Les commissions d’office – témoignage de l’avocate-stagiaire Julie Wieclawski

Dans l’eau froide

d'Lëtzebuerger Land du 15.12.2017

d’Land : En tant qu’avocate-stagiaire, vous êtes obligatoirement inscrite sur la liste des commis d’office. Les policiers et juges d’instruction peuvent vous appeler quand un suspect est arrêté. La première fois que vous rencontrez votre client, c’est donc au bureau du commissariat ou au cabinet du juge d’instruction ?

Julie Wieclawski : À tour de rôle, une douzaine d’avocats-stagiaires sont de permanence. Lorsqu’une personne est arrêtée, le policier ou le greffier parcourt la liste des commis d’office jusqu’à ce qu’un avocat décroche. Les semaines pendant lesquelles on est de permanence, on peut être appelé à chaque instant, donc également la nuit, le weekend et les jours fériés. Il arrive que la Police se montre coopérative et renseigne en amont dans quel cadre la personne a été arrêtée. Cela permet de se mettre dans le bain, de savoir à quoi s’attendre. Même s’il est évident qu’en route vers le commissariat, l’avocat n’aura pas le temps de feuilleter le Code pénal. Une fois arrivé, il a entre quinze et vingt minutes pour parler au suspect avant que ne commence l’interrogatoire.

Un quart d’heure, c’est peu…

Certains de mes confrères sont frustrés parce que le suspect ne leur dit pas tout ou parce qu’il leur ment. Je pense qu’il faut prendre du recul. Car quinze minutes, ce n’est évidemment pas assez pour gagner entièrement la confiance de quelqu’un. L’avocat doit donc donner le temps au temps. Certains éléments de la vie d’un client ne se dévoileront que par la suite. Après, je pense que l’impression qu’on donne lors de cette première « rencontre » détermine souvent si on gardera le client ou non.

Comment est-ce qu’on vit ces situations en tant que jeune avocate ?

La plupart des jeunes avocats viennent d’un milieu social très éloigné de ces réalités. Nous sommes confrontés à des expériences que nous avons du mal à comprendre ou qui nous ahurissent. On voit des choses taboues dans la société : la prostitution, les drogues, les sans-abris. Bien qu’il s’agisse de milieux sociaux éloignés du mien, je trouve ces permanences intéressantes et humainement enrichissantes.

Les suspects comprennent-ils votre rôle ? Distinguent-ils entre l’autorité judiciaire et l’avocat ?

Jusqu’ici, il a été plutôt rare qu’on refuse mon assistance ou ignore complètement mes conseils. Les suspects sont informés par la police de leur droit de se faire assister par un avocat. Ceux qui ont plus d’« expérience » avec la justice savent qu’ils pourront encore changer d’avocat par la suite.

Le fait que la commission d’office soit assurée par des avocats-stagiaires relativement inexpérimentés ne compromet-il pas les chances du suspect ?

Au début, on est jeté dans l’eau froide. On peut être appelé pour un délit de la route, un viol, une histoire de drogues, on peut être confronté à toute la panoplie. En principe, l’avocat ne joue qu’un rôle passif durant les interrogatoires. Les conseils avant l’interrogatoire dépendent des éléments du dossier qui sont portés à la connaissance de l’avocat. On conseille surtout de ne rien dire qui puisse inculper plus que nécessaire et on renseigne sur la possibilité de faire usage de son droit de se taire. Le plus important après l’interrogatoire, c’est de garder à l’œil les formalités procédurales. Rapidement on développe un « feeling » pour ces interrogatoires. Il ne sert ainsi à rien de contester les évidences, par exemple je ne vais pas conseiller à un body packer de nier d’avoir ingurgité des drogues.

Souvent, les dossiers sur lesquels interviennent les commis d’office tombent sous le régime de l’assistance juridique. L’avocat stagiaire ne peut donc facturer que 57 euros par heure. Cette faible rémunération n’est-elle pas un incitant à bâcler rapidement les dossiers ?

Les dossiers d’assistance judiciaire permettent de faire des expériences professionnelles, de développer son esprit et ses valeurs ; donc de trouver ses marques en tant qu’avocat. Ce qui est beaucoup moins le cas quand on ne travaille que sur les dossiers du patron de stage.

Quel rôle jouent les traducteurs lors des interrogatoires ?

On peut se sentir écarté de son rôle. Le suspect ne parle qu’à l’interprète qui donne un feedback sans qu’on puisse vérifier l’exactitude de la traduction. La seule chose sur laquelle je peux me baser durant l’interrogatoire, c’est ce que dit l’interprète. À la fin, la déclaration est relue et traduite – mais par le même interprète – ce qui permet au suspect de vérifier ses déclarations.

Les commissions d’office vous mettent également au contact avec le système pénitentiaire ?

Il y a des cas où on découvre qu’un détenu n’a jamais reçu de visite de son avocat commis d’office. Je trouve que c’est inadmissible ! Le détenu doit être informé du contenu de son dossier répressif et de la procédure. J’essaie de passer à Schrassig au plus tard le week-end qui suit ma permanence. Après l’interrogatoire devant le juge d’instruction, il faut consulter le dossier répressif et vérifier s’il y a des incidents procéduraux. On voit aussi comment certains souffrent psychiquement en prison. L’atmosphère entre détenus est dure et quelqu’un qui n’a pas vécu dans la rue ou qui ne connaît pas la prison aura plus de mal à la supporter.

Bernard Thomas
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