CD el éxtasis de las flores pequeñas de Federico Durand

Versions d’automne

d'Lëtzebuerger Land du 23.06.2011

La bonne santé artistique du label Own Records s’illustre à nouveau par une doublette de sorties. Rappelons au passage, que la structure fête ses dix ans d’activité. Dans les deux cas, on a affaire à des artistes confirmés voire même chevronnés en ce qui concerne Thomas Méry. Quant à l’Argentin Federico Durand, il sort avec el éxtasis de las flores pequeñas son troisième album.

Pour ce dernier, le chapelet de compositions est imprégné et structuré par des souvenirs provenant de l’enfance de Durand, quand celui-ci, bambin, sillonnait les forêts argentines avec ses aïeux. Illustrant parfaitement la nature d’un souvenir, par essence nébuleux et souvent axé sur des impressions remodelées, les morceaux baignent dans un flou ambient chaleureux, qui se laisse porter par des drones et autres field recordings. Si la maîtrise de l’Argentin pour construire des ambiances bucoliques et nostalgiques est indiscutable, l’écoute de l’album s’avère à double tranchant. En effet, selon l’humeur de l’auditeur, ce dernier s’ébaudira devant ce calme paisible et contemplatif qui se dégage de l’album ou alors le trouvera passablement rasoir et chiant, n’ayant aucune envie d’écouter pour la nième fois l’ouverture d’un nénuphar un doux matin d’été ! Tout est évidemment question de contexte.

Si les deux premiers morceaux donnent cette impression de surplace apaisant et un peu vain, en égrenant des notes au hasard sur des gouttes de pluies, les choses prennent une autre tournure dès elin. Ce bref morceau séduit par la grâce d’une mélodie tangible et fragile tout en gardant le parti pris esthétique de Durand. Sur cette lancée, la casa de los abuelos (la maison des grands-parents) poursuit avec une ligne de piano hésitante, légèrement désaccordée sur un lit des arpèges de guitares, comme pour illustrer le temps qui passe et qui altère les corps, le poids de l’âge aidant. Certes, les plages ambient fonctionnent parfaitement en tant que vignettes sonores du souvenir qu’elles sont censées illustrer comme dans atardecer en las montañas (tombée du jour en montagne) où une langueur s’empare du morceau au travers de drones qui se croisent dans les vallées, tandis qu’un brouillard sonore accompagne le lent mais inexorable obscurcissement. Autre beau moment, kim qui clôt l’album avec simplement une guitare acoustique limpide et des gazouillis d’oiseaux.

En qui concerne Thomas Méry, il n’en est pas à son coup d’essai. Il faut savoir que ce dernier arpente la scène indé française depuis une quinzaine d’années, entre autres en tant que chanteur au sein de Purr qui a laissé, en héritage, l’un des grands albums d’indé français des 90’s avec whales lead to the deep sea, pendant européen des épopées de Slint et de Codeine. Le bonhomme sort son deuxième album solo avec l’aide de plusieurs fidèles collaborateurs. Ce qui frappe d’emblée sur les couleurs, les ombres c’est le timbre de Thomas Méry. En effet, cette voix révèle une trouble ressemblance avec la baudruche Pascal Obispo. Un Obispo débarrassé de tous ses imbuvables tics et dans un registre crédible voire même habité par moments. Mais tels Tim Buckley voire Nick Drake ou encore Gerard Manset, des textes évocateurs et chimériques, pour la plupart en français, malgré quelques passages en anglais, sont déclamés sur des arrangements somptueux et savants, portés par des musiciens au diapason du chanteur-guitariste aux pickings sophistiqués.

Les textes profondément mélan­coliques entre confidences et désincarnations impersonnelles font le constat poignant et imagé sur des détails futiles (comme sur du sirop), qui rendent la vie absurde ou, au contraire, méritant d’être vécue, malgré le vertige et la chute que cela peut entraîner. Les six morceaux forment un tout puissamment homogène, qui musicalement se retrouve à cheval entre ce free folk un peu jazzy tel que le pratiquaient Buckley père et Drake, mais aussi des climats d’une profonde musicalité aux confins d’un certain postrock comme celui qui était tissé par, au hasard, Hood, Talk Talk dans sa dernière période ou Matt Elliot. Belle et intemporelle, aux envolées acoustiques impétueuses, avec mention spéciale aux magnifiques parties de cuivres (clarinette, clarinette basse et trompette), la musique transfigure littéralement cette demi-douzaine de compositions automnales. Tel un franc-tireur, Thomas Méry creuse farouchement son sillon personnel.

Pour plus d’informations : www.ownrecords.com
David André
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