La population mondiale a doublé en moins de cinquante ans. Sa diminution annoncée pose des problèmes. Mise en perspective des enjeux démographiques contemporains

Vous avez dit « effondrement démographique » ?

d'Lëtzebuerger Land du 09.09.2022

Contrairement aux phénomènes économiques et sociaux qui peuvent connaître des variations brutales dans un délai assez court (on le voit bien aujourd’hui avec l’envolée de l’inflation), les évolutions démographiques obéissent à des tendances longues et modérées, ce qui facilite d’ailleurs les prévisions en ce domaine. D’où la surprise suscitée par la révélation par plusieurs médias, le 22 août, de l’existence d’un document de la banque HSBC prévoyant l’effondrement de la population mondiale d’ici la fin du siècle : elle passerait de huit milliards d’êtres humains en 2022 à quatre milliards en 2100, la chute intervenant en réalité à partir de 2050 environ. Problème : dans ce court rapport de six pages intitulé « How soon will the world’s population be shrinking ? », on ne trouve aucune mention de ce chiffre de quatre milliards, qui ramènerait la population mondiale à son niveau de 1974. Le document s’en prend en revanche aux prévisions publiées peu de temps auparavant par l’Onu sous le titre « World Population Prospects 2022, Summary of Results ».

Selon son scénario central, l’Onu estime que la population mondiale devrait atteindre les huit milliards d’individus à l’automne 2022 et continuer à augmenter jusqu’en 2086 pour atteindre alors un pic de 10,43 milliards et commencer ensuite à se stabiliser puis à décliner. En cause, la baisse de la fécondité moyenne : en 2021, elle était de 2,3 enfants par femme dans la période de leur vie où elles sont en âge de procréer, soit la moitié de la « fertilité » constatée dans les années 1950. Pour l’Onu, elle devrait encore baisser d’ici à 2050 pour atteindre 2,1, soit le taux qui permet de stabiliser la population, mais il faudrait encore attendre deux ou trois décennies avant que la population ne diminue. La baisse de la fécondité continuerait bien sûr au-delà de 2050 de sorte qu’à la fin du siècle, le nombre d’enfants par femme serait d’environ 1,85 dans le monde selon les estimations les plus récentes.

Dans leur note publiée le 12 juillet, les trois économistes de HSBC Global Research, James Pomeroy, Herald van der Linde et Prerna Garg jugent ce « scénario moyen » trop optimiste et se rallient à l’hypothèse basse de l’Onu selon laquelle la baisse de la fécondité sera plus rapide et plus importante avec un pic de population mondiale de 8,94 milliards d’habitants atteint vers 2053, soit environ trente ans plus tôt que selon le scénario central. À la fin du siècle, la planète n’abriterait plus que 7,3 milliards d’habitants, soit moins qu’aujourd’hui. L’écart serait de quelque trois milliards avec la prévision du scénario central et de sept milliards avec l’hypothèse haute.

Ces auteurs se situent dans la droite ligne d’un ouvrage au titre révélateur « Empty Planet : the shock of global population decline » paru en 2019. Dans un grand nombre de pays développés, notamment en Europe, la baisse de la fécondité est ancienne et se traduit déjà par une diminution de la population, du fait de l’excédent des décès sur les naissances. (d’Land, 26.08.2022). Chez eux la tendance est confirmée, avec de nouveaux facteurs à l’œuvre comme la hausse des prix de l’immobilier qui est défavorable aux familles nombreuses. En revanche le phénomène toucherait, plus rapidement qu’on ne l’imaginait, les pays émergents et en développement, pour plusieurs raisons. L’intégration des femmes dans le marché de l’emploi retarde l’âge auquel elles ont leur premier enfant et diminue le nombre total d’enfants qu’elles vont mettre au monde. Le développement de l’éducation et le meilleur accès aux soins et aux pratiques contraceptives jouent également un rôle dans le fait que les familles font moins d’enfants, souligne l’étude de HSBC. Des évènements ponctuels mais graves comme la pandémie survenue en 2020 ne peuvent qu’accentuer la tendance à la baisse du nombre de naissances.

Tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. La situation va continuer à se dégrader en Europe : « Au rythme où vont les choses, la population y aura diminué de moitié avant 2070, le continent risquant de perdre 400 millions d’habitants d’ici à 2100 ». L’Allemagne perdrait treize millions d’habitants passant de 83,3 millions en 2020 à 70,3 millions en 2100. Selon James Pomeroy, les politiques visant à remonter le taux de fécondité en Europe ont été des échecs, ne parvenant au mieux qu’à enrayer sa baisse et cela dans un nombre limité de pays. À Hong Kong, à Singapour, en Corée du Sud et à Taïwan, l’actuel taux de fécondité permet de prédire une division par deux de leur population d’ici à la fin du siècle. La Chine verrait la sienne reculer à 1,17 milliard en 2050 (contre 1,4 milliard en 2020).

