Arendt & Medernach, Elvinger, Hoss & Prussen, Loyen & Loeff, Allen & Overy, Linklaters et Clifford Chance : Enquête sur le fonctionnement interne des grands bureaux d’avocats d’affaires

Les Maîtres

d'Lëtzebuerger Land du 16.05.2014

« Up or out », monter ou déguerpir. Les grands bureaux d’avocats d’affaires sont structurés en pyramide. En haut : quelques rares associés, techniciens pointus supervisant les dossiers et entretenant le contact avec les clients. En bas : une armée de jeunes avocats mercenaires sans cesse renouvelée par l’arrivée de nouvelles recrues, dont la très grande majorité ne tiendra pas plus de quatre ans. La carotte qui fait avancer les rares qui restent est la paie (on arrive assez rapidement à un salaire équivalent à trois ou quatre fois le salaire minimum), et, surtout, l’espoir de devenir, un jour, associé et toucher une part du juteux gâteau des bénéfices.

Au niveau de la tarification, pas grand-chose ne distingue les grandes firmes d’avocats d’affaires entre elles. Les tarifs pratiqués (un associé chargera une heure de travail à environ 700 euros) excluent d’office beaucoup de sociétés qui font la substance économique du pays. C’est aussi un choix commercial qui permet de cibler une certaine clientèle ; les banques et multinationales qui font passer leurs transactions financières par la place financière luxembourgeoise et ses pipelines fiscaux. Un coup d’œil sur Legal 500, qui dresse une liste comparative des principales études sur base d’entretiens anonymes avec leurs clients, donne un aperçu de la clientèle haut de gamme qui a recours aux conseils chèrement facturés. Pour des deals et disputes divers et variés, Elvinger, Hoss & Prussen (EHP) a conseillé Goldman Sachs, JP Morgan, Bank of America, Kredietbank, HSBC, Gazprom Bank et Arcelor-Mittal. (Encore que, pour soigner l’image, EHP conseille de temps à autre des sociétés comme Naturata, « en faisant un effort sur la facturation ».) Quant à la firme internationale Allen & Overy, elle a travaillé pour la Deutsche Bank, la Société générale, BNP Paribas Londres et a aidé Exxon Mobil à monter une joint-venture dans la perspective d’un forage en Arctique.

Alors qu’Arendt & Medernach est le numéro un incontesté, les autres boîtes recrutent à tour de bras, pour rester dans la course. Ceux qui font tourner la machine et font rentrer les flots d’argent viennent de plus en plus loin et sont de plus en plus nombreux. Aujourd’hui, il n’est pas rare pour un jeune avocat luxembourgeois de retrouver les collègues français côtoyés sur les bancs de Paris 1ou Assas ; rencontre qui, il y a dix ans encore, aurait été hautement improbable. Dans une interview accordée à la newsletter du Jeune barreau, le bâtonnier René Diederich mettait en garde les jeunes « débarquant avec en tête une vision paradisiaque du Luxembourg. » Car pour réussir, estimait-il, ils devraient entre autres être « prêts à accepter une grande flexibilité dans l’organisation de travail ».

Coïncidence numérique, en 2013, le barreau comptait exactement 2 013 avocats, dont 867 Français, 652 Luxembourgeois et 234 Belges. En quarante ans, le nombre d’avocats inscrits au barreau s’est multiplié par dix et les deux tiers n’ont probablement jamais mis les pieds dans les tribunaux luxembourgeois. Collaborateurs dans de grandes structures, ils sont des techniciens financiers, à mille lieues de l’image de l’avocat en toge tenant des plaidoiries enflammées. Lorsqu’on interroge les jeunes avocats sortis des grands et prestigieux cabinets, la réponse est ambiguë. Ils évoqueront les dossiers intéressants et la formation acquise sur le terrain. En parlant du climat de travail, deux mots reviennent à la manière d’un leit-motiv : « pression » et « esclavagisme moderne ».

