Difficile en ces jours de rentrée de retrouver le moral. Alors que l’année dernière à la même époque, certains pensaient la crise sanitaire terminée, s’il y a une chose dont nous pouvons être certains aujourd’hui, c’est que l’été a été nul. Et que l’automne et l’hiver qui s’annoncent risquent d’être pires. 2021 ressemble à un plateau de Monopoly dans lequel, arrivé au milieu du tour, on tire une carte Chance qui nous dit : « Rendez-vous directement en hiver. Ne passez pas par la case il fait beau, sortons le barbecue, la piscine gonflable et la tireuse à bière. Allez directement vous enfermer pour les dix prochains mois ».
Alors il faut chercher des motifs de satisfaction. Par exemple, si l’on se demandait ce que le coronavirus nous a, malgré tout, apporté ? On va vite trouver ! Plus besoin de supporter ses collègues de l’open-space tous les jours. On a échappé aux chorégraphies humiliantes de la fête de l’école. La taille de la Schueberfouer a été divisée par quatre. Certains manèges sont même gratuits. C’est peut-être cela, d’ailleurs, la principale évolution de ces derniers mois : la gratuité. Tout a commencé avec les transports publics, à peu près en même temps que la crise, quand le Luxembourg était devenu le premier pays au monde à rendre entièrement gratuits les bus, trains ou trams. Depuis, on a l’impression que la politique de l’open bar est devenue le meilleur moyen de nous pousser dans certaines directions.
Si l’on commence par la Fouer, justement, on imagine que de nombreux parents, déjà peu désireux de se faire secouer sur l’Olympia Barth comme un gant de toilette dans un sèche-linge, pourront proposer à leurs enfants, plutôt qu’un manège à dix euros le tour, de passer autant de temps qu’ils le voudront sur les auto-tamponneuses de la Place Jeanne d’Arc, en ouvrant seulement leur portefeuille pour leur acheter un petit choco-kebab.
Ça fonctionne avec tout. Des toilettes publiques gratuites, et propres, représentent sans doute un bon moyen d’éviter les incivilités. Un réseau wi-fi librement accessible donne une image de modernité. Une école publique de quartier favorise la mixité sociale, l’intégration des habitants et l’apprentissage des langues officielles et épargne aux familles les quelques milliers d’euros annuels de frais de scolarité facturés par les différentes écoles internationales qui fleurissent dans le pays. Concernant les vacances, certes, ce n’était pas gratuit, mais le bon de cinquante euros par personne prolongé cette été était une belle incitation à faire un peu de tourisme local. Bon, c’est sûr que si vous prévoyez de réserver une place à 400 000 dollars sur le prochain vol spatial de Richard Branson, ce n’est pas ça qui va vous convaincre de changer vos plans pour faire du camping dans l’Oesling.
Le stationnement résidentiel permet aux habitants de la capitale de garer une voiture par ménage sans rien débourser. Au prix d’un garage au Limpertsberg, ça fait de belles économies. Et tant pis pour vous si vous avez un logement social répondant au concept « vivre sans voiture », vous n’aviez qu’à être plus riches pour dépenser moins. Vous préférez lire cet article après avoir acheté le journal et un paquet de cigarettes ou plutôt à la bibliothèque municipale, pendant que vos enfants choisissent des tas de livres qui enrichiront leur vocabulaire ? Vous manquez de motivation pour prendre vos entrées aux Mudam afin de voir du charbon de bois disposé en cercle, mais rien ne vous empêche de vous laisser surprendre par d’autres œuvres en vous y promenant librement le mercredi en fin d’après-midi. Les exemples semblent infinis, même si le concept présente quelques limites. Reconnaissons qu’on ne trouve pas toujours son bonheur parmi les livres des Bicherbox (mais qui a pu déposer ici Les incontournables de la cuisine moldave ?)
Bon, il reste un peu de chemin à parcourir pour convaincre les anti-masques, devenus anti-tests, puis anti-vax, qu’un cadeau cela ne se refuse pas. On a reçu des masques gratuits. On a pu, à volonté, se faire frotter la gorge avec un coton tige sans débourser un centime. Maintenant on nous invite à nous faire vacciner sans même débourser le prix d’une consultation. Pourtant, certains râlent encore et préfèrent payer pour récupérer de fausses attestations. Peut-être que si les vaccins étaient facturés trente euros, ça marcherait mieux. Quand on voit la queue devant le magasin Louis Vuitton, on se dit même qu’un tarif de 300 euros assurerait peut-être un succès encore plus large. À ce prix-là, ça doit être vraiment de la bonne qualité.