En revanche dans d’autres pays d’Asie et en Afrique subsaharienne, le niveau de la fécondité, bien qu’en recul, permet une poursuite de la croissance de la population. Ainsi en prolongeant la tendance actuelle, la population indienne (la plus nombreuse du monde dès 2023) grimperait à 1,54 milliard d’habitants en 2050 et dépasserait largement celle de la Chine. Celle de l’Afrique doublerait d’ici 2050 et avec 2,8 milliards d’habitants ce continent pèserait alors plus de trente pour cent du total mondial. Pour de nombreux démographes les prévisions des auteurs du document HSBC, qui sont en fait celles de l’Onu et d’autres d’organismes dans leur « version basse », ne sont pas réalistes.

En supposant qu’un maximum d’environ neuf milliards d’êtres humains soit atteint en 2053 (hypothèse basse de l’Onu) et que la population mondiale tombe à 7,3 milliards à la fin du siècle, cela signifierait une diminution de 1,7 milliard en quelque cinquante ans, soit 34 millions de personnes en moins par an en moyenne !

On serait sur un taux de décroissance moyen de 0,42 pour cent par an sur un demi-siècle, ce qui en supposant un taux de mortalité stable, impliquerait une baisse drastique de la natalité, dont le taux serait divisé par cinq par rapport à son niveau actuel. Rappelons qu’aujourd’hui avec un taux de mortalité de 7,7 pour mille (0,77 pour cent), en baisse constante depuis plusieurs décennies, et un taux de natalité de 17,7 pour mille (1,77 pour cent), la population du globe augmente de un pour cent par an. Il s’agirait donc d’un bouleversement total de la dynamique démographique.

Ces chiffres ont naturellement fait le miel des néo-malthusiens, qui n’en demandaient pas tant. Il existe de longue date un courant d’idées qui estime que la Terre est trop peuplée. En Europe il a été notamment représenté par l’écrivain britannique Aldous Huxley et par le célèbre Commandant Cousteau. Aux États-Unis, le biologiste Paul R. Ehrlich, aujourd’hui âgé de 90 ans, publia en 1968 un ouvrage à succès intitulé « The Population Bomb » avant de fonder l’année suivante l’association Zero Population Growth. Aujourd’hui des associations comme Démographie Responsable (à Lyon en France) défendent toujours la nécessité d’un déclin démographique contrôlé qui réduirait la pression sur les ressources de la planète en eau, en produits agricoles et alimentaires, en métaux, et irait dans le sens d’un meilleur équilibre climatique.

Les partisans de la diminution de la population du globe s’étaient déjà réjouis des « prévisions centrales » de l’Onu, revues à la baisse depuis l’édition précédente des World Population Prospects en 2019. À ce moment, il était prévu un pic à 10,87 milliards d’habitants en 2100. Il a été avancé de quatorze ans, avec un niveau légèrement inférieur. L’étude HSBC, qui apporte de l’eau au moulin de l’hypothèse basse en le fixant vers 2050, avec quelque deux milliards d’habitants en moins, ne peut que les combler d’aise. Mais c’est loin d’être l’opinion majoritaire. Les pays qui voient leur population diminuer souffrent de pénuries de main d’œuvre et voient leur marché intérieur se contracter. La baisse de la population s’accompagne de son vieillissement : en 2050 pour la première fois dans l’histoire de l’humanité il y aura davantage de personnes âgées de plus de 65 ans que de jeunes de moins de quinze ans. Le financement des retraites sera compromis. Dans les pays développés qui sont déjà dans cette situation on observe que les populations deviennent plus conservatrices, plus frileuses et surtout moins innovantes. Le recours à l’immigration leur pose d’importants problèmes politiques et sociaux. La situation est inédite et montre que, après avoir dû pendant plusieurs décennies faire face au défi de l’augmentation de la population (qui au niveau mondial a doublé en moins de ciuquante ans) il faudra désormais affronter celui de sa diminution et des problèmes nouveaux qui l’accompagnent.

Planète vide

C’est en 2019 que les canadiens Darrell Bricker et John Ibbitson ont publié leur livre Empty Planet The Shock of Global Population Decline. Constatant que la population diminue déjà dans de très nombreux pays, comme le Japon, l’Italie et une grande partie de l’Europe de l’Est, ils observent que le taux de fécondité est devenu inférieur au seuil de renouvellement dans plusieurs grands pays émergents comme la Chine ou le Brésil, une évolution identique étant attendue parmi les pays en développement en Afrique et en Asie. Selon eux au rythme actuel de la baisse de la natalité, la population mondiale pourrait atteindre son pic aux alentours de neuf  milliards d’êtres humains au milieu du 21e siècle, pour ensuite décroître. Cette estimation est très proche de l’hypothèse basse de l’Onu et de celle défendue dans le rapport HSBC.

Pour Bricker et Ibbitson, si le recul touche davantage de pays, y compris parmi les moins avancés, le déclin démographique ne pourra plus être compensé, comme c’est le cas aujourd’hui dans certains pays, par le recours à l’immigration. Selon eux les flux migratoires diminueront. C’est probablement le point faible de leur analyse. En effet tout indique que la population de la plupart des pays pauvres continuera à augmenter au moins jusqu’à 2050 ou ne diminuera pas de manière significative. Il y a aura donc toujours, notamment en Afrique, une masse importante de migrants potentiels prêts à se diriger vers les pays développés ou émergents en manque de main-d’œuvre.

Georges Canto
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