Alors que le gouvernement s’engage pour un accueil digne des réfugiés, l’opposition institutionnelle et privée augmente

Faits, chiffres et symboles

d'Lëtzebuerger Land du 06.11.2015

Assistance personnalisée Cette fois, on ne l’y reprendrait plus. Mercredi, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, Jean Asselborn (LSAP), a fait lui-même le voyage à Athènes pour une cérémonie très officielle mise en scène autour d’une trentaine de réfugiés syriens et irakiens, dont six familles avec enfants, qui ont quitté la Grèce pour le Luxembourg, dans le cadre du programme européen de relocalisation. À ses côtés : le Président du Parlement européen Martin Schultz, le Premier ministre grec Alexis Tsipras et le Commissaire européen aux affaires intérieures Dimítris Avramópoulos, qui a érigé le Luxembourg en exemple et appelé les autres pays européens a accélérer leurs procédures pour mettre en œuvre ce programme qui prévoit 160 000 relocalisations. Après des mois de négociations au plus haut niveau européen et un consensus trouvé à l’arrachée, seuls 86 réfugiés avaient été relocalisés d’Italie vers la Suède jusqu’à présent.

Assurant la présidence tournante du conseil des ministres de l’Union européenne jusqu’à la fin de l’année, Jean Asselborn était un des artisans de ce consensus et a donc voulu signaler, aussi symboliquement, l’adhésion du Luxembourg à ce principe. Car au Parlement européen, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, avait confié que la Grèce ne trouvait pas de Syriens prêts à venir au Luxembourg, une histoire que la Frankfurter Allgemeine Zeitung racontait aussi dans son édition du lundi 2 novembre avec des Syriens installés en Allemagne, qui auraient refusé d’être relocalisés au Luxembourg, alors qu’en Italie, cela auraient été des Érythréens qui refusaient de monter dans un bus en direction de l’Alzette, raconte un autre diplomate bruxellois. Le grand-duché devrait accueillir quelque 400 réfugiés relocalisés en 2015, en plus des 1 212 personnes arrivées spontanément depuis le début de l’année (derniers chiffres officiels de la direction de l’immigration : 2 octobre). Dès mercredi, le Haut commissariat aux réfugiés (UNHCR) s’est empressé de féliciter le Luxembourg : « En accueillant le premier groupe de demandeurs d’asile relocalisés depuis la Grèce, le Luxembourg envoie un signal fort de responsabilité et de solidarité », déclara John Fredrikson, son responsable de l’Europe de l’Ouest, tout en espérant que « le programme de répartition, quoique limité par rapport aux besoins actuels, contribuera à gérer et à stabiliser le flux de réfugiés en Europe ». Depuis le début de l’année, toujours selon l’UNHCR, plus de 744 000 réfugiés et migrants ont traversé la Méditerranée, dont 601 000 sont arrivés en Grèce. Plus de 3 440 ont péri en mer.

Steinfort s’oppose Cela doit donc particulièrement chagriner Jean Asselborn, ancien maire et toujours habitant de Steinfort, de voir que c’est justement sa commune, à la frontière belge, qui s’oppose le plus bruyamment à la construction d’un village à containers sur son territoire. Après les premiers foyers d’urgence, comme l’ancien centre de logopédie, l’ancienne maternité ou la halle six de Luxexpo, le gouvernement veut construire des containers à Steinfort, Mamer et Diekirch, pour en tout quelque 900 personnes. L’initiative citoyenne « Kee Containerduerf am Duerf asbl », qui se dit « outragée » s’oppose violemment à l’arrivée de « 600 containers en plein centre de Steinfort », craint pour sa qualité de vie et la protection de l’environnement. Depuis lundi, une pétition publique est ouverte à la signature à la Chambre des députés s’opposant plus généralement à tous les villages de conteneurs « à proximité de nos écoles ». L’auteure de cette pétition, Danielle Gloden-Manderscheid, y craint pour la salubrité des sites où seront installés les containers – avec 300 personnes, et, « le cas échéant jusqu’à 600 personnes » par structure, selon elle – et ne veut pas que des enfants luxembourgeois voient des étrangers par leurs fenêtres, et, « imaginons le pire des cas, est-ce que nos élèves ont vraiment besoin de voir la police arriver ? » Comme si les enfants des uns valaient plus que les enfants des autres. Seule une soixantaine de signataires ont approuvé la pétition en une semaine, mais quelque chose indique que le vent tourne, que la compassion affichée depuis le début de l’année retombe. Même si, dans un sondage TNS-Ilres réalisé pour le ministère de la Famille et présenté la semaine dernière, 76 pour cent des 819 personnes interrogées à la mi-octobre étaient d’accord avec l’affirmation qu’il était « du devoir moral du Luxembourg d’accueillir les réfugiés » et 47 pour cent trouvaient que « le Luxembourg devrait continuer à accueillir des réfugiés durant les mois à venir » (25 pour cent trouvent qu’il y en a déjà suffisamment et douze pour cent trouve qu’il y en a trop).