« Oui, c’était un sweatshop », concède Marc Feider, senior partner chez Allen & Overy et décrit par Legal 500 comme « a go-to lawyer ». Accompagné de son attachée de presse, il reçoit dans une salle de conférence stérile. « La place financière a connu une telle expansion que ni les cabinets d’avocats, ni les Big Four n’arrivaient à suivre dans leur recrutement. Je ne vais pas nier qu’il arrive encore que des gens travaillent dix à douze heures par jour. Mais bon, celui qui veut faire carrière, doit placer la priorité sur le travail. C’est un choix. Comme un chacun, je me pose des questions éthiques et philosophiques sur le bonheur, mais il n’y a pas de réponses absolues à ces questions. »

Pour faire bonne mesure Marc Feider évoque la salle de fitness interne, et dit imposer des congés s’il perçoit un risque de surmenage. « Mais qu’occasionnellement un collaborateur soit victime d’un burn-out, ce n’est pas non plus du jamais-vu ». L’attachée de presse intervient pour évoquer « la semaine du bien-être ». La firme, dit-elle, vient d’organiser des cours de « gymnastique chinoise », une formation  sur « comment s’habiller dans le monde du travail pour faire passer la bonne image, aussi en combinaison avec la couleur des cheveux ou des yeux » et un atelier sur « comment moduler sa voix ».

La norme de travail pour Allen & Overy est fixée par la centrale à Londres et surveillée via un système informatique. Un collaborateur doit prester un minimum de sept heures et demie facturables par jour. En y ajoutant les conférences, réunions internes et formations, cela fait de longues journées. Or, ce rythme infernal n’est pas propre à Allen & Overy, il est commun à tous les grands cabinets d’avocats. Car là où une norme horaire n’est pas fixée officiellement, elle s’impose de manière informelle, soit par les collègues, soit par des allusions du chef.

Pour monter et devenir associé, il faut tenir une dizaine d’années et avoir de la chance. Demandez à Arendt ou à Elvinger et ils vous diront que ces chances sont assez minimes chez les grands cabinets internationaux. Les quotas d’associés sont fixés dans les centrales à Londres, difficile dans ces conditions-là de monter les rangs, diront-ils. Demandez aux grandes firmes internationales, et on évoquera le bouchon des « anciens » et le poids des réseaux des élites nationales qui bloqueraient l’ascension dans les grandes firmes luxembourgeoises. Dans les firmes internationales, les associés sont priés de faire leurs cartons au plus tard la soixantaine atteinte. Cette règle interne rendrait les cabinets internationaux plus « jeunes et dynamiques ». Véronique Hoffeld, associée chez Loyens & Loeff, une firme à capital majoritairement néerlandais, voit un mouvement générationnel à l’œuvre et fait le parallèle avec les quadras qui viennent de prendre le pouvoir politique : « Le pays est dirigé par des gens qui ont le même âge que les dirigeants des cabinets internationaux. Cela explique que nous soyons mieux connectés. »

Réalisant qu’ils ne compteront probablement pas parmi les heureux élus, certains jeunes collaborateurs changent d’étude comme on change de chemise, dans l’espoir de trouver meilleure fortune au prochain arrêt. Il y a en général peu de loyauté vis-à-vis de ces firmes qui licencient sans pitié, et qu’on quitte sans beaucoup d’états d’âme. Pour tenir, il faut cultiver une mentalité zélée. Christian Kremer de Clifford Chance parle d’un « idéal » de la vie, qui différencierait les jeunes avocats : « Les gens veulent-ils être assis au bureau du matin au soir ? Certain oui, d’autres non. »

Ceux qui préfèrent ne pas, changent souvent dans la magistrature, où on trouve des horaires fixes et une haute proportion de femmes. Car le monde des associés reste très largement masculin. (Véronique Hoffeld estime la part de femmes parmi les associés à dix pour cent.) Ceux et celles qui voudront voir leurs enfants grandir, devront s’organiser : rentrer à la maison plus tôt pour retourner au bureau la nuit ou travailler à partir de la maison en restant connecté 24 heures sur 24.

