Dan Sinnes

La bénédiction du tatouage

d'Lëtzebuerger Land du 26.07.2013

Un jeune homme, trentaine bien entamée (34 ans, le mois prochain), on sent à sa voix qu’il a l’étoffe d’un créateur, elle réfléchit beaucoup, se pose un temps avant de répondre, mais Dan Sinnes est aussi son propre patron. Tatoué de partout, il ne sait plus combien il en a de ces souvenirs. Il a commencé, il y a 14 ans, à tatouer et c’est ce métier, qu’il étend et façonne toujours de plus belle, qui remplit presque toute sa vie. Depuis plus d’un an maintenant, il a réalisé l’un de ses rêves, installer son studio et proposer ses services. Parmi la douzaine des tatoo-studios implantés actuellement au Luxembourg, c’est celui dont on dit beaucoup de bien, aujourd’hui. Dan n’est pas timide, ni faussement modeste, mais authentiquement humble. Son parcours est très simple, il a toujours aimé dessiner, il a été au lycée des Arts et Métiers et ensuite il a appris par lui-même, en autodidacte, en voyageant et en travaillant dans de grands studios, à Barcelone, à Hong-Kong ou à Tokyo. De ces voyages, il a su cultiver des amitiés qui lui rendent encore toujours visite et auxquelles il le rend bien, mais il a aussi rapporté ses fameux souvenirs, tous ses tatouages très singuliers, qui racontent autant d’histoires, car, pour lui, c’est ça le tatouage, plus qu’un art, c’est l’assemblage de souvenirs, une sorte de dramaturgie de son propre être inscrite à la fois dans une esthétique de bad boy et sur la peau.

Être tatoué pour lui est de l’ordre de la bénédiction : « Depuis que je suis tatoué, et je le suis presque partout, on ne me provoque pas, on me respecte – dans les têtes, le tatouage n’est plus lié à la délinquance, voire au crime ni à la prison, mais il est bien accepté, toléré. Malgré ça, il confère à la personne tatouée, une certaine puissance, une certaine fierté et il inspire le respect. Peut-être parce qu’il retrace une certaine épreuve physique et une décision forte. »

Dans son studio, il accueille les clients comme des entités précieuses, il cherche avec eux ce dont ils ont envie et besoin, ils les conseille, leur déconseille un certain nombre d’idées farfelues, mais surtout leur demande d’aller chercher sur le net, ce qui se rapproche de leur rêve. « Aujourd’hui, il y a toujours encore des tendances, celles par exemple inspirées par les marins, mais si un client déterminé me demande de lui faire un tribal, je lui en fait un. » Il se considère plus comme vendeur de voiture que comme artiste. Il explique les caractéristiques de tel et tel tatouage, de telle et telle encre et si le client en est toujours convaincu, il l’applique soigneusement. Très peu de gens reviennent par regret, mais plutôt par envie de perpétrer la collection, d’affiner leur identité tatouée. « C’est comme si nous avions le droit de nous recréer nous-mêmes, enfin avec l’aide d’un tatoueur. »

Dan Sinnes est non seulement un conseiller et créateur de tatouages d’autrui, un collectionneur de ses propres tatoos, mais il a en sa possession aussi un nombre impressionnant de livres. Des livres de tous genres, mais particulièrement tirant vers la culture nipponne, dont il puise ses références. « Après le travail, je continue à étudier, à analyser ce qui peut être fait, ce qui ne le peut pas. Parfois, l’image d’une plante me porte vers une nouvelle idée – ce que j’aime réaliser, ce sont les fleurs, les roses et puis les écritures. Ce que je ne fais pas, ce sont les portraits. »

Ce jeune entrepreneur est très déterminé, il a des avis tranchés quant à la société qui l’entoure et il ne peut cacher son exaspération face au problème des junkies au Luxembourg, toujours pas résolu à son sens. « Comment se fait-il que dans le parc en face de mon studio, il y ait toujours autant de gens qui se piquent, toujours autant de seringues et que les substances fortes, comme l’héroïne ou la cocaïne sont aussi facilement trouvables et de ce fait acceptées. On condamne les drogues dures de façon trop ambiguës et les junkies sont quelque peu infantilisés et dans ce système, soutenus dans leur démarche. » Il a l’esprit vif de ceux qui sentent que nous ne vivons pas une crise, mais un changement de société : « Ce n’est pas possible que les logements soient aussi chers, qu’on n’impose pas de taxes sur les logements vides ou qu’on réalise de grands projets de logements sociaux de qualité. Comment un jeune peut-il acquérir quelque chose, avoir un chez soi – une idée, qui malgré les temps qui courent, subsiste comme un droit ?»

Mais, cet homme un peu écorché vif voit aussi du progrès, dans l’acceptation des différences, au Luxembourg. Il souffle : « Aujourd’hui, on peut être habillé comme on veut, être piercé de partout et tatoué, personne ne s’en émeut particulièrement, même les personnes âgées trouvent que ça ne regarde que la personne concernée. » Et même en ce qui concerne le mariage homosexuel ou l’avortement, il sent qu’il va y avoir des progrès au Luxembourg.

Voilà un tatoueur très civique, un homme à rencontrer absolument, à qui on peut confier sa peau.

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Karolina Markiewicz
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