Art ancien

Mélange baroque

d'Lëtzebuerger Land du 24.11.2017

Sur le thème des liens du Luxembourg et l’Empire des Habsbourg, le MNHA vient d’ouvrir une exposition sur les influences européennes des peintres baroques entre eux. L’intitulé de l’exposition qui vient d’ouvrir dans trois salles au troisième étage du Musée national d’histoire et d’art (MNHA) au Fëschmaart est prometteur : Drama and tenderness. S’agissant de peinture baroque, le premier terme va de soi, moins le second. Les curateurs expliquent ce choix par l’harmonie des couleurs qui soulignerait l’harmonie générale. Ce qu’on n’a personnellement pas vu, sinon le contraire, entre la sombre Espagne et les Flandres riantes, on va y revenir.

Toujours est-il que, et ce jusqu’en 2019 et la réouverture du Musée royal des beaux-arts d’Anvers, on pourra voir réunis ici une trentaine de tableaux de la prestigieuse institution anversoise (dont deux Rubens), du MNHA, de collectionneurs privés et deux donations récentes de la Fondation La Marck au musée luxembourgeois, ce qui n’est tout de même pas rien. Les œuvres des peintres flamands, espagnols et italiens du siècle baroque présentés, souligne le texte d’introduction et unique explication à l’entrée de l’exposition, auraient des liens entre eux, de par l’influence au-delà des frontières d’alors, mettant en avant l’esprit européen déjà du temps de l’Empire des Habsbourg.

Mais c’est bien ici que le bât blesse, car, sans doute par manque d’espace, aucune explication pédagogique ni scientifique ne vient accompagner ces « ressemblances », dans un accrochage qui semblerait plutôt avoir été fait suivant l’harmonie entre les formats. De plus, l’éclairage violent donne des chromies presque surréelles aux coloris, alors que la tendance muséographique actuelle tend à plonger les peintures dans la pénombre, ce qui requiert un surcroît d’attention mais évite l’effet chromo parfois atteint ici…

Autre grief à l’encontre des cartels cette fois, qui n’indiquent peu ou prou que le nom du peintre et sa date de naissance et de décès, ainsi que l’appartenance du tableau à telle et telle collection. On invitera donc le public intéressé à participer à une visite guidée de l’exposition ou à chercher les biographies des peintres sur son smartphone, pour situer les Jordaens, Zurbaran, de Ribeira, van Dyck etc. dans leur époque et leur pays, et pour comprendre la manière de peindre des uns et des autres en oubliant le « liant » de l’exposition, nous semble-t-il forcé.

Car ce qu’on verra dans une même salle, donc aux deux extrémités du spectre de la représentation, c’est que le flamand Jacques Jordaens célèbre les plaisirs terrestres de ses riches concitoyens avec un Bacchus et un Disciple aux formes et aux couleurs aussi vivantes que sont sombres et émaciés les portraits de philosophes peints par l’espagnol José de Ribera vantant, dans une Espagne rigoureusement jésuite, plutôt la discipline de la pensée.

Accord il y a cependant dans la plénitude des sens dans les portraits de femmes, qu’ils soient profanes ou religieux – Marie-Madeleine par Janssens ou Hélène de Troie par Molinari - car prétextes à mettre en valeur leur carnation, leurs chairs épanouies et la peinture de genre. Mais on soulignera, pour notre part, les différences sociales et économiques entre le nord et le sud de l’Europe, dans cette représentation de paysans réjouis semblant célébrer le fait de pouvoir manger à leur faim (par l’espagnol Francisco de Burgos Mantilla) et l’abondance naturelle de la pêche en Flandre (Nature morte aux poissons par Clara Peeters), mise en scène avec raffinement pour une dégustation des yeux et des papilles sans doute dans une riche maison.

Certaines œuvres permettent de se faire une idée de la « bonne » et de la « mauvaise » peinture – pourquoi d’ailleurs ne pas voir cette exposition sous cet angle ? Ainsi d’une très belle étude anatomique de corps relâché dans la Lamentation du Christ d’Anthony van Dyck, quand la Psyché d’Abraham Blomaert est dans l’étalement de chair blême et le déséquilibre. Mais l’exposition se terminant avec le bel équilibre de la composition, des couleurs, de la beauté des visages et des costumes peints par Rubens dans L’éducation de Marie a, on dira que tout un chacun peut prendre plaisir à visiter l’exposition et que comme dans le tableau Un cabinet d’art du peintre Frans Francken, il se trouve dans un cabinet de curiosités. La splendide Nature morte avec trois verres à vin dans une niche d’Osias Beert à elle seule valant la visite.

L’exposition Drama and tenderness – Flemish, spanish and italian art of baroque, est à voir au Musée national d’histoir et d’art (MNHA) jusqu’en octobre 2019 ; Marché-aux-Poissons à Luxembourg-ville ; www.mnha.lu.

Marianne Brausch
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