Office pour les infrastructures et la logistique

The negotiator

d'Lëtzebuerger Land du 18.12.2003

«Ah ça, quand je rentre le soir, je sais ce que j'ai fait de ma journée! sourit Martine Reicherts. Ici, nous faisons du concret.» Sa célébrité, la Luxembourgeoise la doit à son mandat de porte-parole de Jacques Santer, lorsqu'il était président de la Commission européenne, entre janvier 1998 et mai 1999. Après la démission commune de la Commission, elle quitta l'Europe, prit une année sabbatique de voyages, puis revint s'installer au Luxembourg, pour des raisons privées surtout, devint responsable des ressources humaines de la Commission. Il y a un an, on lui offrit la direction de l'Office pour les infrastructures et la logistique à Luxembourg (OIL), nouvellement créé, qui fonctionne depuis début 2003. 

Un nouveau défi, nettement plus concret, qui consiste surtout en des négociations, souvent dures - prix des loyers, de la vente de terrain, des tarifs postaux ou de l'électricité privatisée-, parfois en la recherche de solutions à la MacGyver dans l'urgence, comme pour la création d'une structure provisoire pour les réunions des conseils de ministres aux Foires internationales. C'est un poste plus responsable et plus autonome aussi: l'OIL est une de ces agences à vocation interinstitutionnelle qui ne sont pas chapeautées par un directeur général (DG), mais par un conseil d'administration. Quelque 350 personnes sont directement affectées à l'OIL, dont 226 fonctionnaires et 136 employés de droit privé, notamment dans la restauration.

L'objectif de l'OIL est simple: faire en sorte que les fonctionnaires de la Commission - et, à plus long terme, aussi d'autres institutions européennes - installés pour des raisons politiques ou stratégiques au Luxembourg, trouvent sur place les meilleures conditions de travail et le meilleur accueil possibles. 

Le fait que sa directrice, Martine Reicherts, soit Luxembourgeoise peut faciliter le contact avec les autorités locales: elle affirme avoir d'excellentes relations aussi bien avec Fernand Pesch, le président du Fonds d'urbanisation et d'aménagement du Kirchberg, propriétaire de nombreux bâtiments utilisés par les institutions européennes, qu'avec Georges Santer, secrétaire général des Affaires étrangères et président du Comité de coordination de la politique du siège du gouvernement luxembourgeois. «Mon travail se base sur tout un confidence-building system,» résume-t-elle, et vu son tempérament aussi jovial que dynamique, on lui croit que cela marche. Mais en interne, Bruxelles la soupçonne parfois d'être «trop Luxembourgeoise», a peur qu'elle prenne un peu trop partie pour les autorités locales. Chose qu'elle réfute bien sûr, «j'ai un service du budget très méticuleux, qui contrôle sévèrement tout ce que nous faisons.» 

Car s'il y a toujours de nombreux lobbyistes pour un regroupement de tous les services de la Commission européenne à Bruxelles, c'est aussi tout banalement parce que l'immobilier y est nettement moins cher. Et les services de la Commission ont besoin de dizaines de milliers de mètres carrés de surfaces de bureau, à raison de quinze mètres carrés net par personne, selon la norme établie. La nouvelle politique du gouvernement luxembourgeois est donc de mettre à disposition des institutions européennes, par bail emphytéotique, les terrains qui abritent les immeubles. «Sur ce point-là, je suis bien consciente que le gouvernement luxembourgeois doit de son côté toujours décider jusqu'où il veut ou peut aller,» remarque Martine Reicherts.

L'élargissement de l'Union dès mai prochain et l'augmentation du nombre de fonctionnaires qu'il implique, aussi au Grand-Duché, équivaut donc forcément sur le terrain à une banale recherche d'espaces. «Le marché de l'immobilier de bureaux à Luxembourg semble entrer dans une phase de dépression, note le Projet de programmation immobilière pluriannuelle de l'OIL, mais l'importance des besoins cumulés des institutions pour les dix prochaines années est un facteur élevé de risque de surenchère artificielle.» Et de continuer: «Il sera également nécessaire de maintenir la pression politique sur les autorités locales pour les sensibiliser autant que possible sur leur intérêt à participer à une implantation correcte des institutions». Le problème le plus urgent étant les structures d'accueil, pour lesquelles les fonctionnaires européens rencontrent exactement les mêmes difficultés que les autochtones, face à la pénurie de places en crèches et garderies. Avec comme différence non-négligeable que les expatriés ne peuvent pas avoir recours aux services de grands-parents, par exemple. L'OIL gère le Centre de la petite enfance et la garderie pour toutes les institutions européennes au Luxembourg, un millier d'enfants à accueillir chaque jour. 

