Europe

Deux femmes pour que rien ne change

d'Lëtzebuerger Land du 05.07.2019

L’Union européenne est une institution de 510 millions d’habitants et, à la fin, c’est la droite allemande qui gagne. Ce clin d’œil au célèbre aphorisme du footballeur anglais Gary Lineker1 résume bien le choix des « top jobs » européens entériné, lundi 1er juillet à Bruxelles, par les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Huit. Nommer deux femmes à deux des trois postes les plus importants de l’Union, l’Allemande Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne et la Française Christine Lagarde à celle de la Banque centrale (BCE), est bien une formidable avancée, un signal majeur à l’heure des Bolsonaro, Erdogan, Poutine et autres Trump. Mais cette parité ne peut dissimuler que les conservateurs allemands continuent à imposer leur loi en Europe. Un désaveu flagrant, quoi qu’il s’en défende, pour Emmanuel Macron.

Après la fin de la majorité absolue PPE-PSE au Parlement de Strasbourg, et avec l’hypothèse un temps envisagée du travailliste néerlandais Frans Timmermans à la tête de la Commission, on pouvait s’attendre à ce que l’UE tourne la page de la décennie 2010 : l’austérité imposée par l’Allemagne aux pays du Sud, le fonctionnement très peu démocratique de l’Eurogroupe, et le paroxysme que constitua la mise sous tutelle d’un gouvernement grec légitimement élu. Surtout, il y avait l’intention clairement affichée par le président français : faire bouger le paysage politique européen en contestant la prééminence

du PPE, comme il avait fait émerger une force libérale-centriste sur les ruines du soi-disant « vieux monde » politicien hexagonal. Depuis des mois, les macronistes assuraient qu’on allait voir ce qu’on allait voir. Eh bien, rien.

Absolument rien. Dans les grands équilibres, rien ne change. La Commission va donc être dirigée pendant vingt ans d’affilée par une personnalité de droite. Le Conseil européen reste lui aussi à droite. La gauche du Sud se contente encore de la politique extérieure. Et même le sempiternel partage PSE-PPE à la tête du Parlement devait être reconduit… Logiquement, une partie de la gauche européenne et les écologistes sont en colère. Ce statu quo est un « très mauvais casting », a tranché le chef de file des écolos français, Yannick Jadot.

Pour masquer l’évident échec de Macron, après les précédents (budget de la zone euro, taxe Gafa, listes transnationales, etc.), le « storytelling » fonctionnait à plein en France au lendemain du dénouement bruxellois, des commentateurs soulignant le profil modéré, francophile et francophone de Madame von der Leyen, les macronistes trompettant eux que leur président tout-puissant avait réussi à placer une Française à la tête de la BCE. En oubliant au passage que le Français Benoît Coeuré y avait une influence certaine et devra laisser sa place. Et surtout qu’il n’y a plus guère de débat en Europe sur la politique monétaire à mener, depuis que Mario Draghi l’a emporté il y a huit ans sur l’approche allemande restrictive de Jens Weidmann.

Certes, il serait malhonnête de ne pas mentionner ce que Macron a répété à satiété : les noms importent peu, encore moins les nationalités, l’essentiel est que les chefs d’État et de gouvernement se mettent d’accord sur des objectifs renouvelés, à savoir la protection, le climat et la défense. Or en guise d’ « Europe qui protège », le slogan des macronistes pour le scrutin européen, qu’a accepté l’Élysée de la Commission sortante ? La signature du traité UE-Mercosur, aussi soutenu par l’Allemagne que libre-échangiste et peu favorable au climat. À ces deux derniers titres, il est conspué par les agriculteurs et les écologistes français, jusqu’au cœur de la majorité présidentielle, eurodéputés élus fin mai compris.

Au final, on retiendra que la campagne menée par Macron contre le Bavarois Manfred Weber, candidat officiel du PPE à la tête de la Commission, a été contre-productive. Au motif exact qu’il s’agissait d’un poids léger pour un tel poste, le président français s’est mis à dos par sa véhémence et son arrogance un large pan de la droite européenne. « Il est malheureusement en chemin pour devenir anti-allemand », a ainsi commenté Daniel Caspary, chef des députés CDU-CSU à Strasbourg2. Résultat : une partie du PPE, avec des pays de l’Est, a fait barrage à Timmermans et, dans la dernière ligne droite, pour ne plus être accusé d’être « anti-allemand », Macron a cédé à la CDU et au PPE. Lagarde, comme von der Leyen, est d’ailleurs considérée comme proche d’Angela Merkel. Et le système des « Spitzenkandidaten » est toujours en place.

Charitable, on évitera de trop s’appesantir sur les invraisemblables déclarations de la cheffe de file des eurodéputés macronistes, Nathalie Loiseau, qui en « off » a qualifié Weber d’« ectoplasme », sans être guère plus sympathique à l’égard de ses alliés libéraux belge, suédois, néerlandais et allemand. Ce qui lui a coûté la direction du groupe « Renew ». En revanche, l’écolo macroniste Pascal Canfin, ancien ministre de François Hollande, est lui bien pressenti pour diriger la commission Climat au Parlement. On attend avec curiosité et impatience de le voir à l’œuvre sur l’accord UE-Mercosur, si la ratification arrive un jour à Strasbourg.

1 Au soir d’une défaite en 1990, Lineker déclara, selon une traduction française simplifiée, que « le football est un sport qui se joue à onze contre onze, et à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne ».

2 « Sur la scène européenne, le „style Macron“ ne passe plus », Ellen Salvi, Mediapart, 29 juin 2019.

Emmanuel Defouloy
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