Biennale de Venise

Nouvelle grille

d'Lëtzebuerger Land du 13.07.2012

L’endroit est improbable. Dans une sorte de cagibi collé contre le bâtiment des bureaux locaux de la Caisse nationale de santé, à côté de la mairie, le bureau d’architecture 2001 (fondé en 2010 !) est installé dans l’ancien espace-vente d’un promoteur immobilier, espace où les gens venaient signer leur contrat d’achat du rêve pavillonnaire. Exigus, mal isolés, les lieux sont très marqués années 1970, avec des fenêtres en aluminium et des parois en bois foncé ou en liège. Philippe Nathan l’occupe désormais seul, avec des maquettes de ses projets antérieurs, scénographies pour des expositions (Out of the crowd cloud, Snapshot memento, les deux à la Kulturfabrik), des pavillons de jardin ou ses recherches formelles pour une grand maquette – qui sera celle installée dans la Ca’ del Duca, le pavillon luxembourgeois à la Biennale d’architecture de Venise cet automne. « Nous ne voulons en aucun cas faire un pavillon didactique, ni de promotion touristique, » dit-il. La grande maquette en MDF teinté dans la masse selon les typologies de sol y sera le grand élément physique, elle traversera toute l’installation, portant quelque 1 200 maisonnettes, pavillons, tours et autres constructions « typiques » pour le Luxembourg, modèles qui seront prochainement moulés en plâtre à Rotterdam, comme de petits objets précieux.

Mais revenons au début : Philippe Nathan donc a été sélectionné, en mars, par le jury de la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie, productrice de la participation luxembourgeoise à Venise pour le compte du ministère de la Culture, afin de réaliser le projet qu’il avait soumis au jury avec ses collègues Yi-der Chou, belgo-taiwanaise, son associée dans 2001, et Radim Louda, belgo-roumain qui travaille actuellement en Slovénie. Les trois architectes, tout juste trentenaires, se connaissaient de leurs études à la Cambre à Bruxelles. Leur projet s’appelle Post-City, et en amont de toute production matérielle, physique à exposer, consiste avant tout en une analyse très critique du Luxembourg contemporain et une redéfinition radicale du pays en cinq points cardinaux urbanistiques, dont certains sont inattendus, loin de l’image d’Épinal touristique Vieille-ville-palais-cathédrale. De cette redéfinition est née une nouvelle typologie architecturale, que l’équipe réagence en une sorte de jeu de construction miniature.

Au début, il y a un document d’analyse, qui s’ouvre sur deux photos d’hommes exténués, complètement à bout, le visage entre leurs mains : Rem Koolhaas et Jean-Claude Juncker. « Nous partons de la crise, qui est économique, politique et sociale – et touche aussi l’architecture : on construit moins, partout en Europe, les architectes en sont frappés aussi, explique Philippe Nathan. Mais cette crise entraîne un changement de paradigme, il y a de nouveaux repères à développer. » Estimant que les enjeux de l’architecture dépassent largement les seules questions visuelles et esthétiques, mais aussi les normes et contraintes technocratiques qui se multiplient à la vitesse grand V au Luxembourg, l’équipe y est allée au scalpel pour faire un échantillonnage des typologies constructives du pays.

Les cinq points cardinaux de ce pays polycentrique qu’ils ont retenus, alignés sur une sorte de triangle qui est devenu à la fois une grille de graphiste et un logo, sont : 1. Le Kirchberg et ses tours compactes en tant qu’image du Luxembourg moderne, institutionnel et international. 2. Le Luxembourg informel, représentant le vécu de beaucoup d’étrangers qui le traversent par l’autoroute, symbolisé par l’aire de Berchem et son énorme station-service. 3. L’espace symbolique qu’est le village de Schengen, où fut signé, en 1985, l’accord du même nom, instaurant la libre circulation en Europe (pour Philippe Nathan, il n’y a pas image plus parlante que la photo de la signature du traité, dans une salle exiguë du bateau de plaisance Marie-Astrid, tous les intervenants étant à l’étroit pour la photo). 4. Puis il y a l’aspect néo-historique de Belval, avec son patrimoine industriel qui est sauvegardé – mais flanqué de nouveaux blocs massifs de l’université, de logements et de bureaux type architecture de promoteur à la néerlandaise. 5. Le dernier repère est celui de la « nouvelle ville » qui représente le rêve luxembourgeois d’habiter en de petits pavillons proches de tout, y compris de la nature. Pour l’équipe de 2001, il s’agit de la Nordstad, dont le centre géographique est Ingeldorf : « C’est fascinant, constate Philippe Nathan, tout ce village est organisé autour du centre commercial et de la rue longée de stations-services. Il n’y a même pas d’église. » Pour lui, c’est ça, le nouvel idéal des Luxembourgeois.

Voilà un constat, une description possible du Luxembourg. « La question est maintenant : comment réagir ? demande l’architecte. Que faire à partir d’ici ? » Post-City est une analyse un rien provocatrice des questions d’avenir qui se posent au Luxembourg, bien au-delà de l’architecture et de l’urbanisme, et auxquelles la politique doit chercher des réponses. Qu’est-ce qui viendra après les visions des Bech, Werner et Santer du siège européen, de la place bancaire et de la niche audiovisuelle pour développer le pays ? Au-delà de la maquette et de ses typologies de constructions qui matérialisent l’éclectisme de notre environnement bâti, Post-City sera aussi décliné dans un grand livre au format A3, avec des dessins d’Eva de Roi inspirés des gravures protorenaissance du siège de la forteresse et inventant eux aussi de nouveaux modèles urbanistiques, où ces différentes typologies seront réagencées, développées et poussées à leur paroxysme. En outre, un appel à participation international a été lancé au printemps, invitant des intellectuels de toutes les disciplines à écrire un texte de réflexion sur les préceptes de départ. De nombreuses contributions, très diverses, ont ainsi pu être collectées, élargissant considérablement le cercle et la portée de la réflexion entamée.

La biennale d’architecture de Venise durera du 29 août au 25 novembre 2012 ; www.labiennale.org/en/architecture. Plus d’informations : www.fondarch.lu/agenda/biennale et www.2001.lu.
josée hansen
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