Je rencontre les deux fondateurs André Elvinger et Jean Hoss au dernier étage de la tour qu’occupe EHP place Winston Churchill. Agés de 86 et de 77 ans, les deux patriarches viennent encore tous les matins au bureau et restent impliqués dans les opérations de leur entreprise. La vue qu’offre l’ « Elvinger Tower » surplombe Belair, Merl et Hollerich et la décoration intérieure a une touche traditionaliste. Comme dans toute maison bourgeoise qui se respecte, des cartes de la forteresse ornent les murs, de lourdes armoires en chêne massif accueillent le visiteur. En face, EHP a acheté les bureaux et le penthouse que l’énigmatique négociant américain Henry J. Leir avait fait construire dans les années 1960, ainsi que deux villas. La moitié de la place Winston Churchill appartient désormais à EHP. À la fin des années 1960, André Elvinger avait inventé une forme juridique aux fonds made in Luxembourg, et, un demi-siècle plus tard, ils constituent toujours une large partie du business de sa firme. Avec Arendt, EHP se partage 72 pour cent des fonds émis au Luxembourg ; pour les autres, ne restent que des miettes. En partie du moins, c’est un travail à la chaîne d’une monotonie affligeante qu’on laisse volontiers aux petites mains de la grande firme.

En 1954, EHP avait été la première étude d’avocats qui fusionna au-delà des logiques familiales. Ironie de l’histoire : cinquante ans après, EHP reste la dernière grande étude familiale luxembourgeoise. « C’est arrivé avec l’entrée de la deuxième génération », se souvient Jean Hoss. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, une règle non-écrite veut que les filles et fils ne rentrent pas dans le cabinet de leurs parents, par souci méritocratique. Sur le continent, on est moins regardant sur ces questions. Aujourd’hui, sur les trente associés que compte EHP, douze font partie de la famille des trois fondateurs.

En « off », les concurrents et anciens collaborateurs évoquent le « clan » familial qui règnerait sur l’étude. Les autres partenaires ne seraient en fait que des associés de seconde zone. Un reproche qui ne fait pas sourire Philippe Hoss, fils de Jean Hoss : « Cela nous crée beaucoup de tort. Une des caractéristiques des associés est qu’il sont de forts caractères. On cherche toujours un compromis entre tous les associés ». Elvinger senior intervient à son tour : « Si nous excluions nos enfants, ce serait une discrimination à rebours. La famille ce n’est quand même pas la peste ; Dat ass dach keng Onéier ! »

Depuis sa fondation, EHP entretient d’étroits liens avec le monde politique. L’ancien ministre de l’Économie Paul Elvinger (DP) y avait son bureau d’avocat, et ce n’est probablement pas un hasard si parmi les multinationales américaines comme Monsanto, Dupont de Nemours ou Uniroyal, que le ministre avait réussi à attirer au Luxembourg, de nombreuses choisirent EHP pour représenter leurs intérêts au Luxembourg. Aujourd’hui, EHP compte parmi ces trente associés deux députés (Franz Fayot, LSAP, et Léon Gloden, CSV) ainsi qu’un ancien député, actuel conseiller d’État et fils de ministre d’État honoraire (Patrick Santer, CSV). Selon Philippe Hoss, que le site Legal 500 qualifie de « coporate law heavy-weight », « cela fait partie de l’engagement dans la cité. Ce n’est pas quelque chose que nous encourageons, mais nous ne le décourageons pas non plus. »

Dans son rapport 2013 sur la « prévention de corruption des parlementaires », le Groupe d’États contre la corruption (Greco) n’avait pas été tendre avec les avocats-députés en notant : « Ces parlementaires peuvent parfois assurer en même temps la représentation des intérêts d’autrui et les activités de conseil (...). Si le lobbying dans sa forme ,classique’ est considéré comme absent des activités parlementaires au Luxembourg, il est clair que ces activités de conseil peuvent constituer une ,porte dérobée’ permettant d’influer sur la réglementation ».

À l’inverse des avocats qui plaident devant les tribunaux dans des séances publiques, les clients représentés par les avocats d’affaires restent le plus souvent à l’ombre. La proposition du Greco de « déclarer les intérêts représentés » a provoqué une levée de boucliers parmi les députés et n’aura aucune chance d’être retenue dans le Code de conduite des députés, actuellement en discussion. Impossible donc de savoir au juste quels intérêts servent les avocats d’affaires Roy Reding (ADR), Laurent Mosar (CSV), Guy Arendt (DP), Joëlle Elvinger (DP), Franz Fayot (LSAP), Léon Gloden (CSV) & Co.

