Gainsbourg/ Gainsbarre

Serge, et caetera...

d'Lëtzebuerger Land du 28.10.2016

Rendre hommage à Serge Gainsbourg en l’incarnant sur la scène du Théâtre des Capucins est le pari très osé que s’est lancé Hervé Sogne avec Gainsbourg, Gainsbarre, faut voir... Livré dans la capsule d’un show de télévision figée dans le temps il y a trente ou quarante ans, son incarnation d’un des auteur-compositeur-interprète français les plus emblématiques du vingtième siècle fait se tutoyer deux heures durant l’œuvre musicale de Gainsbourg et sa carrière amoureuse – ou bien est-ce l’inverse ?

Les deux sont effet indissociables, tant les femmes qui ont compté dans la vie du chanteur – ses partenaires et sa fille Charlotte – ont toujours été impliquées dans son processus créatif. Ainsi, Hervé Sogne ne fait pas que passer en revue le répertoire à succès de Gainsbourg, cigarette à la bouche, Repetto aux pieds, regard fuyant, phrasé typique savamment étudié et reproduit, il le place dans la perspective de ces femmes qui ont fait battre le cœur de l’homme. Avec plus ou moins de force de conviction, les actrices incarnant ces beautés passées se succèdent dans différents tableaux, rythmés par le piano de Rudi Schubert, les saxophones de Nadine Kauffmann et quelques passages chorégraphiés pas toujours nécessaires, entonnant les plus grands tubes du maître de cérémonie : un Pull marine tout en retenue par une Bambou (Jeanne Serikbayeva) à peine vêtue, un Je t’aime moi non-plus torride avec une Jane Birkin (Joelle Lahr) faussement mutine et respirant la fin des sixties à plein nez, ou encore un duo d’une complicité réelle – ou jouée avec brio – avec la toute jeune Charlotte sur Lemon Incest. Ce second tableau est d’ailleurs le plus convaincant de tous : le regard de biche apeurée, la candeur feinte et le petit filet de voix de Xenia Katina en font en effet un choix parfait pour incarner l’adolescente qu’est alors la fille de Gainsbourg, au moment de la sortie du single issu de l’album Love on the beat, du clip vidéo et du scandale découlant de deux premiers – le public conservateur voyant alors la chanson comme une justification de relations immorales entre un père et une fille, ce que Gainsbourg n’aura ensuite de cesse de nier...

Pour ajouter au caractère divertissant de la représentation, un soin tout particulier a été apporté au décor, criant de vérité : un grand piano blanc laqué, de grosses ampoules, un escalier permettant d’apprécier le jeu de jambes des nymphettes qui se succèdent, on se croirait sans l’ombre d’un doute chez les Carpentier ! Un rideau de fils blancs sert à la fois de fond de scène et d’écran de projections, tantôt pour des photos d’époque, tantôt pour la réalisation d’un portrait de l’« homme à la tête de chou » en direct. C’est également par la projection vidéo que le sujet des origines et de la religion juive, composantes primordiales dans la personnalité de Serge Gainsbourg, seront abordés... Le double-je plutôt réussi mais parfois perturbant de Hervé Sogne, qui navigue entre le présentateur de l’émission et le chanteur, concourt à la suggestion que le spectateur est devant l’enregistrement d’un show télévisé, tout comme les signes lumineux « Applaudissez » qui le libère même du souci de timing.

Dans ce tribut sympathiquement kitsch et bien exécuté, une seule véritable ombre au tableau : les dernières vingt minutes de spectacle, clairement de trop tant en terme de temps que de mise en scène. Les tableaux de la légendaire Brigitte Bardot sont en effet poussifs, servis par une Désirée Ottaviani peinant à transmettre autre chose que de l’ennui malgré les moues boudeuses et les mouvements de cheveux vaguement lascifs, le tout sur sa Harley Davidson... Paparazzis, défilé, interlude hip hop, le mélange des genres final déconcerte plus qu’il n’interpelle. Dommage.

La création de Hervé Sogne aurait pu être vantarde et venteuse, elle s’avère au final, bien que très axée sur le plaisir du metteur en scène/interprète principal, juste et divertissante, servie par un casting au demeurant bien choisi et par une scénographie réussie. Elle permet de découvrir un peu plus l’homme qu’était Gainsbourg et de redécouvrir un patrimoine musical majeur. Pari réussi, les vieilles canailles en ont encore sous le capot.

Gainsbourg, Gainsbarre, faut voir..., mise en scène : Hervé Sogne, accompagné de Jérôme Konen ; scénographie : Christian Klein ; création maquillage : Jasmine Schmit ; avec : Xenia Katina, Joëlle Lahr, Désirée Ottaviani, Jeanne Serikbayeva, Jeanne Sevenig et Hervé Sogne ; danseurs : Mamadou Cissé et Albino Gomis ; piano : Rudi Schubert, saxophone : Nadine Kauffmann ; une coproduction des Théâtres de la Ville et du Kinneksbond Mamer ; prochaines représentations : ce soir, 28 octobre, au Capucins et samedi 12 novembre au Kinneksbond ; www.theatres.lu.
Fabien Rodrigues
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