Après deux ans d'existence, le label de qualité nutritionnelle des aliments Nutri-Score fait l’objet d’un premier bilan… mitigé

Boudé par Cactus, adoubé par les jeunes

Les nouveaux critères d’évaluation des boissons fait baisser le Nutri-Score des sodas
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 04.08.2023

Depuis 2021, le système de notation des aliments, Nutri-Score bénéfice d’un cadre légal au Luxembourg, au même titre que d’autres pays européens. Créé en France en 2017, adopté par la Belgique en 2019 et l’Allemagne fin 2020, le label est aujourd’hui de mise dans six États membres de l’UE (plus la Suisse). Son but est orienter les choix des consommateurs vers des produits vertueux en termes de diététique. Ce qui s’inscrit dans une série d’actions pour lutter contre l’obésité, les maladies cardiovasculaires et le diabète. Ses pastilles allant du vert au rouge, assorties des lettres de A à E, permettent d’évaluer en un coup d’œil la teneur des aliments en « bons nutriments » (protéines, fibres) et en « mauvais » (sucre, sel, acides gras). C’est un raccourci qui permet de ne pas devoir lire le détail de la composition nutritionnelle et de comparer rapidement des produits entre eux.

Promoteur du label, le ministère de la Protection des consommateurs a fait le point sur la connaissance et l’usage du Nutri-Score pour mettre en évidence les facteurs de réussite ainsi que les obstacles à l’utilisation. Un panel de consommateurs (546, un nombre assez réduit en termes de statistiques) a été sondé et des producteurs et distributeurs ont été interviewés. Il en ressort une bonne notoriété, en particulier auprès des plus jeunes. Chez les 25-34 ans, la connaissance du label atteint 98 pour cent contre 68 pour cent chez les 55-64 ans. Les plus âgés sont aussi plus critiques car ils ne sont qu’une moitié (52 pour cent) à juger le Nutri-Score crédible quand les jeunes lui font confiance à 93 pour cent. Le label facilite aussi l’acte d’achat : Soixante pour cent des personnes interrogées sont influencées par ce logo lors de leurs courses. Ces chiffres méritent d’être nuancés par une autre étude récente, publiée par le ministère de l’Agriculture fin juin. Les 1 522 résidents interrogés (presque trois fois plus donc) mettent le gaspillage alimentaire en tête de leurs préoccupations. L’alimentation saine, l’offre de produits régionaux viennent ensuite. Les labels dans le domaine de l’alimentation n’arrivent qu’en dixième position.

La lecture du Nutri-Score a beau être simple, son interprétation n’est pas toujours complète. « Beaucoup de gens ne savent pas que la comparaison entre les scores doit se faire au sein d’une même catégorie d’aliments ; les pizzas, les chips, les mueslis, par exemple », admet Torsten Bohn, nutritionniste et membre du « Scientific Committee of the Nutri-Score ». D’autre part, les écarts avec la réalité de la vie quotidienne sont pointés par nombre de détracteurs. Certains produits sont pénalisés par l’évaluation sur cent grammes (ou cent millilitres) qui n’est pas en corrélation avec une portion réelle : personne ne met cent grammes de beurre (classé E) sur sa tartine. Inversement, les transformations pour la consommation ne sont pas prises en compte et offrent de bons résultats, trompeurs. Les frites surgelées sont notées A, alors qu’une fois passées à la friteuse, leur valeur nutritionnelle sera évidemment moins favorable. « Malgré la bonne volonté de ses promoteurs, le Nutri-Score, comme beaucoup de discours sur l’alimentation et la santé, touche davantage ceux qui n’en ont pas vraiment besoin », note Marc Thuau, président de l’Association nationale des diététiciens du Luxembourg (ANDL). Il détaille une inversion des tendances : « Dans le temps, les personnes socialement moins favorisées cuisinaient parce que ça revenait moins cher. Aujourd’hui, ce sont les personnes les plus éduquées qui choisissent des produits bruts qu’ils cuisinent eux-mêmes, là où, en bas de l’échelle, les produits industriels sont vus comme des solutions simples et réconfortantes. » Le diététicien prône un « marketing social » pour répondre au « marketing agressif de l’industrie agroalimentaire ». Il préconise un « travail de fond pour reconnecter le public avec les aliments par une éducation aux goûts ».

La marche est encore plus haute pour amener l’ensemble des producteurs luxembourgeois au Nutri-Score. Après deux ans d’utilisation, la sauce a moyennement pris puisque seuls six fabricants ont demandé l’agrément. Deux sont bien connus du grand public, Maxim Pasta et Moulins de Kleinbettingen. Les autres œuvrent plutôt dans des niches : Mahida (produits halal destinés à la restauration rapide et aux magasins d’alimentation), Teloo Vitality (chocolats enrichis à la noix de cola), Naturévous (jus de fruits et smoothies distribués en entreprise) et Divlint (qui est référencé en tant que concepteur de sites web !). Ce sont des entreprises dont les produits sont globalement assurés de recevoir une note favorable. « Elles n’ont rien à craindre de l’évaluation de leurs aliments et voient un avantage concurrentiel à afficher leur bon résultat », indique l’étude.

