Nha Fala

«Tous unis par pauvreté»

d'Lëtzebuerger Land du 24.07.2003

Et si l'Afrique était une femme? Elle s'appellerait Vita et serait très belle, presque trop parfaite. Nha Fala, qui, en créole portugais, signifie «ma voix» (ou «ma voie», «mon destin»), le quatrième long-métrage du réalisateur buissau guinéen Flora Gomes, raconte un conte hautement symbolique: l'histoire d'une jeune Cap-Verdienne qui, pour être partie vivre en Europe, se libère des croyances populaires qui intimident sa mère, sa famille, son village. 

Car avant qu'elle ne parte étudier à Paris, la mère prit bien soin de rappeler à Vita que selon une vieille malédiction, elle ne doit jamais chanter de sa vie, au risque de mourir. À Paris, Vita tombe amoureuse d'un homme, Pierre, qui est musicien - forcément. Libérée par l'amour, elle se met à chanter, (re)trouve sa voix. Mais trouve aussi sa voie: Vita décide de défier le destin et enregistre même un disque. C'est alors qu'elle retourne chez elle pour partager son émancipation avec les siens.

Naïve, l'histoire? Le cinéma africain n'a rien à voir avec le cinéma occidental. Ses histoires sont souvent des paraboles hautement symboliques, parfois perçues comme trop lourdes pour le spectateur occidental. Flora Gomes voulait montrer un autre visage de l'Afrique, nous dire qu'à côté de la misère, des famines, des guerres, il y a aussi une Afrique qui chante, fête et danse à chaque occasion, où l'esprit de communauté est très développé, où les gens s'entraident et se soutiennent. Nha Fala est une comédie musicale légère et colorée, portée par la musique de Manu Dibango. 

Et elle fait plaisir à voir pour tout ce qui semble accessoire, mais fait en fait la force du film. Les décors d'abord: tourné au Cap Vert - la situation politique en Guinée Bissau ne permettait pas que le film soit tourné dans la patrie de Flora Gomes, mais les deux pays sont proches géographiquement et par leur histoire d'anciennes colonies portugaises; le réalisateur revendique d'ailleurs un certain syncrétisme -, le film se passe dans des ruelles bordées de magnifiques maisons coloniales hautes en couleurs, dans des cours intérieures fleuries ou en bord de mer, devant les montagnes de l'île. 

Flora Gomes nous montre une Afrique en évolution, au point de se moderniser sans pour autant rompre avec les traditions. La mort y est omniprésente mais jamais triste: au début du film, des enfants font une procession funéraire pour le perroquet de l'école qui ne savait dire que «silence!». Le voisin de Flora meurt à 82 ans, il est enterré dans un cercueil en forme de poisson bleu et le village organise une grande fête pour lui, où animisme et foi catholique s'entremêlent. Et à la fin, Vita est obligée de mettre en scène son propre enterrement, «pour pouvoir mieux renaître».

Mais Gomes est aussi un réalisateur politique. Il nous parle de ce continent dont «les grandes soeurs qui partent à l'étranger ne reviennent jamais», où ceux qui ont fait des études ne trouvent pas d'emploi, où les enfants ne rêvent que de «Nike, Barbie et Coca-Cola» et dont les habitants ont du mal à assumer leur histoire - cette statue d'Amilcar Cabral, héros de la lutte d'indépendance, assassiné la veille de son achèvement, en 1973, promenée en landau tout au long du film, pour laquelle ils ne trouvent pas d'emplacement et qui devient de plus en plus encombrante en est une illustration allégorique. Les hommes? «Plus ils sont intelligents, plus ils magouillent,» dit la mère de Vita; Yano, le prétendant en est le meilleur exemple, s'enrichissant par des marchandages douteux. 

La meilleure façon de voir Nha Fala est probablement avec un groupe de jeunes Cap-Verdiens, comme l'autre soir à l'Utopia: la bonne humeur des chanson, la nostalgie du pays, les blagues, les remarques sur la beauté de Fatou N'Diaye, l'héroïne du film, resplendissante en robe comme en manteau - tout y fut attrapé au bond et amplifié par la salle. Nha Fala est une coproduction luso-franco-luxembourgeoise (Fado Filmes, Les Films de Mai, Samsa Film), une coproduction qui fait sens, vues les relations socio-politiques qu'il peut y avoir entre ces trois pays et le Cap Vert. On lui pardonnera ses longueurs et sa lourdeur pour ne repartir optimiste du cinéma. Tout droit à l'agence de voyages...

 

 

 

 

 

josée hansen
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