Festival CinEast

Des films de l’est toujours plus à l’ouest

d'Lëtzebuerger Land du 15.10.2021

« La mélancolie est l’illustre compagnon de la beauté. Elle l’est si bien que je ne peux concevoir aucune beauté qui ne porte en elle sa tristesse », remarquait Charles Baudelaire. C’est bien ce sentiment étrange qui envahit le spectateur face à une partie des films en compétition officielle du Festival CinEast. Celts, qui repasse une dernière fois en salle ce jeudi 21 octobre, en est un bon exemple. Car l’un de ses personnages féminins, Marijana, sorte de mère courage à la chevelure blonde écourtée, incarne parfaitement le spleen : un regard songeur qui trahit l’errance de ses pensées, et un cheminement aléatoire tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du foyer familial qui dit tout de son trouble au sein d’un régime soviétique devenu le premier producteur de frustrations (sexuelle, professionnelle, économique, etc.). Il en est de même pour Inventory, que l’on peut voir le 20 octobre : après avoir fait le tri de ses bonnes et mauvaises fréquentations, que reste-t-il à son protagoniste, le brave Boris ? Pas une soirée disco, en tout cas. Mais une irréductible et douloureuse solitude, ultime et paradoxale certitude que nous avons dans notre existence d’« animal social » (Aristote). CQFD. N’y a-t-il pas aussi quelque triste secret qui semble habiter, hanter le visage de Cristina Tofan (Ioana Bugarin), l’énigmatique héroïne de Miracle (le 20/10), le long-métrage du Roumain Bogdan George Apetri qui avait intégré la Mostra de Venise en sélection officielle ? Sans doute. Pour ne rien dire de Murina, et de sa si esseulée sirène à la moue adolescente prénommée Julija (Gracija Filipovic), coincée entre un père autoritaire et ses désirs brûlants de jeune fille en fleur (à découvrir le 22 octobre).

Le cru 2021 ressemble à un incroyable jeu de pistes que devra retracer le spectateur. Des fausses pistes, plus exactement, disséminées dans des histoires plus ou moins vraisemblables, selon leurs fidélités ou leurs écarts avec les conventions en vigueur. Ainsi en est-il de Miracle, de la Croate Antoneta Alamat Kusijanović. Énième film religieux capitalisant sur le succès d’une vieille tradition revigorée par les succès d’Ida (2013) de Pawel Pawlikowski, ou de Servants (Les Séminaristes, 2020) d’Ivan Ostrochovský, au programme de la précédente édition CinEast ? Un coup d’œil sur l’affiche du film – scindée entre une nonne (qui ne l’est pas) et un flic (justicier) – suffira à constater la duplicité qui y est à l’œuvre. Celles et ceux qui croient dans l’habit (qui fait le moine) trouveront au terme de ce voyage mystique la révélation tant attendue. Les autres auront la preuve de ce que le film devient par enchâssement narratif : une espèce de film policier dans lequel l’enquêteur finit par charrier l’image du grand Rédempteur. Le film fourmille en tout cas d’allusions à l’anthropologie chrétienne : importance donnée à la fonction lustrale de l’eau, référence aux stigmates de la Passion (sang, eau, sueur), vision hallucinatoire... On s’attendait également au pire dans le contexte pseudo-festif (l’anniversaire de la petite Minja) de Celts : à force de désillusions, de non-dits, l’un de ses personnages finira bien par craquer, par tout envoyer en l’air et maculer de sang ce décor familial de quatre sous ? Et bien non. Une fois de plus, les cinéastes jouent avec nos inquiétudes, avec nos imaginaires saturés de clichés. À l’image de Boris (Inventory), qui s’attend à tout moment à être la proie d’un tueur fou... qui n’apparaît cependant jamais. Quant à Murina, le paysage idyllique de Croatie dans lequel se déroule l’intrigue est violemment contrebalancé par la fable œdipienne qui s’y dévoile (tuer ou non le père, telle est pour la belle Julija la question, et plus largement la condition même de son émancipation). La carte postale adressée au touriste de l’ouest est déchirée. Que dire enfin de ces deux ovnis que sont Never Gonna Snow Again et Saving One who was Dead, sinon qu’il est encore possible de les découvrir sur grand écran (les 20 et 21/10 pour le premier ; le 22/10 pour le second).

Lorsque l’on aura réfléchi à tout cela, on pourra se rendre l’esprit tranquille à la masterclass dispensée par Radu Jade le dimanche 24 octobre, participer à des débats sur l’amour sans s’engueuler avec son voisin (les Cinedébats des 15 et 17/10), ou encore siroter quelques bières à l’expo photo qui se tient à Neimënster (Dreams of Escape, jusqu’au 26 octobre).

Le festival dure jusqu’au 24 octobre. Programmation complète : cineast.lu/2021

Loïc Millot
© 2024 d’Lëtzebuerger Land