Luxemburgensia

L’art plutôt que la politique

d'Lëtzebuerger Land du 01.12.2017

Un livre bien écrit est un objet précieux, qui permet à son lecteur de quitter sa zone de confort, de plonger dans des univers lointains, mais aussi de découvrir des passions inconnues. Pensons à des livres comme The girl with a pearl earring de Tracy Chevalier ou Nocturnes de Kazuo Ishiguro qui peuvent réveiller dans le lecteur le plus ignorant du monde des arts un intérêt pour les œuvres de Vermeer ou pour différentes cultures musicales.

Avec La collectionneuse d’anges, Encrico Lunghi a tenté une chose similaire. Sous-titré « Histoire d’art et d’amour », ce court roman est sûrement né de l’intention de l’écrivain et ancien directeur du Mudam de partager sa passion pour le monde artistique avec ses lecteurs, de les laisser découvrir son univers à lui. Noble tentative, qui malheureusement échoue sur tous les plans.

Ou commencer ? Les caractères peu crédibles ; l’histoire invraisemblable ; le dénouement mal-développé, le style lourd et par endroits très kitsch ?

La collectionneuse d’anges décrit la vie d’un businessman luxembourgeois antipathique et arrogant qui rencontre un jour une femme mystérieuse qui sait collectionner des anges, ou plutôt qui peut ressusciter les spectres d’artistes décédés. Or (et dans la tentative de faire du roman une sorte de thriller), un collectionneur chinois puissant et sans scrupules a pris conscience de son talent et veut s’emparer par tout moyen de la collection de Marie. Comment peut-on collectionner des anges ou bien saisir les spectres de quelqu’un d’autre, pourquoi personne n’a jamais questionné le don surnaturel de Marie... ces questions, et beaucoup d’autres, restent ouvertes. À travers son amour pour cette femme énigmatique, le protagoniste qui n’était jusqu’ici que préoccupé de l’ingénierie et n’avait rien avoir à l’art (bien que par miracle, il savait tout sur l’architecture et les œuvres du Mudam), développe un amour pour l’univers artistique et devient en même temps plus humain, s’intéressant soudain pour son fils entretemps adulte.

Le talent de Marie permet à Lunghi de laisser interagir sur scène des artistes célébrés, mais morts : Van Gogh, Da Vinci, Pollock, Duchamp... mais aussi des artistes luxembourgeois comme Michel Majerus font apparence. Cette idée, si elle avait été bien développée, aurait pu être à la base d’un roman fascinant (pas besoin de l’aspect thriller 0-8-15 qu’ajoute Lunghi). Or les caractères de Lunghi ne vont pas au-delà de stéréotypes plats, sans profondeur et ils sont plutôt ridicules que fascinants...

L’impression que l’histoire aurait pu être intéressante (peut-être si l’auteur avait bénéficié d’un meilleur lectorat ?), se poursuit durant toute la lecture. Les bons ingrédients sont là, mais les ingrédients seuls ne font pas encore une bonne soupe : l’idée que l’art donne un sens à la vie, qu’elle fait du monde un endroit meilleur, plus beau et plus humain, que l’amour pour l’art n’a rien à voir avec le business de l’art... toutes ces idées surgissent à un moment ou autre dans le roman d’Enrico Lunghi, mais les nombreuses déficiences du livre prennent le dessus et empêchent que le lecteur ne se laisse emporter. D’ailleurs, que l’auteur fasse référence à ses propres livres, par exemple lorsqu’il raconte une anecdote sur la tombe de Majerus, n’aide pas non plus.

Bien que l’intention du livre soit celle de partager sa passion avec ses lecteurs, ce dernier a plutôt l’impression que La collectionneuse d’anges est pour Enrico Lunghi un projet personnel, voire la tentative d’un retour vers soi après une année tumultueuse. L’écrivain veut-il se convaincre que son amour pour l’art est un état intérieur qui n’a rien à voir avec la politique qui entoure le monde artistique ? Ou est-ce que le fait que l’histoire joue principalement au Mudam est l’expression d’une profonde nostalgie bien compréhensible de son ancien directeur ? Difficile à dire. J’espère pour Encrico Lunghi que sa quête personnelle sera couronnée par plus de succès que le livre qui en résulte. Charlotte Wirth

Enrico Lunghi : La collectionneuse d’anges – Histoire d’art et d’amour ; Éditions Binsfeld, 2017 ; 120 pages, 18 euros ; ISBN 978-99959-42-24-3

Charlotte Wirth
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