Gishlaine Mesureur-Compère

Qui a dit Hildegard von Bingen ?

d'Lëtzebuerger Land du 26.07.2013

Dans une cité à Garnich, une maison en cube se détache de la verdure dense – presque toute en verre, elle semble être née des esquisses de quelque architecte contemporain, alors qu’en réalité, elle date des années 1980. Lumineuse, avant-gardiste, elle est à l’image de sa propriétaire, fondatrice de la société Arkhe dédiée à la phyto-aromathérapie. Quand Gishlaine Mesureur-Compère apparaît, son joli visage entouré de cheveux blancs comme d’un casque ondulant, elle annonce dès le seuil de la porte, d’une voix puissante et joyeuse : « Vous savez, je suis très bio. Depuis 1960 ». Svelte dans son pull rayé blanc et bleu, chaussée de baskets Allstars, les yeux bleus vifs, cette dame qui approche ses 83 ans se lance alors dans une diatribe énergique contre les pesticides, la mort des abeilles faisant la une ce jour-là – trop tard : « Voyons, quand même, c’est tout simplement une question de bon sens. La façon dont nous traitons la nature ne peut rester impunie ».

Gishlaine Mesureur-Compère a une façon de rythmer ses phrases rappelant celle de Stéphane Hessel, calme et révélant une énergie puissante. Elle choisit soigneusement ses mots pour qu’ils laissent des traces : des images claires et percutantes. Les images des stations de sa vie. Née en 1931 à Rochefort, elle a été amenée à s’adapter à des situations très diverses, parfois difficiles, changeant de métier à plusieurs reprises. De puéricultrice à dactylographe, jamais n’a-t-elle délaissé sa véritable passion : celle du pouvoir vertueux des plantes. « Quand j’étais petite, tout le monde cueillait et séchait des herbes ! À la pharmacie, on ne trouvait pas ce qu’on trouve aujourd’hui et les gens avaient encore le réflexe de se soigner eux-mêmes. J’ai commencé dès quinze ans à noter des recettes dans des carnets que je garde toujours ».

C’est peut-être l’expérience que lui a contée sa mère qui a stimulé en elle la soif de la connaissance autour de la guérison non-médicamenteuse : enfant, elle souffrait d’une fièvre diphtérique qui a failli la faire succomber et que sa mère et grand-mère n’ont su apaiser qu’avec des plantes. « D’où également mon penchant pour le côté mystique de toute guérison ». Celle qui a rêvé faire des études de chimie ne rate pas une formation dans le domaine : « J’ai eu la chance d’avoir été, plus tard, l’élève des professeurs les plus reconnus en matière d’aromathérapie comme Pierre Franchomme ou le docteur Daniel Pénoël ». Avide de savoir, elle s’intéresse à tout ce qui concerne l’alimentation, à la diététique, à la macrobiotique, et adopte très vite la philosophie du courant hygiéniste qui préconise la santé par le respect des lois de la nature et la bonne connaissance des aliments, et surtout l’importance de l’alimentation sur la médication.

« Cette conviction détermine aussi ma conception de l’aromathérapie : jamais je n’en conseille un usage médicamenteux. Mettre des gouttes d’huile essentielle sous la langue par exemple est tabou. La base de tout est de savoir comment fonctionne le corps.» Cette reconnaissance a été pour elle une révélation, comme « un voile qui se déchire pour qu’on avance enfin ». La métaphore n’est pas innocente, Gishlaine étant une grande passionnée de la voile. Longtemps elle a rêvé de faire le tour du monde dans le bateau que son mari a construit de ses propres mains et avec lequel le couple a navigué partout en Europe, s’installant même quelques années à Port-Camargue. Cette passion voyageuse se ressent dans un discours nourri de références géopolitiques et historiques révélant un bagage culturel cultivé dès sa jeunesse, passée en partie auprès des bonnes sœurs. C’est cette façon holistique dont elle appréhende l’aromathérapie qui la caractérise : « Je n’ai jamais arrêté d’étudier. Ce long apprentissage me guide dans la préparation de mes produits. Parfois je suis choquée de voir des gens qui pensent pouvoir se guérir eux-mêmes après une séance d’initiation à l’aromathérapie ».

Depuis 23 ans, Gishlaine Mesureur-Compère donne des cours sur l’énergie des plantes et le pouvoir des arômes « qui dominent notre vie ». Elle assemble et conditionne les plantes qu’elle fait venir surtout de producteurs français, essentiellement bios, dans son laboratoire. À côté des mélanges pour tisanes, huiles essentielles, hydrolats qu’elle y prépare, elle y crée également sa gamme de produits cosmétiques : crèmes, shampoings et huiles de massage. Ses clientes viennent de la région entière. Pleine de malice, Gishlaine sourit : « Et bien sûr qu’on peut également acheter mes produits en ligne (www.arkhe.lu). Je suis gémeau, ne demandez pas à un gémeau de stagner ! ».

Béatrice Dissi
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