C’est un petit monde, les régulateurs et avocats sont des mêmes voyages de promotion, siègent dans les mêmes comités ; bref : on se connaît. Comme ses concurrentes, EHP siège dans un bon nombre de groupes de travail des instances régulatrices. « Un service citoyen », selon Philippe Hoss. « D’ailleurs on n’est pas rémunéré, à part un tantième symbolique versé pour un comité de la CSSF. On y discute de questions juridiques très complexes, souvent des directives qui doivent être rendues compatibles avec notre système juridique. » André Elvinger, dont l’étude contribua à l’époque à l’élaboration de la législation bancaire renchérit : « C’est un lobbying pour la place financière, pas pour un seul client ».

Arendt & Medernach est l’autre success-story parmi les études d’avocats d’affaires luxembourgeoises. Créé en 1988, Arendt & Medernach est la concrétisation d’un rêve qu’avaient Paul Mousel, Guy Harles et Claude Kremer, alors trois jeunes loups du barreau. Ils étaient décidés de profiter du fabuleux développement de la place financière à la fin des Roaring Eighties. « Notre ambition comme jeunes avocats était de trouver un cadre en dehors des structures familiales pour nous épanouir et nous orienter vers la place financière », se rappelle Claude Kremer. Impossible de ne pas s’enrichir à l’époque dorée : « Le travail était là à prendre, dit Kremer. Nous avons essayé de l’épuiser pleinement et avons grandi avec le marché. » Au moment de sa fondation, l’étude compta dix avocats, elle est aujourd’hui la plus grande du pays avec 163 avocats inscrits au barreau à la rentrée 2013 (le total des effectifs est de 465 personnes), suivie par EHP (110), Allen & Overy (75 avocats) et Loyens & Loeff (73). À écouter Claude Kremer expliquer les raisons de cette croissance, on pense au paradoxe de l’œuf et de la poule : « Plus on a de clients, plus on embauchera de collaborateurs. En même temps, plus on aura de collaborateurs, plus on aura de clients, car on a alors une autre force de frappe pour traiter certains dossiers. »

Cela ressemble un peu à la querelle des anciens et des modernes. Alors qu’EHP fait accrocher des gravures de la forteresse par dizaines aux murs de son étude au Belair, Arendt expose les œuvres érotiques du photographe de mode David LaChapelle dans ses bureaux du Kirchberg. Si Elvinger est l’entreprise paternaliste « à l’ancienne », employant ses salariés comme indépendants (fictifs) avec un contrat de collaboration, Arendt est l’usine anonyme. Elle emploie d’ailleurs les avocats sous le statut de salariés et passera au 1er juin au statut de société anonyme.

Arendt est souvent critiqué par ses concurrents pour ses activités parajudiciaires. Ainsi, Arendt Services domicilie des sociétés internationales, une activité normalement réservée aux petits cabinets et fiduciaires – d’ailleurs souvent peu regardants. Pour EHP, c’est une hérésie s’alliant mal avec le « métier » : « Nous sommes juristes, déclare fièrement André Elvinger. Nous ne sommes pas des champions de l’administration ».

En 2000, l’arrivée de trois des cinq grandes firmes londoniennes (dites « Magic Circle ») a chamboulé le paysage des grands cabinets luxembourgeois. Pour s’implanter au Luxembourg, les Anglais trouvèrent un relais auprès des vénérables études d’affaires luxembourgeoises. Loesch & Wolter passa dans le giron Linklaters, le cabinet Benelux Loeff-Claeys-Verbeke fut en partie intégré dans Allen & Overy, et Faltz & Kremer s’allia à Clifford Chance. « Les firmes du Magic Circle ne voulaient pas démarrer à zéro, explique Christian Kremer de Clifford Chance. Elles devaient donc passer par une association avec des avocats locaux qui connaissaient les institutions et l’environnement locaux. » Pourquoi les Anglais plutôt que les Américains ? « À l’inverse des Anglais, les Américains n’ont jamais été une puissance coloniale, dit Marc Feider. Or le droit est entre autres un instrument pour imposer et maintenir son pouvoir géopolitique. Ce que, manifestement, les Anglais ont fait en exportant leur droit. Encore aujourd’hui, à Hong-Kong, Dubaï ou en Inde, on pratique le droit anglais. »

