Sorti le 18 août au cinéma en France, et déjà disponible sur Netflix au Luxembourg, Bac Nord a créé de profonds remous chez nos voisins hexagonaux. Accusé de présenter une vision manichéenne des quartiers défavorisés de Marseille, émaillé de scènes dérangeantes, porté par des acteurs incroyables, une réalisation rythmée et des dialogues percutants (sous-titres bienvenus pour les plus de vingt ans), le film n’est sans doute pas pour rien dans la visite du président Macron à Marseille en septembre. En effet, même travesti par le maquillage un peu outrancier de la fiction, le visage ravagé d’une réalité affligeante transparaît à travers les personnages à la limite du dérapage permanent. Oui, même si c’est difficile à admettre en 2021, et même en dehors de ces quartiers, il est probable que, à l’image d’Antoine, le flic joué par François Civil, des milliers de jeunes gens se promènent encore dans les rues en arborant fièrement un sac banane. Et cela en toute impunité.
Ces dernières années ne nous auront donc rien épargné. Après le retour des nationalismes, des fondamentalismes religieux et des délires conspirationnistes, voici que se confirme le renouveau de cette pièce improbable du vestiaire masculin, dont la meilleure idée de l’inventeur a été de resté anonyme, sans doute pétri de honte à constater le succès de son idée saugrenue, consistant à accepter de se doter instantanément d’un petit Béierpanz bardé de fermetures éclairs afin de garder près de soi ce qu’on de plus précieux, tout en gardant les mains libres, et en minimisant le risque de vol à la tire.
Dans les années 1980, son côté pratique en a fait une pièce de choix du touriste en goguette. Ce dernier a en effet tendance à accepter assez facilement un accoutrement ridicule, dans la mesure où, en promenade loin de chez lui, il est peu probable qu’il rencontre une connaissance. Depuis que cartes et guides touristiques ont été remplacés par des applications mobiles, et que les bobs de pêcheurs et autres chaussettes dans les sandales sont devenus des icônes du style, il ne restait guère que ce genre d’accessoire pour différencier le voyageur de l’autochtone. En fait, il reste encore une différence… de taille. Le jeune n’accroche pas sa banane autour du ventre, il la porte à l’épaule. L’esprit rationnel se demandera « Pourquoi pas un sac à dos ? » Mais il faut vraiment être né avant 2000 pour ne porter un sac à dos que sur une épaule. Du coup, il faut enlever son sac quand on s’assoit ou quand on veut y prendre ou y ranger un objet. C’est beaucoup moins pratique que la banane en bandoulière, qui permet un look à la Dirty Harry, toujours moins dégradant que la bedaine à la Homer Simpson. La prochaine étape, si ça se trouve, c’est le retour de la sacoche, accessoire qui a fait ses preuves au temps des hippies et survit encore chez certains professeurs de géographie. Quand on y pense, le royaume du « moche, mais pratique » semble infini, entre la cordelette qui retient les lunettes, le porte-GSM qui s’accroche à la ceinture, le bonnet à oreilles rabattables, le canapé avec appuie-têtes intégrés ou le monospace.
L’origine de ce retour de hype inattendu semble être la même que celle des fake news, des arnaques organisées et autres manipulations de masse : internet. Le jour où Kanye West fera un selfie avec un sac de courses Valorlux, je vais opérer une remontée fulgurante au Top 50 du style. Pourtant, même si j’ai atteint un âge où je n’attends plus vraiment de mon apparence la possibilité de susciter l’admiration de mes congénères, mais simplement l’impression d’échapper au ridicule, il me faut reconnaître qu’il n’y a plus assez de poches dans nos vêtements. Du jean, passé de slim à skinny puis à superskinny, au t-shirt sans manche, tout le vestiaire masculin moderne contribue au besoin d’un nouvel endroit où ranger téléphone, paquet de Kleenex, masque chirurgical et autre portefeuille ou boîte de Tic Tac. Reste l’option gilet multi-poches sans manche, mais revêtir des habits de reporter de guerre pour partir au travail n’apporte pas un message très positif aux collègues qu’on n’avait pas vus depuis 18 mois.
Finalement, encore une fois, on peut donc se réjouir de vivre au Grand-Duché, ce merveilleux pays où le climat évite de faire face à ce genre de dilemme. En effet, mis à part certains adolescents au système de régulation de la température corporelle détraqué par les hormones, il ne viendrait à l’idée de personne de sortir entre octobre et mai sans avoir revêtu doudoune, manteau ou parka, qui vous permettront de toujours ignorer dans quelle satanée poche vous avez pu ranger vos clés de voiture...