Politique migratoire

Les trois temporalités de l’asile

d'Lëtzebuerger Land du 25.09.2015

On reconnaît à peine le Luxembourg d’aujourd’hui, qui, dans un élan de solidarité et un effort collectif exceptionnels, fait tout son possible pour accueillir le plus naturellement du monde les centaines de réfugiés, demandeurs d’asile et migrants qui arrivent depuis début septembre au grand-duché. Lorsque les structures de premier accueil au Limpertsberg, les foyers Lily Unden et Don Bosco, seront pleines, probablement d’ici la semaine prochaine, il y aura encore un millier de nouveaux lits d’urgence installés en quelques jours, au Centre de logopédie à Strassen, aux Foires, à la Maternité du CHL et à l’Hôpital neuropsychiatrique à Ettelbruck. Des villages de containers suivront au printemps à Steinfort, Diekirch et Mamer. Des professionnels des ONGs jusqu’aux bénévoles prêts à donner des cours de langue ou à aider à la logistique (rénovation des structures, mise en place du mobilier etc.), en passant par les services de secours et l’armée, toutes les forces vives de la nation semblent mobilisées pour souhaiter la bienvenue à ces migrants qu’ils ont vus épuisés, désespérés à la télévision et dans la presse. Mardi, trois ministres, Corinne Cahen (DP), Intégration, François Bausch (Déi Gréng), Infrastructures et Aménagement du territoire, et Claude Meisch (DP), Éducation, faisaient front commun lors d’une conférence de presse pour annoncer les mesures extraordinaires mises en place pour cet accueil d’urgence, des procédures accélérées de construction ou des crédits budgétaires illimités pour l’enseignement. Dans le court terme, l’ambiance est à la générosité pour faire face à une migration d‘une ampleur inconnue depuis la Deuxième Guerre mondiale, peut-être parce que politiciens comme citoyens se rendent compte du caractère de crise de l’événement.

Mais la politique migratoire se pense et se décide en plusieurs temporalités. À côté de ce court terme, il faut réfléchir dès à présent au moyen terme : que deviendront ces demandeurs de protection internationale une fois qu’ils auront le statut de réfugié et donc le droit de rester au Luxembourg ou en Europe ? Entre janvier et août 2015, seuls 13,3 pour cent des demandeurs ont obtenu ce statut. Mais puisque, selon Corinne Cahen, cinquante pour cent des demandeurs arrivés depuis début septembre sont des Syriens, qui ont de fortes chances d’obtenir ce graal, il faudra prévoir leur intégration à plus long terme, soit avant tout leur logement, auquel il est extrêmement difficile d’accéder au grand-duché, mais aussi leur emploi. L’école, et c’est la bonne nouvelle, fonctionne toujours assez bien comme vecteur d’intégration. Que les ministres de la Justice et des Affaires étrangères aient enfin réussi mardi, sous la présidence luxembourgeoise de Jean Asselborn (LSAP), à trouver un accord sur la relocalisation d’urgence de 120 000 demandeurs de protection internationale, est une des mesures du moyen terme, plus symbolique face à la résistance de plusieurs pays, que réellement efficace, au vu du chiffre ridiculement bas par rapport aux millions de personnes concernées. Là aussi, le Luxembourg fait donc plutôt bonne figure.

Mais c’est sur le long terme que le gouvernement Bettel/Schneider/Braz se fait tirer les oreilles par leur aîné, Jean-Claude Juncker, en tant que Président de la Commission européenne. Qui a émis mercredi une quarantaine de décisions d’infraction à l’encontre de plusieurs pays, dont le grand-duché, pour non-transposition des directives européennes sur l’accueil et sur la procédure d’asile. La Chambre des députés travaille sur les projets de loi depuis le début de l’année et promet une conclusion des travaux d’ici la fin de l’année. Le gouvernement profite de ce retard (de quelques semaines seulement jusqu’à présent, le délai ayant été le 17 juillet) pour déposer des amendements afin de réagir à la situation d’urgence. Mais le bât blesse bien plus encore : sur le long terme, plusieurs gouvernements successifs (tous dirigés par Jean-Claude Juncker) ont laissé pourrir la situation, n’entreprenant strictement rien pour rénover les foyers existants ou en construire de nouveaux. On peut vivre un mois, deux mois, six mois même dans des dortoirs de fortune ou dans des containers. Mais si les réfugiés doivent réellement se sentir en sécurité ici, en mesure de se reconstruire et de construire une nouvelle vie, les conditions d’accueil doivent encore bien changer.

josée hansen
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