Ces derniers temps, les constructeurs de smartphones s’accusent mutuellement de violation de propriété intellectuelle, lançant des procédures devant des juges du monde entier en tentant d’empêcher la commercialisation de tel ou tel modèle. Cette semaine, dans cette série, c’est un procès très en vue qui s’ouvre entre Apple et Samsung devant une cour fédérale à San José en Californie. Il doit durer quatre semaines et pourrait bien être, selon Wired, « le plus important procès portant sur des brevets de la décennie ».
Les deux constructeurs sont à la fois concurrents et partenaires (sur la fourniture de composants) et leurs smartphones battent des records de vente. Dans ce procès, l’un accuse l’autre d’avoir copié la technologie de l’autre, tandis qu’Apple reproche en plus à son rival d’avoir imité, avec son modèle-phare Galaxy et ses tablettes, le design de l’iPhone et de l’iPad.
Ce procès se déroule devant des jurés, dont la sélection a commencé. Il s’avère difficile de trouver dans cette ville des jurés complètement déconnectés de l’univers sur lequel va porter le procès, si l’on prend en compte l’endroit où eux ou leurs proches travaillent et l’expérience qu’ils ont des différents gadgets en discussion.
Au total, Apple reproche à Samsung de violer sept brevets, et Samsung en fait autant à l’encontre d’Apple sur cinq. Le principal argument du constructeur américain contre son concurrent sud-coréen est qu’il aurait imité le « look and feel » de l’iPhone, tandis que Samsung affirme qu’Apple a utilisé sans licence une technologie qui lui appartient en matière de transmission 3G. Apple réclame 2,5 milliards de dollars de dommages et intérêts, et des injonctions interdisant à son concurrent de vendre certains de ses produits sur le marché américain.
S’agissant d’un épisode de la guerre des brevets qui se joue plus ou moins simultanément dans au moins huit autres pays dont l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Australie, où Apple a déjà gagné certaines manches (mais en a aussi perdu) et obtenu l’interdiction de vente de certains produits Samsung, et qui implique aussi d’autres firmes
comme HTC, Motorola ou Microsoft, la complexité de ce procès a de quoi décourager les non-initiés. Mais en même temps, il expose de manière éclatante à quel point la notion-même de brevet a été dévoyée. Beaucoup de brevets accordés par les instances de propriété intellectuelle ces dernières années l’ont été sur des formulations beaucoup trop vagues et générales. Les experts sont nombreux à reconnaître que ce qui pousse les grandes entreprises technologiques à dépenser des millions pour obtenir des brevets le font moins pour protéger d’authentiques innovations ayant fait l’objet d’une recherche originale que pour s’armer dans la guerre à couteaux tirés qu’elles se livrent devant des juges pour protéger « leurs » marchés. Cela vaut aussi pour le marché des fusions et acquisitions, où l’enjeu porte parfois surtout sur un portefeuille de brevets pouvant servir dans cette guerre tous azimuts.
À l’occasion de ce procès historique, le magazine Wired a donné la parole à un représentant de Samsung, Kevin Packingham, son Chief Product Officer. C’est systématiquement Apple qui « tire le premier », la plupart des autres intervenants parvenant à coexister « vraiment bien », assène Packingham. Il reproche à Apple de vouloir porter la bataille sur un terrain « déraisonnable » en cherchant à faire valoir en justice que le « rectangle » (la forme du smartphone) serait une invention protégée. « Nous aussi nous avons des brevets de design, mais ils ne sont pas aussi simples que le rectangle (..) Les consommateurs veulent des rectangles et nous en sommes à nous disputer si l’on peut fournir un produit en forme de rectangle », dit-il, ajoutant que nombreux sont ceux dans le secteur qui « se grattent la tête » devant cette situation « défiant le bon sens ».
Jean Lasar
Catégories: Chronique Internet
Édition: 02.08.2012