Toutes ces structures manquent cruellement de place pour s'agrandir. Les négociations avec les autorités luxembourgeoises s'avèrent particulièrement lentes sur ce point. Or, le temps presse, d'autant plus que l'École européenne, qui met actuellement provisoirement à disposition de l'OIL certains bâtiments, a déjà fait savoir qu'elle désire les récupérer pour la prochaine rentrée, vu qu'elle aussi aura besoin de place supplémentaire avec l'élargissement.

Le plus grand succès des derniers mois de l'office est la transaction de l'Euroforum, ancien hôtel Inn-Side, à la Cloche d'or, «bâtiment que nous avons acheté au prix du marché,» souligne la directrice. Théoriquement, il sera mis à disposition aux nouveaux propriétaires fin décembre et pourra abriter, à moyen terme, jusqu'à deux mille fonctionnaires. Le service le plus important qui s'y installera est la direction Sûreté et sécurité nucléaire ainsi que l'inspection nucléaire. Un autre projet sensible est la mise en place d'un Data [&] telecommunications centre, une sorte de grand ordinateur central hautement sécurisé, qui serait construit sur une des friches industrielles gérées par Agora, à Rodange. Les autorités luxembourgeoises mettraient, là encore, les terrains à disposition.

Le coeur de la Commission au Luxembourg toutefois reste et restera le bâtiment Jean Monnet, même s'il est prévu de construire un nouveau complexe d'ici 2010, Jean Monnet 2, pour quelque 2500 fonctionnaires, 100000 mètres carrés de bureaux. Son emplacement n'est pas encore tout à fait arrêté, mais il est acquis qu'il restera au Kirchberg. Le Premier ministre Jean-Claude Juncker a confirmé par courrier au président Romano Prodi la mise à disposition d'un terrain. Un mémorandum d'accord est en train d'être élaboré par la Commission. Comme pour l'extension du bâtiment Konrad Adenauer, occupé par le Parlement européen, le Luxembourg financera la nouvelle construction, puis la mettra à disposition de la Commission contre payement d'un loyer, voire d'une sorte de leasing. 

Tel est déjà le cas pour le bâtiment Jean Monnet actuellement: selon un protocole d'accord entre les deux parties, signé en décembre 2000, la Commission payera une avance de 6,2 millions d'euros de loyer par an jusqu'en décembre 2003. Un nouvel accord est en négociation avec le Fonds Kirchberg, accord qui doit entrer en vigueur après la mise en conformité actuellement en cours des bâtiments et doublera quasiment le loyer. Les 620 traducteurs supplémentaires au service de la Commission qui arrivent en un premier temps en 2004 au Luxembourg seront eux aussi accueillis au Jean Monnet.

Trois autres grands projets de construction, de transformation ou de réaménagement sont encore sur le métier de l'Office pour les infrastructures et la logistique. Dont notamment la location d'un quatrième «doigt» dans le bâtiment Bech (complexe Auchan) pour le compte d'Eurostat, qui va accueillir 70 personnes de plus avec l'élargissement de l'Union; le bâtiment Cube, dont certains service déménageront, et le bâtiment Wagner, qui devra être mis en conformité. Or, même après ces transformations-là, la prospection pour des espaces de bureau supplémentaires reste de mise  la Cloche d'or représente pour cela un réservoir de grands bâtiments administratifs non-négligeable. La représentation permanente de la Commission au Luxembourg sera relogée dans une maison particulière dans la vielle ville, appelée «Maison de l'Europe»; les discussions sur le partage des frais avec le gouvernement luxembourgeois ainsi que le service équivalent du Parlement européen sont en cours.

L'objectif de la Commission est de faire de l'OIL un véritable organe interinstitutionnel. «Nous avons acquis un certain know-how, affirme Martine Reicherts, pourquoi ne pas le mettre à la disposition d'institutions européennes plus petites, qui n'ont pas forcément les ressources nécessaires pour mener ces négociations souvent difficiles?» Ainsi, une première expérience de collaboration avec la Cour des comptes s'est avérée fructueuse, l'OIL a négocié pour eux les contrats de location d'espaces supplémentaires, toujours en vue de l'élargissement, collaboration qui «a permis une économie importante à la Cour». 

Avec le Parlement ou la Cour de justice, on n'en est pas encore là, «mais au moins, nous essayons de ne pas faire grimper les prix», conclut Martine Reicherts. 

josée hansen
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