Le Conseil d’État s’oppose Alors que les services du ministère de la Famille et de l’Intégration, notamment l’Olai (Office luxembourgeois d’accueil et d’intégration), ou ceux des ONGs comme la Caritas, la Croix-Rouge et l’Asti, essaient d’encadrer au quotidien le nombre croissant de demandeurs de protection internationale – 2 270 dans les seules structures de l’Olai –, et que, chaque semaine, au moins un conseil communal discute de ce qu’il peut faire pour loger des réfugiés reconnus dans des maisons abandonnées ou d’anciens presbytères sur son territoire, la Chambre des députés est sur la dernière ligne droite pour la transposition de deux directives européennes sur l’immigration et l’accueil. Le député socialiste et président de la commission des Affaires étrangères, rapporteur du projet de loi n° 6779 sur la procédure d’asile, Marc Angel, promet pouvoir faire voter le texte d’ici décembre. Il est particulièrement fier du dialogue avec la société civile, notamment les ONGs, qui viennent encore d’avaliser l’amendement permettant aux élèves ayant accompli quatre années d’études au Luxembourg de les terminer ici. « Mon rapport est quasiment prêt, nous attendons encore l’avis du Conseil d’État sur deux amendements que nous avons faits, l’un technique et l’autre sur l’introduction d’un juge unique pour la procédure », affirme-t-il vis-à-vis du Land. La nouvelle loi prévoit notamment une accélération des délais de procédure à six mois – alors qu’actuellement, elle peut parfois durer plusieurs années. Certaines ONGs plaident d’ailleurs pour une véritable remise des compteurs à zéro, soit une régularisation de tous les demandeurs en procédures depuis longtemps, plus les 600 déboutés qui ne peuvent être rapatriés, pour une raison ou une autre.

Gilles Baum, le président libéral de la commission de la Famille et de l’Intégration, est tout aussi confiant concernant le projet de loi n° 6775 sur l’accueil des demandeurs de protection internationale, qu’il compte aussi faire voter d’ici fin 2015. Il faut rappeler qu’en septembre, la Commission européenne a lancé une double décision d’infraction contre le Luxembourg pour son retard dans la transposition de ces deux directives (elles devaient l’être pour la mi-juillet). Gilles Baum tempère, trouve le retard de six mois « pas grave » et confirme que le projet de loi est actuellement à nouveau entre les mains du ministère de la Famille et de l’Intégration. Le Conseil d’État l’a frappé le 20 octobre de quatre oppositions formelles, dont une touche à la substantifique moelle du projet de Corinne Cahen (DP). En effet, le Conseil s’oppose catégoriquement à l’augmentation de l’aide sociale attribuée aux demandeurs en procédure, surtout parce que le ministère veut lier cette aide à un projet d’accompagnement, ce qui constituerait un dés-avantage pour ceux des demandeurs qui ne font pas partie de ce programme. Le risque majeur est que, pour pouvoir faire voter le projet de loi aussi vite que possible, ce passage soit simplement supprimé.

Or, justement, une des ambitions de la ministre est d’autonomiser les demandeurs de protection internationale en procédure, de les responsabiliser aussi. Jusqu’en 2012, un DPI recevait ainsi 108 euros d’argent de poche par mois, mais Marie-Josée Jacobs (CSV), alors ministre de l’Intégration et aujourd’hui présidente de la Caritas, a remplacé l’aide financière par des bons et des services dans la foulée de l’arrivée massive des Roms de Serbie, dans les années 2011-2012, que le gouvernement soupçonnait de « tourisme sociale ». Aujourd’hui, un demandeur d’asile ne reçoit plus que 25 euros en espèces, tous les autres frais étant pris en charge par le biais de bons et de factures, notamment les frais médicaux. Ce qui implique que 40 pour cent du travail de l’Olai est du travail administratif. En augmentant l’aide sociale, liée à un certain nombre de conditions à évaluer par l’assistante sociale, jusqu’à 450 euros par mois, les demandeurs deviendraient beaucoup plus autonomes. Le Conseil d’État a du mal à accepter ce principe même et se demande s’il ne serait pas « indiqué d’adopter en la matière les standards comparables à ceux des pays limitrophes ». Or, en comparaison, en France par exemple, un demandeur seul peut toucher jusqu’à 330 euros par mois s’il n’est pas hébergé par l’État, en Allemagne 359 euros. Le Luxembourg serait donc tout à fait dans la norme.

La peur de l’abus domine à nouveau le débat sur l’accueil des demandeurs d’asile. Dans sa réponse à une question parlementaire marquée par la suspicion générale du député ADR Fernand Kartheiser, le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn affirme cette semaine que les frais totaux de l’accueil des demandeurs d’asile sont estimés à 27 millions d’euros en tout et pour tout cette année (soit six millions de moins que ce que le gouvernement investit dans la production de films) et à 45 millions d’euros en 2016 (soit cinq millions de moins que ce qu’à coûté un kilomètre de la Nordstrooss).

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josée hansen
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