En revanche, les grosses pointures nationales snobent le concept : Luxlait, Biog, Cobolux ou Cactus sont clairement opposés au système de notation. Les arguments qu’ils avancent sont le manque de considération d’autres caractéristiques des produits, comme la proximité, le degré de transformation, l’empreinte carbone, la transformation génétique ou l’utilisation de pesticides. Mais le diététicien nuance :« Ce sont surtout des fabricants dont les produits, par essence, afficheraient un score médiocre, comme du beurre, de la mayonnaise ou de la charcuterie. Ils ne veulent pas prendre ce risque ». Il rappelle que les entreprises doivent utiliser le logo sur l’ensemble de leurs produits et ne peuvent donc pas l’appliquer seulement pour certains « bons » produits au sens de l’échelle Nutri-Score. Face au Land, Paul Faltz, administrateur délégué de Cobolux confirme cet écueil. « La charcuterie n’obtient de facto pas un bon Nutri-Score. C’est n’est pas une publicité positive pour les produits de boucherie. » Il regrette que le calcul ne tienne pas compte de la qualité et de l’origine des produits et cite en exemple une saucisse. « Notre Wiener obtiendrait probablement le même Nutri-Score (D ou E) que celle d’un discounter alors que notre produit est qualitativement plus élevé (moins d’eau, plus de viande, moins de chimie et moins de matière grasse) et est fabriqué à base de matières premières locales. » Gilles Gérard le directeur général de Luxlait affiche lui aussi ses réticences. « Le calcul du Nutri-Score reste trop généraliste et n’est pas toujours représentatif de la valeur nutritionnelle réelle du produit. » Il regrette les évolutions de l’algorithme qui pénalise les matières grasses animales au profit des matières grasses végétales. « Il serait donc préférable de consommer des matières grasses végétales avec tous les additifs que ces produits peuvent parfois contenir plutôt qu’un produit peu transformé tel que le beurre par exemple », fustige-t-il. Le nouveau classement du lait et boissons lactées dans la catégorie boisson va également discriminer ces produits face à des sodas lights. « Par ce système simpliste de notation, le Nutri-Score fait penser que le lait, produit essentiel à la croissance ne serait pas forcément bon pour la santé ! ».

Les chaînes de supermarchés françaises comme Auchan ou Carrefour et belge comme Delhaize ont pris le Nutri-Score à leur compte, avec un affichage sur les produits de leurs marques. Cactus a décidé de s’en passer. « Les contraintes autour de l’application du label sont relativement grandes. Pour nous, cela engendrerait un changement d’un grand nombre d’emballages, ce qui représente un coût important », répond Déborah Thiry du service marketing à notre demande. Elle met en avant la production et la distribution de produits locaux et saisonniers, qui soutiennent l’agriculture locale, et ont une empreinte écologique réduite. « Ces critères n’entrent pas dans le calcul du Nutri-Score, ce que nous trouvons regrettable. » À l’inverse, Delhaize a fait du Nutri-Score une instrument de fidélisation en récompensant l’achat de produits A et B. « C’est un incitant financier qui porte ses fruits et qui nous pousse à être plus qualitatifs sur nos propres produits », indique Karima Ghozzi, porte-parole du groupe. Elle précise que plus de 4 000 des 6 500 références de la marque au lion sont dans le vert.

Le Nutri-Score vise aussi à encourager les industriels à améliorer la qualité nutritionnelle de leur offre. Avec le risque de transformer plus encore les aliments ou de remplacer certains ingrédients par des additifs. « Je ne connais pas d’entreprise luxembourgeoise qui aurait modifié ses recettes pour améliorer leur score. Dans les grands groupes internationaux, par contre, c’est courant. Ça se joue au milligramme de ceci ou de cela pour satisfaire une équation », explique le diététicien. Le passage des Chocapic de Nestlé d’un B à un A avait fait grand bruit il y a un an. Voilà que l’adaptation des critères de calcul (en vigueur depuis avril dernier) pour pénaliser le sucre davantage va rétrograder ces céréales à un C.

Pour la ministre de la Protection des consommateurs, Paulette Lenert (LSAP), il n’est pas question d’imposer le Nutri-Score : « Nous nous positionnons en faveur d’une solution européenne si un jour il devient obligatoire », a-t-elle précisé en conférence de presse, lundi. Le Nutri-Score ne s’imposera pas tout de suite sur le Vieux Continent. Il figure parmi les favoris, mais il est contesté par certains pays, l’Italie en tête. Cette dernière argue que ses aliments emblématiques comme le parmesan ou l’huile d’olive ne pourraient jamais prétendre à un bon score. Mais c’est surtout le lobbying de géants industriels comme Ferrero qui défend le système local Nutrinform Battery tenant compte des portions consommées. Les adaptations successives de l’algorithme du Nutri-Score et une évolution vers un calcul à la portion pourraient faire pencher la balance. Le débat sera mené au Parlement européen avant la fin de la mandature en juin 2024.

France Clarinval
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