Si l’entrée dans la cour des grands amena de nouveaux clients prestigieux dispatchés par la centrale londonienne, elle sonna également le glas de l’autonomie pour les vénérables études luxembourgeoises. Les filiales versent leurs bénéfices dans une cagnotte commune, dont le contenu sera partagé entre l’ensemble des associés au niveau mondial selon une clé de répartition. Le central management suit donc de près la performance des filiales. Évaluations, honoraires, clientèle visée, organisation interne : tout doit être standardisé, car tout doit être comparable. Tant qu’une filiale fait rentrer plus d’argent qu’elle n’en retirera à la fin, tout ira bien. Mais les dirigeants des filiales luxembourgeoises sont hantées par le spectre de l’underperformance : dès qu’une filiale génère moins de profits que la moyenne, le management mettra la pression. Car les « forts » ne seront pas contents de voir leur rémunération baisser à cause de quelques « fainéants » dans un autre pays. Toute la structure repose sur la peer pressure.

La crise n’a pas épargné les firmes du Magic Circle ; au lendemain, les bureaux londoniens annoncèrent des licenciements massifs. « La pression sur les marges est devenue plus importante et nous devons surveiller plus étroitement nos coûts », dit Marc Feider. Allen & Overy a ainsi délocalisé une partie de ses activités de Londres à Belfast, « d’une high-cost location à une lower-cost location ». Un autre modèle est celui des contract lawyers qui permet de réactiver ponctuellement des avocats en âge de retraite pour la structuration de l’une ou de l’autre transaction financière. Entre les firmes internationales implantées au Luxembourg, les stratégies de sortie de la crise divergent : Alors que certaines penchent vers une stratégie plus locale, d’autres se replient sur des niches très pointues, et voient leur rôle réduit à un maillon dans la chaine de production et de commandement.

Les années grasses sont terminées. « L’époque de la croissance anormale qu’on a connue est révolue. La croissance deviendra plus normale », estime Jean-Marc Ueberecken, managing partner chez Arendt. Pour les cabinets d’avocats, ce ralentissement d’un marché qui s’était développé de manière inflationnaire se fera sentir en décalage temporel. Car, paradoxalement, les retombées de la crise pourront être dans une première phase bénéfiques. La régulation, les fermetures et les licenciements se traduisent par une hausse de la demande en avocats spécialisés dans le droit des affaires, de la faillite et du travail.

En créant Arendt regulatory services, qui se propose d’accompagner les banques et les fonds dans la mise en place de nouvelles régulations, la firme s’aventure un peu plus sur les plates-bandes des Big Four. Pour Ueberecken, une manière d’anticiper la libéralisation des marchés européens qui « ne touchera pas uniquement la Poste et les CFL, mais aussi les avocats ». Et d’ajouter : « Soit on regrettera le bon vieux temps, soit on s’adaptera. Au Royaume-Uni, on peut désormais acheter des actions dans une étude d’avocats, comme pur investissement, et y être capitaliste ; et les Big Four ont demandé une licence comme avocats.  »

C’est l’ironie de l’histoire : de plus en plus de grandes firmes internationales établissent une filiale au Grand-Duché en n’employant qu’un avocat solitaire, le plus souvent transfuge d’un grand cabinet où il n’a pu faire carrière. Son rôle est de faire transiter les dossiers vers les maisons-mères à Londres, Francfort ou Paris où ils seront traités. C’est la réalisation de l’idéal type du capitalisme au XXIe siècle et une mise en abîme des sociétés de boîtes à lettres : une entreprise sans substance économique au Luxembourg fait optimiser sa fiscalité par un cabinet d’avocats fantôme.

Bernard Thomas
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