Industrie cinématographique

Des stars, c'est bien. Des structures, c'est mieux

d'Lëtzebuerger Land du 18.04.2002

La recherche avec le mot-clé «bausch» n'a rien donné. Le moteur de recherche demande au ministre délégué aux Communications, François Biltgen (PCS) de relancer sa recherche avec un autre terme. La salle s'agite, une astuce permettra au ministre d'accéder néanmoins à la page concernant Le club des chômeurs, le long-métrage d'Andy Bausch qui caracole, avec presque 40 000 spectateurs, en tête du box-office des films produits au Luxembourg et qui semble diviser le petit monde local de cinéphiles en deux camps : ceux qui l'aimaient bien et ceux qui détestaient ce film. Nous sommes lundi 15 avril, lors de la conférence de bilan 2001 du Fonds de soutien à la production audiovisuelle et François Biltgen avait été impatient de lancer - enfin! - le site Internet www.filmfund.lu, probablement parce qu'en tant que ministre responsable d'eLëtzebuerg, il lui faut multiplier l'activité online des instances publiques. 

Sur le site - dont le lancement a été promu depuis des années dans la presse spécialisée internationale -, on trouvera non seulement une base de données évolutive sur les créateurs et producteurs nationaux, mais aussi et surtout des informations sur le Luxembourg comme lieu de tournage et l'environnement légal. La législation sur les certificats d'investissement audiovisuels (CIAV), vieille de quatorze ans, rend le site Luxembourg attractif pour des coproductions internationales. En 2001, les 31 projets de film ayant introduit une demande pour bénéficier du système d'avantages fiscaux ont tous été déclarés éligibles ; avec une valeur de plus de cinquante millions d'euros, le total des projets introduits a progressé de 35 pour cent. Ce qui équivaudrait à un manque à gagner de quelque 15,6 millions d'euros pour l'État. «Mais il ne faut pas oublier que ces sociétés et leurs collaborateurs travaillent au Luxembourg et réinjectent cet argent dans l'économie nationale et stimulent par leur présence non seulement l'économie, mais aussi la vie sociale et culturelle du Luxembourg,» note encore François Biltgen.

Le moment de faire le bilan avait été choisi stratégiquement quelques jours après le festival international du film Cinénygma, qui a non seulement fait la part belle aux productions luxembourgeoises - film d'ouverture : Boys on the run de Paul Cruchten (Red Lion), soirée luxembourgeoise avec le premier court-métrage de Désirée Nosbusch et Le troisième oeil de Christophe Fraipont (Samsa), film de clôture : CQ de Roman Coppola (Delux) - et décerné le Méliès d'argent à une coproduction luxembourgeoise de Carousel Pictures (Dog Soldiers de Neil Marshall), mais a aussi accueilli des stars, des politiques et autres officiels pour fêter la santé du secteur. «Les événements, les vedettes et les prix, c'est bien, dira François Biltgen, mais nous, ce qui nous importe, c'est de pérenniser le secteur, de créer des structures durables.»

Ainsi, même si avec Monipoly Productions, la société de Paul Thiltges, c'est une des pionnières qui arrête - pour des raisons autant privées que financières -, d'autres sociétés viennent de s'installer, comme Classic Film Productions, dans les anciens laminoirs de l'Arbed à Dudelange. Ce qui est radicalement nouveau, c'est l'installation de grands décors, notamment ceux, époustouflants, de la Venise du XVIe siècle à Esch, ainsi que de studios, comme ceux de Carousel sur le site de l'Arbed à Dommeldange, avec, à deux pas, le premier studio d'enregistrement pour musiques de film de Gast Waltzing. Delux, société appartenant à RTL Group, a fait construire des studios flambant neufs avec quatre plateaux à Contern.

Si Francis Ford Coppola a écrit une lettre à Jimmy de Brabant, producteur de chez Delux, pour le remercier de la qualité de l'accueil et du travail que son fils a connus lors du tournage de CQ, cet enthousiasme vise non seulement le cadre, mais surtout les gens qui travaillent dans le domaine au Luxembourg. Ils seraient quelque 600 personnes selon le chiffre officiel, mais les bons techniciens manquent toujours cruellement. «Nous mettrons un accent particulier sur la formation,» souligne la ministre de la Culture et de l'Enseignement supérieur, Erna Hennicot-Schoepges, d'ailleurs le ministère vient de publier, en collaboration avec le Centre national de l'audiovisuel, une plaquette d'information et d'orientation vers les différentes formations dans l'audiovisuel. 

D'ailleurs, si le Fonspa, encouragé vivement par François Biltgen, planche actuellement sur la création d'une sorte de «prix du cinéma luxembourgeois», c'est aussi pour valoriser les techniciens, décorateurs et autres costumières qui sont en train d'acquérir un grand savoir-faire sur le terrain. Ce qui est au moins aussi important pour la consolidation du secteur que le cadre législatif. Déjà aujourd'hui, les techniciens qualifiés sont hautement recherchés.

