion française des dépenses a augmenté de 8,8 points, confirmant ainsi la tendance générale : Les frontaliers originaires de l’hexagone dépensent beaucoup plus au Luxembourg qu’il y a cinq ans. Même s’ils ne surpassent pas les Belges et les Allemands dans certains secteurs, les Français ont bel et bien gagné du terrain.
Mais, comment expliquer cet état des choses ? La première hypothèse du Statec et du Ceps/Instead réfère, tout simplement, à l’introduction de l’euro. L’arrivée de la monnaie unique aurait donc montré aux frontaliers français que les prix au Luxembourg n’étaient pas forcément plus chers que chez eux, ce qui a finalement pu les inciter à augmenter leurs dépenses. D’un autre côté, les auteurs de l’étude remarquent que ce phénomène ne s’est pas produit chez les deux autres groupes, ce qui relativise cette idée, bien sûr. La deuxième hypothèse doit de même être mise en rapport avec l’effet euro. Les auteurs expliquent que la régionalisation des marchés a permis une meilleure comparabilité des produits et des prix. Vu que les Français se sont rapprochés des comportements de leurs homologues dans certains secteurs, cette hypothèse est bien valable. Elle est en effet vraie pour l’achat des produits soumis à accises, représentant la plus grande partie (30 pour cent) du budget frontalier en 2007, où il n’existe pas de disparités importantes entre les frontaliers français, belges et allemands.
Dans ce dernier secteur, il faut d’ailleurs remarquer que le nombre des frontaliers achetant de l’essence a stagné depuis 2003, ce qui indique que le seuil de saturation pourrait être atteint. De l’autre côté, les ventes d’alcool et de tabac ont toutes les deux diminué pendant la même période. Vu que le budget total pour le carburant a grimpé de deux points depuis 2003, c’est donc l’envolée des prix d’essence qui explique en partie la hausse des dépenses des frontaliers aux stations de services luxembourgeoises, et non pas l’augmentation de la consommation d’un groupe particulier. Avec des cours de pétrole frôlant les 140 dollars par baril en 2008, on est sans doute encore loin de voir la fin de cette évolution.
Finalement, un autre aspect intéressant de l’étude porte sur les motivations des dépenses frontalières. Selon les statistiques recueillies, 35 pour cent des frontaliers évoquent les coûts moindre au grand-duché comme une des incitations à la dépense dans leur pays de travail. Or, les auteurs du Statec et du Ceps/Instead indiquent que le prix n’est que rarement déclencheur des comportements de dépenses. Pour les dépenses courantes, comme les courses et les vêtements, les frontaliers citent avant tout le gain du temps et l’offre de produits indisponibles dans leurs pays. La première raison reflète donc des contraintes professionnelles des frontaliers, tandis que la deuxième démontre l’attractivité du marché luxembourgeois. Or, ici encore, il existe des nuances, comme c’est le côté pratique du gain du temps qui l’emporte de 16 points sur l’offre de produits luxembourgeois.
Dans tous les cas, cette étude sur les dépenses des frontaliers a aussi confirmé que le Luxembourg est devenu, au cours de ces dernières années, un marché qui attire des acheteurs de l’autre côté des frontières. Si ce phénomène se fait remarquer en particulier chez nos voisins français, il est tout aussi valable pour la totalité des frontaliers qui, à côté de l’explosion de leurs effectifs (+26,4 pour cent), dépensent un cinquième de leur salaire au grand-duché.