Les coulisses de la musique (3)

Cinquante nuances de photo

d'Lëtzebuerger Land du 12.08.2022

Si vous êtes allés voir, ces dernières années, un concert au Luxembourg, il y a de très grandes chances que vous ayez croisé notre invité du jour dans l’espace réservé aux photographes de presse, le passe accroché au cou et les appareils photo prêts à dégainer à tout moment pour capturer un geste, une attitude, une mimique.

On s’est donné rendez-vous à la Kulturfabrik, un lieu qu’il connaît bien. Quand j’arrive, il est déjà installé, ses lunettes Ray-Ban sur le nez et une boisson à l’aloe vera dans la main. Originaire d’un petit village près de Dijon, Carl Neyroud est quelqu’un de très bonhomme, drôle et attachant. Alors qu’on croit le connaître à force de le voir traîner ses objectifs sur le devant de nombreuses salles de concert, on découvre, en s’asseyant à ses côtés, que le garçon a eu une vie très rock ‘n’ roll, cinématographique même, par moments.

Il aurait voulu être chanteur et se souvient que, petit, dès qu’il avait un peu d’argent de poche, il filait au magasin s’acheter des disques. « J’ai découvert dans les émissions de Bernard Lenoir, sur France Inter, la pop anglaise et la new wave. À partir de là, c’était clair, je voulais être chanteur… sauf que j’étais nul et que, même faire partie d’un groupe, ça n’a rien donné (rires). En gros, il me restait la photo… » À l’aube de la majorité, tout va s’enclencher : « La photo, j’y viens un peu par hasard. En fait, vers 18 ans, j’ai eu une véritable passion pour les jeux en ligne. J’y jouais le week-end 24 heures sur 24. Évidemment, après un temps, je me suis rendu compte que non seulement c’était chronophage, mais qu’en définitive, je ne faisais rien de ma vie. Et c’est là que le hasard intervient sous la forme d’un partenariat, au boulot, avec la société Nikon. Je me suis acheté un appareil en me disant : « Si ça me plaît, je continue ; si ça ne me plaît pas, c’est pas grave, car l’appareil je ne l’ai pas payé très cher. »

Jamais je ne ferai de photos de concert 

« À l’époque, j’habitais la région parisienne, dans les Yvelines, face au château de Rambouillet. Tous les jours, je m’entraînais à photographier le château, les canards en plein vol, les oiseaux… et les gens à qui je montrais mes tirages (on n’est pas encore à l’époque de Facebook et des réseaux sociaux) commencent à trouver ça pas mal. J’ai ensuite photographié aussi des modèles, pour des associations, souvent dans le milieu LGBT. » Un ami lui conseille de faire des photos de concerts. Il a cette réponse mémorable : « Jamais, au grand jamais, je ne ferai de photos de concert ! Je risque de ne pas profiter pas du concert et j’aime trop la musique pour ça. » Vient alors le concert d’Indochine, la tournée Paradise +10 au Zénith où Carl arrive à entrer sans accréditation avec son appareil photo. « Je fais des photos. Je les montre ensuite à une amie, fan du groupe, qui me demande si je peux les lui prêter. Le lendemain matin, Nicola Sirkis m’appelle et il me les achète. À partir de là, j’ai bossé un peu avec le groupe sur la tournée Black City Tour, puis pour la maison de disques Pias, pour qui j’ai fait des photos d’Editors et d’Interpol. » À ce moment-là, il a le pied à l’étrier, son réseau s’élargit dans le milieu de la musique… Et il est devenu photographe. Il précise : « Tout le monde peut faire des photos, évidemment, mais tout le monde ne peut pas devenir photographe. C’est quand même un métier et les gens l’oublient parfois. C’est un job qui oblige à sortir beaucoup, vraiment beaucoup. Et, comme pour beaucoup de choses, il faut aussi s’entraîner constamment et persévérer. La grande qualité à avoir, c’est le contact humain et rester humble. »

Prendre une balle en ex-Yougoslavie

On vient alors à parler de ses premiers jobs et de sa vie « d’avant ». Et là, on découvre une facette dont on n’avait, jusque-là, aucune idée, Carl Neyroud étant plutôt réservé à ce sujet. « Les gens ne le savent pas forcément, mais j’ai une vie hyper bizarre. Par exemple, j’ai pris une balle lors d’un conflit armé. » Il raconte : « On allait souvent en vacances avec ma famille dans le Sud de la France, à Fréjus. Et juste à côté, il y avait le 21e régiment d’infanterie de marine. Or dans ma famille, pas mal de monde est dans l’armée. Donc, quand est venu le moment du service militaire, après le lycée, je me suis engagé et j’y suis resté cinq ans. Et en 1994, je pars en ex-Yougoslavie, pendant le conflit. Un jour, on se fait tirer dessus et je prends une balle dans la main. J’ai dû avoir recours à la chirurgie par la suite pour refaire les tendons des trois de mes doigts. »

Carl Neyroud est définitivement quelqu’un d’attachant. Sa modestie n’a d’égal que le nombre d’heures qu’il passe à retravailler ses clichés afin que ceux-ci soient parfaits. On pourrait l’écouter nous raconter des anecdotes pendant des heures, comme cette fois, au festival des Vieilles Charrues, lorsque, dans la loge de Lana del Rey, il lui propose de l’épouser. Ou lorsqu’il interviewe la chanteuse Selah Sue et ne peut s’empêcher de l’appeler Sheila. On voit que chaque rencontre le marque et on comprend mieux pourquoi certains artistes sont restés amis avec lui. Lui, il ne les prend pas pour des stars, mais pour des gens normaux, comme lui, comme vous..

Playlist

Le premier disque acheté ou reçu ?

(Il éclate de rire) Reçu, c’était Chantal Goya Le chat botté ou un truc du genre. Acheté, c’était Fantastic, le premier album de Wham! en 1983 et celui de Duran Duran.

La chanson qui te rappelle ton enfance ?

Love is all, de Roger Glover avec le clip animé de l’époque et la grenouille qui joue de la guitare.

La chanson qui te fait pleurer ?

Faith de The Cure.

La chanson qui te donne la pêche ?

Groove is in the heart de Deee-Lite.

La chanson que tu ne peux plus entendre ?

Born to be alive de Patrick Hernandez. Tout ça parce que, à une époque, je faisais des sets DJ et je me souviens d’un soir où un mec éméché a dû me le demander au moins quarante fois sur la soirée. Ça a presque mal fini, car il n’a pas apprécié du tout que je refuse de le passer une 41e fois (rires).

La chanson que tu as honte d’écouter ?

Même si je n’ai honte de rien, je dirais Womanizer de Britney Spears (message caché à Pamela).

Romuald Collard
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