Rockhal

Isolation

d'Lëtzebuerger Land du 16.06.2005

À l'entrée du site, un gardien en uniforme, dans son cagibi. «Vous allez où?» «À la Rockhal. J'ai rendez-vous avec Olivier Toth». Sourire acquiescant. «Ah, il n'y a que des jeunes qui passent aujourd'hui, là,» il fait un signe de la tête vers la voiture qui est en train de rejoindre la route, «un journaliste, et puis ce matin les artistes». La suite est moins organisée. «Pour arriver à la Rockhal, suivez les panneaux Agora». Sur une sorte de piste saharienne qui mène vers l'endroit indiqué, ça et là lesdits panneaux et même certains signalisant la Rockhal, au logo récompensé. L'endroit est toujours aussi désertique. Des ouvriers qui s'affairent. En arrière-fonds les hauts-fourneaux. Et puis finalement l'arrivée. Là où il y a un an, il n'y avait rien, s'élève désormais la Rockhal en rouge et noir, déjà familiarisée par maquettes et photos de presse interposées. Une jeune femme vient me chercher - plantée, faute de chemins bétonnés, avec mes talons au milieu de nulle-part, très mauvais choix vestimentaire j'admets - pour me mener aux containers improbables dans lesquels l'équipe s'est installée provisoirement. « Lorsqu'il a fait si chaud il y a quelques semaines, il faisait plus frais à l'extérieur qu'à l'intérieur». Expérience que Michel Welter, assistant à la production et à la programmation, doit encore faire, il vient d'arriver en début de semaine, portant le nombre de collaborateurs à sept. Olivier Toth fait presque figure de vétéran à côté, avec son expérience de plus d'un mois. Les deux jeunes hommes se partagent un bureau minuscule, trois laptops sont posés sur la table, un grand calendrier placardé au mur. Jusqu'ici un seul concert, à part ceux de l'ouverture, y figure. Simply Red. Rien d'autre n'est encore définitivement booké. Les négociations sont en cours. À priori, l'ouverture aura lieu le 23 septembre. Mais Olivier Toth se veut très prudent. Avant d'en venir au programme, visite des lieux. Du chantier en fait. Michel Welter me file un casque à mettre sur la tête, mais le danger vient plus de mes talons que de ce qui pourrait éventuellement me tomber dessus. Nous rentrons par l'arrière. Le futur backstage. Énorme. Première vue sur la salle. C'est impressionnant. Plus tard, il me fera monter sous le toit du bâtiment, passage qui ne sera pas ouvert au public, mais qui servira aux techniciens. C'est vertigineux. Du doigt il me montre un endroit encore plus élevé. Je renonce volontairement - tenue oblige - à y aller. «J'ai hâte de me trouver là un soir, avec un gros groupe qui se produit en bas et 5000 personnes en folie». Un vrai fanatique quoi. D'ailleurs, Olivier Toth est bien entouré avec Michel qui est tombé dans la musique quand il était tout petit et Josée Hansen, présidente du conseil d'administration, qui suit les tendances de près. Les deux salles sont quasiment prêtes, ne reste plus que le nettoyage et le centre peut accueillir les premiers groupes le 19 juin. Le reste du bâtiment, le centre de ressources, dirigé par Roger Hamen, qui est installé tranquillement dans le bureau juste à côté comme si de rien n'était, n'est pas prioritaire actuellement, mais devrait être prêt aussi pour la rentrée. Apparemment l'ambiance, malgré toutes les vagues que le changement à la tête de l'institution a pu provoquer, est à la sérénité. Les six salles de répétition qui suscitent déjà des jalousies avant même d'être disponibles, sont très grandes. «On va probablement faire un concours pour départager les candidats», explique Olivier Toth, qui ne se laisse pas perturber par les critiques qui fusent. «De toute façon à moins de transformer les foires au Kirchberg en salles de répét, il y en aura toujours pour réclamer plus de salles». Ici tout dépendra de comment les groupes vont s'organiser entre eux. S'ils sont prêts à laisser chacun un instrument ou des moyens techniques, une salle pourra être partagée entre plusieurs groupes. Toth est ferme, la Rockhal, servira très certainement à préparer les