Architecture

« Solutions intelligentes »

d'Lëtzebuerger Land du 06.07.2012

« Chercher la qualité dans la normalité », tel avait été la quête du jury du Bauhärepräis 2012, d’après le président Bob Krieps. C’est Prefalux qui a emporté le Prix spécial du jury pour une résidence à Bonnevoie conçue en six mois et construite en six mois ! Le commentaire laconique du maître d’ouvrage « osez le bois » raisonne comme un slogan face au commentaire autoptique du jury – « insertion dans le tissu urbain de manière contemporaine sans être ostentatoire et le respect du gabarit des immeubles voisins »
Était-ce le caractère ostentatoire de l’architecture qui a aveuglé le jury et rendu invisible à ses yeux la pratique unique et exemplaire d’Area Immo, dont le projet avec Metaform n’a emporté qu’une mention ? De toute évidence le jury a évité le tape-à-l’œil. Cet immeuble à six appartements médiatisé à l’échelle mondiale est un eyecatcher par excellence. Tellement que cela jette de l’ombre sur le maître d’ouvrage – privé – qui donne l’exemple, unique aujourd’hui, en s’appropriant un rôle de maître d’ouvrage digne de la haute époque du Jugendstil. Il a choisi d’inclure dans une équipe traditionnelle architecte/ingénieur un artiste, contemporain et local (Sumo), qui crée une nouvelle œuvre avec et pour l’architecture. Ne devrait-il pas reporter le seul et unique Bauhärepräis ?
Le jury a préconisé les solutions « intelligentes et en relation avec l’environnement bâti ». Cela ressort clairement avec le prix patrimoine accordé à la liaison piétonnière du Pfaffenthal au Niedergrünewald dans l’intérêt du circuit culturel et didactique Vauban, projet qui a mis des années et bien des avant-projets étudiés par Becker architecture & urbanisme pour le Service des sites et monuments nationaux. Ça doit être la raison pour laquelle le projet paraît juste et la réalisation trouve tellement bien sa place dans son contexte.
La place de l’Académie à Esch-sur-Alzette a valu un deuxième prix du patrimoine à Agora pour la mise en valeur d’un site industriel. Alors que la mise en valeur en elle même a très peu à voir avec les particularités du site industriel, la prédiction Alleswirdgut (auteurs de projet) se fait attendre : on constate qu’un aménagement urbain aussi soigné soit-il n’engendre pas la fréquentation ou l’animation d’un site.
On aurait bien aimé voir un prix du patrimoine attribué à un maître d’ouvrage privé. Alors que cette édition du Bauhärepräis a voulu mettre d’avantage l’accent sur le secteur privé, il est surprenant que Patricia Lippert n’ait pas remporté un prix du patrimoine pour son atelier d’artiste (lauréat catégorie « lieu de travail », architecte Eve-Lyn Beckius) qui est un exemple à suivre dans la conservation de l’ancien bâti. Le secret semble pourtant si simple : une équipe qui s’entend, un programme et une sensibilité appropriés au bâti, un budget restreint.
Autre petit bout de patrimoine à Bergem, encadré tendrement par Bruck + Weckerle Architekten malgré le programme de centre culturel et de rencontres de la commune de Mondercange. Il arrive que le contexte se réduise à un être vivant, ici c’est un arbre solitaire. C’est autour de celui-ci que l’on se rencontre et se rassemble à l’extérieur autant qu’à l’intérieur, grâce aux douces proportions de ces espaces et à leur prolongation visuelle qui n’est arrêtée que par le solitaire.
Au total le jury a décidé d’attribuer 23 prix et 18 mentions, soit 41 réalisations encouragées sur 224 soumises, mais seulement 32 maîtres d’ouvrage encouragés. En effet, diverses administrations ont remporté plus d’un prix du maître d’ouvrage et cela rend quelque peu perplexe, car le piège persiste : comment ne pas primer l’architecture ? Vu la qualité des réalisations soumises, la réponse est évidente : c’est impossible. Pourtant, la différence est bel et bien faite par le choix que fait le maître d’ouvrage et ceci même pour des réalisations dominées par une programmation purement technique.
Le château d’eau à Leudelange n’est pas (qu’)un château d’eau, c’est tellement  d’autres choses. Emblème de sa commune, véritable landmark de loin, sculpture de près, mais surtout milestone dans sa catégorie. Ce château d’eau ne serait pas superbe si le maître d’ouvrage, la commune, n’avait pas choisi d’inclure un architecte (Schemel & Wirtz) à son équipe. La station d’épuration de Hespérange par contre, bien que lauréat dans sa catégorie, ne semble pas se différencier des autres – faute d’architecte ?

Le Bauhärepräis – prix du maître d’ouvrage est organisé tous les quatre ans par l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils. L’exposition de tous les projets sélectionnés peut être visitée jusqu’au 8 juillet au Ratskeller du Cercle-Cité. Tous les projets sont publiés dans un catalogue vendu 20 euros auprès de l’OAI : www.oai.lu.
Shaaf Milani-Nia
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