Au-delà, Erna Hennicot soumettra prochainement le projet de réforme de la loi sur le statut de l'artiste au conseil de gouvernement, car même si le texte n'a que quatre ans, il s'est avéré que les clauses concernant les intermittents du spectacle ne correspondent nullement aux besoins du secteur. Ainsi, le ministre du Travail et de l'Emploi, François Biltgen (le même) s'est dit prêt à abroger le droit du travail de 1989 avec une exception supplémentaire (comme déjà e.a. pour les chargés de cours) pour que dans le secteur de l'audiovisuel, les contrats à durée déterminée puissent être renouvelés au-delà de deux fois. Actuellement, un patron qui embauche deux fois la même personne en CDD pour une durée dépassant les 24 mois devra automatiquement l'embaucher en CDI, alors que le  secteur vit de projet en projet. Pour éviter cela, employeurs et employés ont trouvé la solution du «faux indépendant», les ministres semblent décidés à lutter contre ce marché parallèle.

Si l'attribution des certificats audiovisuels est automatique après un contrôle purement administratif du dossier - sont vérifiés e.a. le montage financier, la viabilité et surtout le pourcentage de tournage au Luxembourg - il en va tout autrement des aides financières sélectives, destinées à soutenir directement les projets de films coproduits par une société établie au Luxembourg. En 2001, ces aides directes s'élevaient à 2,3 millions d'euros, soit une augmentation de 31 pour cent par rapport à 2000, pour seulement treize projets soutenus. Le budget total du Fonspa était alors de 2,5 millions d'euros; pour cette année, il a presque doublé, à 4,5 millions. Outre 112544 euros pour des aides au développement et 16847 euros pour des aides à la distribution, ce sont les aides à la production qui se taillent la part du lion, avec 2,16 millions d'euros en tout. L'élément le plus marquant étant que sur les huit projets retenus, six proviennent de la Samsa; parmi les gros morceaux ayant reçu un demi million d'euros, on retrouve notamment le premier long-métrage de Geneviève Mersch, J'ai toujours voulu être une sainte, qui se tournera prévisiblement cet été et qui est attendu avec beaucoup d'impatience par ses fans.

Aujourd'hui, les films soutenus par le Fonspa ne sont quasiment plus que des coproductions, autrement, le montage financier d'un tel projet s'avère quasi impossible. Après la signature d'un accord de coproduction avec la France, le 18 mai 2001 à Cannes - accord qui attend toujours d'être ratifié par la Chambre des députés luxembourgeoise, le projet de loi est actuellement pour avis au Conseil d'État - des négociations dans le même domaine sont en cours avec la Grande-Bretagne et la Suisse, elles sont le plus proche d'un accord avec l'Allemagne.

En 2001, seuls quatre pour cent des aides du Fonspa sont encore allés au documentaire, domaine qui tient tellement à coeur à Erna Hennicot et qui, depuis la réforme du fonds de soutien, a été plutôt attribué au CNA de Dudelange. En l'espace de trois ans, son poste «frais de productions audiovisuelles» est passé de 46535 à 240000 euros cette année. Donc, la semaine dernière, le directeur du CNA, Jean Back, put annoncer fièrement les projets en cours et en préparation : documentation de la restauration de l'orgue de Dudelange et de l'évolution des friches industrielles, montage de films d'archives sur la présence luxembourgeoise dans le Tour de France, Heim ins Reich, un documentaire de Claude Lahr sur la deuxième guerre mondiale au Luxembourg, en préparation… 

Du côté des productions, aussi bien en ce qui concerne la photographie que le cinéma, les activités du CNA sont encore extrêmement éclectiques, dominées par une volonté d'historiographie très officielle, pas d'approche trop critique s'il vous plaît. Ses grands succès des dernières années toutefois sont les services qu'il offre pour tous les films produits au Luxembourg. À savoir l'aide à la diffusion qu'est devenu le label Films made in Luxembourg, réseau de vente de cassettes vidéo et de diffusion dans les programmes de RTL Tele Lëtzebuerg, tous les quinze jours. Ainsi, depuis le début de la vente de cassettes, le catalogue s'est enrichi pour atteindre une cinquantaine de titres, tous genres confondus. 

Dans le hit-parade des 15147 cassettes vendues en l'espace de cinq ans, des classiques comme Vu Feier an Eisen, Troublemaker et Stol se placent en tête de liste avec plus d'un millier d'exemplaires vendus chacun. En plus, un poste a été créé pour la seule promotion du cinéma luxembourgeois dans les festivals, Brigitte Kerger déniche les festivals de courts-métrages ou de documentaires et propose les films les mieux adaptés à chaque programmation. Le nombre croissant de prix remportés par des courts-métrages luxembourgeois par exemple, semble donner raison à cette stratégie.

Néanmoins, le CNA a fortement réduit ses activités cette année - réduction drastique des cours offerts à un tiers par exemple - parce que toute l'équipe y serait désormais affectée à la préparation du chantier pour le nouveau bâtiment. La ministre de la Culture et des Travaux publics espère pouvoir entamer les travaux dès la fin des congés collectifs de cet été. Selon Jean Back, il s'agit maintenant de définir au millimètre près les besoins de chacune des sections afin de prévoir dans le moindre détail les installations futures des archives de photographie et de film, des salles de consultation, la mise en place des réseaux Intra- et Internet etc. 

Parallèlement serait préparée la digitalisation d'un maximum de documents afin de les rendre accessibles à un public aussi large que possible. En attendant, on se dit qu'il faudra penser à la production du premier DVD luxembourgeois. Or, une fois de plus, le secteur privé a de l'avance, Iris Films a déjà annoncé la sortie du Club des chômeurs d'Andy Bausch en DVD pour cet été.

josée hansen
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