Maux dits d’Yvan

Gichcard ch’en est allé

d'Lëtzebuerger Land du 11.12.2020

Cette fois, il est parti pour de bon. À la Marseillaise de la chaise vide de 1974 fait écho aujourd’hui le requiem du sapin plein de 2020. Des mises en bière il en a déjà connu, Giscard, lui qui avait trahi Chaban pour se faire trahir par Chirac. Trahira bien qui trahira le dernier ! Le futur ex, comme l’appela Le Canard Enchaîné en mai 81, est mort la semaine dernière, une semaine à peine après l’adoption par l’Assemblée Nationale d’une loi contre la discrimination des accents. On se souvient que l’ancien maire de Chamalières avait fait sa marque de fabrique de l’accent auvergnat. Si à l’Élysée il faisait mine de cacher qu’il le suintait par tous les pores, sur ses terres il le chuintait avec gourmandise et délectation. Il était la Marie-Josée Jacobs de nos voisins français.

L’hémicycle du Palais Bourbon a donc émis un signal fort contre la glottophobie. Nul ne sera plus ostracisé pour son accent, et on est bien obligé d’admettre que certains accents sont moins inégaux que d’autres. Prenez l’accent provençal : il a une connotation sympathique, mais on ne le prend pas au sérieux. Embaucherez-vous Fernandel comme comptable de votre entreprise en proie aux vicissitudes de la crise sanitaire ? L’accent alsacien par contre évoque le boche, certes peu sympathique, mais d’autant plus travailleur et dur à la tâche. Quant à l’accent auvergnat, il fait carrément plouc et calculateur.

Verra-t-on, à la faveur de la nouvelle loi, le Luberon (le Lubeuron dit-on à Paris) retrouver son accent aigu dont les bobos l’ont privé pour faire plus chic et plus digne du seizième arrondissement ? Avec la discrimination positive, on sera fier d’accentuer à nouveau le « e » et, promis juré, on délaissera la chasse à l’accent pour celle des sangliers et des grives. L’accent, qu’il soit grave ou aigu, cht’ti ou corse, chapeautera à nouveau les mots et les paroles. Il sera circonflexe et non plus circonspect.

VGE avait mis l’accent, au début de son septennat, sur la modernité. Il réarrangea la Marseillaise, abaissa l’âge de la majorité, libéralisa l’audiovisuel, instaura le divorce par consentement mutuel, facilita la contraception et légalisa l’avortement. Il était le nouveau président d’une nouvelle France qui lisait les nouveaux philosophes et goûtait la nouvelle cuisine. Mais cette modernité, en confondant bien vite réformes et gadgets, finit par prendre un coup de vieux et en 1981, face à l’ancêtre Mitterand, Giscard était soudain un jeune vieillard. Sous son règne, les Trente Glorieuses avaient perdu leur accent tonique et l’époque commençait à se mettre sous l’accent grave des crises qui n’allaient plus finir de se succéder. Mitterand, face à l’adversité, allait chercher refuge sous le chapeau de ses chênes à Latche, et Chirac accentuait son côté paysan de Corrèze en allant tâter le cul des vaches au Salon Agricole. Mais il fallait attendre Sarkozy pour qu’un président osât à nouveau s’acoquiner délibérément, démagogiquement, avec l’accent du peuple, en l’occurrence celui des banlieues. Avouez qu’il a bien fait de s’casser, le pauv’con ! Si Hollande n’a guère mis l’accent sur quoi que ce soit, son successeur Macron se retrouve obligé aujourd’hui de prendre l’éloquent accent d’un Bossuet pour prononcer l’oraison funèbre de ses prédécesseurs.

Yvan
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