The Job

Signe d‘optimisme et de vitalité

d'Lëtzebuerger Land du 08.07.2010

Rien à voir avec la série télévisée américaine portant le même titre et traitant d’affaires policières, The Job est un projet culturel et social.

Culturel, The Job allie la danse, la musique (composition, direction et interprétation), la photographie, la scénographie, les costumes, les lumières …

Social, The Job permet à des personnes inscrites à l’Adem d’âges et de profils professionnels différents de participer au projet en les intégrant aux côtés de trois danseurs professionnels (Julie Barthélémy, Jeanna Serikbayeva-Larosche et Sven Soares).

Politique, The Job favorise la valorisation des personnes écartées temporairement de leur projet professionnel du fait de leur chômage en leur permettant d’exercer de nouvelles compétences. Certes ces nouvelles compétences sont destinées à servir ce projet mais au-delà de celui-ci, ils ont appris à bouger et à se mouvoir en public et à croiser le regard des autres, du public.

Présenté à la Mierscher Kulturhaus, dirigé par Karin Kremer sur plusieurs dates entre le 30 juin et le 10 juillet, The Job est un projet artistique qui sera repris au Grand Théâtre de Luxem­bourg le 23 octobre prochain.

Chorégraphié par Emanuela Laco­pini notamment chargée de cours de Danse contemporaine au Conser­vatoire de la Ville de Luxembourg, c’est Camille Kerger qui en compose sur commande la musique pour soprane-solo, chœurs, accordéon, percussions et électronique. Personnage incontournable de la scène musicale luxembourgeoise (avec son ensemble Sygma) ayant un engagement international pour l’opéra contemporain, ce musicien complet (trombone, chant lyrique et composition – 50 œuvres écrites dont huit œuvres scéniques) enseigne au Conservatoi­re de Luxembourg dans les classes d’opéra et de direction chorale.

Cette palette de compétences s’est traduite par une composition originale interprétée sur scène par un chœur de huit chanteurs et jouée par deux musiciens. Les arrangements électroniques étaient assurés par Roby Steinmetzer qui collabore régulièrement avec la danseuse-chorégraphe Annick Pütz notamment lors du Transfrontalier 2010.

La soprane-solo, Stephany Ortega a admirablement interprété sa partie dans des aigüs très légers et très précis. Le chœur s’éloigne de la scène en interprétant le Lascia ch’io Pinaga tiré de l’œuvre Rinaldo de Händel dont la traduction renvoie comme une incantation des personnes impliquées dans ce projet (« Laisse moi pleurer et soupirer sur mon sort cruel et la Liberté. Que ma douleur puisse briser ces chaînes, ne serait ce que par pitié pour mes souffrances. »).

Emanuela Lacopini, titulaire d’un Master en Dance Science au Laban Center est chargée de cours de Danse contemporaine au Conservatoire de musique de la Ville de Luxembourg depuis 2007. Elle s’est associée à Rajivan Ayyappan (lequel met en scène cette création) et à Isabelle Siem­pelkamp (chercheuse) pour fonder Vedanza Artists International (2006).

Un début chorégraphique un peu lent et des mouvements de groupe trop répétitifs fait que l’on s’y ennuie un peu parfois. Le thème traité est connu et largement communiqué et on s’attend à rentrer dans le vif du sujet plus rapidement. Progressivement, la confrontation des danseurs de l’Adem avec le monde du travail, ses exigences et sa gestuelle prend forme.

Au cœur de ce rapport entre décideurs-décidés, le face à face, les tics gestuels et le conformisme de l’entretien d’embauche parviennent réellement à capter notre attention. La scénographie met parfaitement en valeur le groupe et les personnalités de chaque individu dans cette situation.

On s’amuse à deviner au travers des gestes repris et interprétés par les danseurs de l’Adem quelles pourraient être leur compétence initiale. Certains apparaissent naturellement très à l’aise sur scène, d’autres plus réservés compensent par une présence plus théâtrale.

Les danseurs professionnels clairement identifiés au sein et en dehors du groupe évoluent parmi les autres en soutien narratif. Peut-être pourraient-ils être plus utilisés lors de la première partie un peu trop statique lors de laquelle le groupe traverse et retraverse la scène sans laisser d’impression visuelle forte. Leur apport est indispensable et facilite les transitions dans la narration chorégraphique.

Signe d’optimisme et de vitalité, danseurs professionnels et de l’Adem parviennent à retourner la situation décideurs-décidés par des mouvements renversants effectués au sol. La dignité est donc réhabilitée.

L’intérêt que suscite ce projet auprès du public répond aux questions actuelles cruciales quant au positionnement de chacun et plus généralement de l’homme dans la société et du rapport au travail. En faisant preuve d’une grande capacité d’adaptation et de motivation pour donner corps à ce projet, la citation tirée de l’éloge de la fuite d’Henri Laborit prend tous son sens : « L’Homme est un être de désir. Le travail ne peut qu’assouvir des besoins. Rares sont les privilégiés qui réussissent à satisfaire les seconds en répondant au premier. Ceux-là ne travaillent jamais. ».

Emmanuelle Ragot
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