Inflation

Leçons d’orthodoxie

d'Lëtzebuerger Land du 19.06.2008

Rien ne semble pouvoir l’anéantir. Ni les remèdes de « bonne femme », ni les déclarations de bonnes intentions : le Luxembourg est un des champions européens de l’inflation avec un taux annuel qui a atteint le record de 4,8 pour cent, selon les statistiques livrées cette semaine par Eurostat. Ce niveau n’inquiète plus le gouverneur de la Banque centrale du Luxembourg, il l’affole. Yves Mersch n’en finit pas de le répéter, comme si, à force de le tourner en boucle, le message allait provoquer un sursaut de conscience tant dans la classe politique que dans la population salariée (y compris les frontaliers) : la compétitivité de l’économie luxembourgeoise s’érode de tous les côtés.  

Les écarts d’inflation cumulés au Luxembourg entre 1999 et fin 2007 ont atteint 2,5 points de pourcentage par rapport à ses partenaires de la zone euro et 6,5 points par rapport à la moyenne des pays limitrophes, a averti cette semaine Yves Mersch en présentant son rapport annuel et en sortant de sa manche un énième rapport de ses experts pointant du doigt certaines rigidités du système luxembourgeois. Le atron de la BCL en a presque regretté d’ailleurs les limitations qui sont imposées au champ d’action de l’eurosystème, qui n’a pas les instruments, et encore moins la compétence de réduire les différentiels d’inflation dans la zone euro. La lutte contre l’inflation est une priorité absolue de la Banque centrale européenne, mais la solution aux prix trop élevés reste « une affaire nationale ».

Le Luxembourg, avec un taux d’inflation (version IPCH qui tient compte de la consommation des non-résidents) qui va flirter avec les 4,5 pour cent en 2008, pour descendre à 2,8 en 2009 et 2,3 en 2010, selon les projections de la BCL, doit donc faire d’urgence une introspection pour identifier les raisons de ces différentiels et « prendre des mesures adéquates », au risque sinon de détériorer encore davantage la compétitivité de son économie très ouverte sur l’extérieur. L’origine du mal est connue pour le patron de la BCL qui n’hésite pas à désigner « les développements salariaux non-alignés sur les pays partenaires », les « évolutions défavorables de la productivité » et les « inefficiences structurelles enracinées ». Il n’est pas difficile de voir dans ces propos une nouvelle attaque directe contre le mécanisme de l’indexation des salaires, dont la modulation et les mesures de report dans le temps, décidées au printemps 2006 lors d’une Tripartite, montrent un impact assez limité. Le gouvernement qui sortira des urnes après les législatives de juin 2009 pourrait d’ailleurs revenir sur la modulation comme le demandent en chœur les syndicats, en réintégrant notamment les prestations sociales de la hausse mécanique qui en furent extirpées il y a deux ans. Ce qui ne fait qu’aggraver les angoisses d’Yves Mersch.

L’étude de la BCL montre que les coûts salariaux unitaires ont progressé de 1,95 pour cent par an entre 1996 et 2006 au Luxembourg alors que cette hausse a été limitée à 1,22 en France, 1,38 en Belgique et qu’elle a même accusé une décrue en Alle­magne avec -0,05 pour cent. Dans le même temps, la productivité du travail s’est révélée plus faible au grand-duché (+1,06 p.c.) que chez ses voisins immédiats, qui représentent la destination de plus de la moitié des exportations luxembourgeoises et de près de 40 pour cent des exportations de services (+1,08 en Allemagne, +1,14 en Belgique et +1,27 en France). Les experts pointent encore l’index sur la progression, plus rapide au Luxembourg qu’ailleurs, de la rémunération par employé : +3,01 p.c., alors que la France affiche un taux de 2,52 p.c., la Belgique de 2,49 p.c. et l’Allemagne qui a mis un frein aux dérapages salariaux, de 1,06 p.c. Pire encore, entre 2001 et 2006, la progression de la productivité du travail a été trois fois plus faible que sur l’ensemble de la décennie (1996-2006), aggravant encore davantage la position compétitive du Luxembourg. « La productivité du travail au Luxem­bourg paraît vulnérable à une réduction de l’attractivité du Luxembourg pour les investissements étrangers », note Yves Mersch. Et moins d’investissements pourraient peser sur la santé de l’économie et du secteur financier. Les premières délocalisations dans cette branche se manifesteraient déjà selon lui. 

Le patron de la BCL s’acharne à souligner le paradoxe du gouvernement CSV/LSAP qui a décrété la modération salariale avec une main droite qui gèle l’indexation automatique des salaire et une main gauche qui lâche du mou sur les rémunérations de la fonction publique. La facture de la « pause » de la modération salariale dans le secteur public, assure-t-on à la BCL, hypothèque lourdement la compétitivité. Elle a réduit l’impact de la rémunération moyenne par personne en 2007 dans l’ensemble de l’économie à 0,2 points de pourcentage. Sans cette pause, les hausses de rémunérations par salarié auraient atteint 3,3 p.c. en 2007 et 3,4 cette année, alors qu’elles s’affichent, une fois intégré l’accord avec les fonctionnaires, à respectivement 3,5 et 3,4 pour cent.

Véronique Poujol
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