Quelles leçons à tirer de la réforme fiscale suisse ?

Réduction d’impôt sur les sociétés et équité fiscale

d'Lëtzebuerger Land du 02.12.2016

Le 13 juin dernier, la branche luxembourgeoise de l’Association fiscale internationale (International fiscal association – IFA) organisait une conférence intitulée « Réduction d’impôt sur les sociétés et équité fiscale ».1 L’IFA avait invité Pierre-Marie Glauser, avocat associé du cabinet Oberson Abels SA et professeur de fiscalité à la faculté HEC de Lausanne, pour exposer le plafonnement de l’impôt sur les sociétés à treize pour cent dans le canton de Vaud. Les débats portaient sur cette réforme fiscale helvétique avalisée par référendum (et adopté le 17 juin 2016) ainsi que sur sa capacité à servir d’inspiration pour le législateur luxembourgeois.

Depuis 2007, les statuts privilégiés applicables en Suisse ont été soumis à une pression internationale importante, en raison des avantages qu’ils accordent aux multinationales, notamment sur les bénéfices réalisés à l’étranger. Le projet de loi portant la troisième réforme de l’imposition des entreprises (« RIE III ») vise à supprimer les statuts fiscaux et à unifier l’imposition des bénéfices des sociétés.

Contexte général Maître Glauser rappelle tout d’abord que la Suisse est un système fédéral constitué par la Confédération au niveau fédéral et par 26 cantons fédérés. Quant au système fiscal, on distingue les impôts purement fédéraux (TVA, douanes, impôt anticipé) et les impôts fédéraux et cantonaux (impôt direct sur le revenu, profit des entreprises). L’impôt est organisé au niveau fédéral par deux lois, la Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD) et la Loi fédérale sur l’harmonisation des impôt directs des cantons et des communes (LHID) qui déterminent la répartition de la taxation et de la perception des impôts au niveau fédéral et au niveau cantonal. Ainsi, l’essentiel des règles d’imposition sont harmonisées au niveau national ; excepté les taux d’imposition applicables, car chaque canton est en mesure de déterminer son taux d’imposition.

La Suisse disposait par ailleurs de « statuts fiscaux particuliers » applicables à certaines entreprises tant au niveau cantonal que fédéral ; à titre d’exemple, le statut des « sociétés holdings » accordait de nombreux avantages fiscaux aux entreprises, majoritairement des multinationales, détenant des propriétés intellectuelles, des participations ou ayant une activité de financement intragroupe. Il s’agit là de domaines controversés qui peuvent contribuer à l’érosion de la base d’imposition et au transfert des bénéfices.

Suite aux pressions exercées par l’UE et l’OCDE, le ministère des Finances suisse et les représentants des États membres de l’UE ont paraphé une déclaration conjointe sur la fiscalité des entreprises en juillet 2014 dans laquelle la Suisse s’est engagée à adapter son système fiscal au droit international et européen, notamment ses statuts fiscaux privilégiés. Dans un environnement où le choix de la politique fiscale est devenu primordial, la Suisse a décidé de mettre un terme aux différences de traitement fiscal des bénéfices des entreprises. Pour conserver la compétitivité de son régime fiscal, la réforme fiscale propose par ailleurs un abaissement du taux cantonal de l’impôt sur les bénéfices. Le canton de Vaud est le premier à avoir adopté, par référendum, un taux unique de 13,79 pour cent.

Enjeu de la réforme La suppression des régimes particuliers a un impact important sur les recettes fiscales suisses. On constate qu’en moyenne, plus de 21 pour cent des sociétés établies dans un canton suisse bénéficiaient d’un régime spécial, rapportant plus de 3,6 milliards de francs entre 2008 et 2010, soit cinquante pour cent du produit total de l’imposition des bénéfices.2

L’impact des statuts fiscaux sur l’emploi est également considérable : entre 2008 et 2010, les dépenses de personnel représentaient 4,3 pour cent des dépenses des sociétés à régime spécial, contre 95,7 pour cent pour les sociétés assujetties au barème ordinaire.3 Les enjeux sont d’autant plus importants pour les cantons de Vaud et de Genève. Les entreprises à statut privilégié y ont contribué à la création de près de 20 000 emplois et rapportent plus de 600 millions de francs suisses d’impôt commercial communal.

La RIE III a été initiée en 2008. La loi votée le 17 juin abolit les régimes fiscaux privilégiés, y compris au niveau cantonal. Afin d’assurer la compétitivité de l’économie suisse, des mesures de substitution ont été prévues, comme un régime de « licence box » conforme à l’approche préconisée par l’OCDE ou encore des déductions accrues des dépenses pour la recherche et le développement.

La réforme vaudoise Le canton de Vaud est le premier à avoir voté la baisse du taux d’imposition généralisée. Il est l’un des deux cantons les plus touchés par l’abrogation des régimes particuliers applicables. Le secteur privé a majoritairement milité pour une baisse de taux, notamment les entreprises multinationales pour qui la suppression des régimes particuliers entraîne une augmentation considérable de l’impôt. En contrepartie de la baisse de la fiscalité, les entreprises se sont engagées à financer différentes mesures qui devraient renforcer le pouvoir d’achat des familles. Parmi celles-ci on retrouve une augmentation des subsides à l’assurance maladie et le soutien accru à l’accueil de jour des enfants. L’entrée en vigueur de la réforme est prévue pour le 1er janvier 2019, au même moment que l’abolition des régimes fiscaux. En cas d’échec de la RIE III, le gouvernement vaudois devra soumettre un rapport au parlement vaudois et proposer des mesures alternatives.

En conclusion, la RIE III est une réforme innovante qui aura un impact considérable sur le système fiscal du pays. Elle permettra de contribuer à la sécurité juridique et d’accroître la compétitivité dans un monde post-Beps. Le canton de Vaud semble donc concilier l’équité avec la compétitivité fiscale tout en ayant un taux d’affichage d’impôt sur les sociétés de treize pour cent, et en réunissant un large consensus tant politique que populaire. Ceci amène à s’interroger si un tel modèle ne devrait alors pas être une source d’inspiration pour le législateur luxembourgeois en quête d’une réforme fiscale équitable et compétitive. Ce point était le sujet du débat politique qui a suivi l’exposé de Maître Glauser. Le panel politique était composé de Joëlle Elvinger (DP), Franz Fayot (LSAP), Christian Kmiotek (Déi Gréng), Laurent Mosar (CSV) et David Wagner (Déi Lénk). En résumé, il ressortait des discussions que le focus portait plus sur le souci de l’équité que celui de la compétitivité. Visiblement, les représentants luxembourgeois ne partagent pas les mêmes sensibilités que leurs homologues suisses.

* Eric Fort est avocat (Arendt & Medernach) et président de la section luxembourgeoise de l’IFA
Eric Fort
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