formations luxembourgeoises à une professionnalisation à travers son centre de ressources (salle de répétition, mais aussi studio d'enregistrement) et la petite salle qui a une capacité pouvant aller jusqu'à 800 personnes. «Comme ça elles pourront apprendre ce que ça fait que de jouer devant 800 mais aussi 20 personnes, avec Low Density Corporation on est passé par là aussi». Justement son expérience de musicien, couplé avec son engagement à la Sacem et sa carrière d'avocat font de lui le candidat idéal pour le poste. Même si certains craignent une influence musicale trop électro. Mais pour maintenir le cap il y a le reste de l'équipe. Ne manque que l'expérience d'organisation de concert. Même là il se sent à la hauteur. Négocier un contrat reste négocier un contrat. Peu importe le contenu. C'est même à perdre un peu sa foi d'artiste. Au début, négocier pour la Rockhal signifie souvent se trouver dans une situation de faiblesse. Il va falloir payer parfois le prix fort, pour se faire un nom. Pour la suite, le directeur compte sur le bouche à oreille. Il y a des infrastructures excellentes, même si - business is business -, ça va toujours rester une question de gros sous. Et les concerts, du moins les grosses productions, doivent s'autofinancer. En tant qu'établissement public la Rockhal dispose bien sûr d'un budget de l'État (700000 euros pour cette année), mais il s'agit là essentiellement des frais de fonctionnement. Mais est-ce que le marché est assez grand pour remplir une salle de 5000 personnes, surtout qu'il y a déjà Amnéville avec ses 12000 places et une réputation qui ne reste plus à faire ? Olivier Toth est confiant, me cite de suite plusieurs groupes - rock, bien sûr, parce qu'il s'agit maintenant de donner une identité à la salle qui ne compte pas voler son nom - qui sont d'après lui susceptibles de remplir cette salle et ici. Parmi les dernières sorties, il pense au Gorillaz, à Coldplay, aux White Stripes ou encore à Peter Gabriel, qui ne s'est encore jamais produit au Grand-Duché. Mais pour remplir la salle, surtout avec des noms pareils, il ne suffit pas d'attirer le public luxembourgeois. Il faut penser Grande Région. Or, en l'état actuel des choses, se frayer un chemin vers la salle de concert relève encore du parcours du combattant. Pas de route, pas de parking et une passerelle CFL aménagée en toute vitesse, pré-ouverture oblige. En ce qui concerne la route manquante, le tout jeune directeur fait signe de quelques ressentiments envers les responsables de l'inaction. Mais pour la manifestation de dimanche, les spectateurs potentiels n'ont pas de soucis à se faire. Que ce soit via train - gratuit - même de la gare du centre-ville, via bus ou via voiture et navette, l'équipe s'est mo¬bilisée pour proposer des alternatives, le tout néanmoins au frais de gros efforts. Sur ce point, comme sur les autres, la Rockhal a encore ses preuves à faire, avec tous les bâtons possibles et imaginables qui se sont jusque-là trouvé sur sa route et vont encore s'y trouver. À l'équipe autour d'Olivier Toth de relever les défis qui se posent. Toutes ces personnes de tout bord qui n'attendent que le premier faux-pas, que ce soit le grand public, les organisateurs de concerts qui font mine de ne pas comprendre que la salle doit tout d'abord se forger une identité rock avant de pouvoir accueillir la vieille garde de la chanson internationale ou des moineaux tyroliens ou, bien pire encore, la scène rock luxembourgeoise elle-même. Les prochains temps, la Rockhal s'efforcera de familiariser surtout cette scène avec la nouvelle institution. Et puis comme le dit Olivier Toth lui-même «on ne peut que faire mieux que ce à quoi tout le monde s'attend». Alors remettons nos autocollants Rockhal en place et attendons voir.

Concert d'ouverture Fête de la musique, dimanche 19 juin de 15h30 à 24h00, avec John McAsskill, Couchgrass, Metro, Fluyd, Sylvia Camarda, Mell, Girls in Hawaii. Informations: www.rockhal.lu

Sam Tanson
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