Édito

La montagne tragique

d'Lëtzebuerger Land du 27.03.2020

Heli-Heli-Helikopter – l’hymne de l’après-ski ne résonnera plus cette année à Ischgl. La station autrichienne a prématurément fermé ses portes au début du mois après avoir couvé un foyer de coronavirus. Les commerces et les entreprises européennes l’ont suivie à quelques jours d’intervalle en même temps que les fêtards descendaient de la montagne. On espère maintenant que le refrain retentira du côté de Francfort, sans la mélodie, mais avec le sérieux dû à ce drame avant tout humain. La monnaie hélicoptère pourrait sauver une partie du tissu entrepreneurial menacé par l’arrêt précipité de l’activité sur le Vieux Continent, voire l’économie toute entière.

Donnons de l’argent aux PME qui le demandent, en plus de celui qu’on leur prête. Pourquoi ? Parce que les PME (y inclus les indépendants) représentent 99 pour cent des entreprises européennes et emploient deux Européens sur trois. Parce qu’elles opèrent souvent sur un mince matelas de liquidités et avec des marges étroites, qu’elles vivent von der Hand in den Mund. Des ressources financières leurs sont nécessaires pour redémarrer l’activité, notamment pour payer les salariés et reconstituer les stocks. Les mesures proposées jusqu’ici sont bienvenues, ne nous méprenons pas. L’exécutif retarde les sorties d’argent en repoussant le règlement des cotisations et charges. Des prêts sont facilités via les garanties proposées par un aréopage d’instruments, nationaux (SNCI, mutualités de cautionnement et Trésor public) et européens (BEI et BCE via les banques et l’État). Des aides de 5 000 euros renflouent partiellement la trésorerie des toutes petites entreprises. Le cadre juridique des faillites est assoupli. Mais ce n’est que repousser les échéances et/ou cela alimente la spirale de l’endettement. Les dons aux TPE endettent in fine l’État par exemple. Rappelons que la crise du Covid-19 signifie deux, voire trois ou quatre mois d’inactivité totale. Durant cette période, les entreprises coûtent à tout le monde (via le chômage partiel et les congés familiaux) sans rapporter à personne (les charges et cotisations bénéficient d’un moratoire). De nombreux entrepreneurs approchent de la retraite. Combien seront-ils à signer pour un nouvel emprunt quand celui-ci sera accessible ? Et ne rêvons pas non plus. Le canal du crédit sera engorgé d’une manière (demandes trop nombreuses pour êtres gérées promptement) ou d’une autre (banques réticentes à charger leurs bilans de crédits douteux). Une cessation d’activités paraîtra bien souvent la solution de facilité. Le temps manquera à d’autres. Des salariés, beaucoup, resteront sur le carreau. Mais des crédits seront octroyés. Les milliards affluent de Francfort. Ils alimenteront l’ogre de la dette qui ponctionne, via le remboursement des intérêts, un peu plus les richesses produites par tout un chacun, à tous les niveaux.

L’instrument (non conventionnel oui mais il ne serait pas le seul de la sorte et l’ampleur de la crise l’exige) de la monnaie hélicoptère, infuserait via les États membres. Comme le proposent déjà des économistes, elle prendrait la forme de dette perpétuelle (non rem-boursable, limitée à des fins et dans le temps) dans les livres de la BCE, laquelle ne rend, elle, de comptes à personne. Il faudrait certes changer les traités. Et quoi ? Donnons-nous les moyens de nos ambitions. Quelles sont-elles ? Sortir de cette crise sans précédent avec le minimum de dommages possibles. Le Systemic Risk Council (un organe consultatif international qui rassemble les principaux anciens banquiers centraux) a sonné l’alarme en fin de semaine passée : « The collective consequences could be catastrophic ». Et les marchés n’ont jusque là pas « acheté » les mesures préconisées par les banques centrales. Normal. La route empruntée conduit vers une Europe surendettée. L’excédent de dette, épée de Damoclès et répulsif à investissement, présagera au mieux des années de morosité, plus vraisemblablement, des menaces de défauts souverains. On parle déjà de l’Italie. Alors oui, les plus fortunés retourneront bringuer à Ischgl, mais l’immense majorité trimera au pied de la montagne. Plus bas que terre parfois. Ceux-là demanderont aux responsables d’aujourd’hui de rendre des comptes.

Pierre Sorlut
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