Second Lives au Casino

Alter ego, avatars, identité(s)

d'Lëtzebuerger Land du 02.06.2011

Qui suis-je ? Cette question à la fois simple et complexe est au cœur de l’exposition Second Lives – Jeux masqués et autres Je au Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain. Cette nouvelle exposition prend comme point de départ la fameuse phrase de Rimbaud « Je est un autre » et l’actualise à la lumière des technologies virtuelles notamment des jeux sur Internet et des réseaux sociaux, tel que Second Life, jeu en 3D où l’internaute peut se bâtir une vie virtuelle à travers son avatar.

L’exposition donne un aperçu intéressant des différentes façons dont la nouvelle génération d’artistes aborde le problème de l’identité. Les thèmes analysés sont entre autres l’autoportrait, l’alter ego, la personnalité multiple, le masque, l’état d’ivresse et le travestissement. Avec sa borne interactive I am an other, Catrine Val analyse l’imitation et l’incarnation de l’autre au détriment de la propre image. L’artiste répète les paroles et gestes de gagnantes de concours de beauté, représentant l’idéal de la beauté féminine, et présente sa propre vidéo juxtaposée aux vidéos de présentation pour le concours.

Susan Anderson thématise de façon plus critique la pression liée aux concours de beauté et à la conformité à une image. High Glitz : The extravagant world of child beauty est une série de photographies d’enfants de quatre à sept ans habillés et maquillés en adulte et ressemblant à des poupées. Ces portraits quelque peu irritants montrent à quel point l’identité individuelle peut être formée voire déformée par les autres. À la fois impressionnants et contrariants, les souliers exposés par Hsia-Fei Chang reflètent également l’esprit d’une société où l’enfant doit s’adapter aux règles et goûts vestimentaires en vogue.

L’une des œuvres exposées les plus intrigantes est la série photographique de Joan Fontcuberta dévoilant un des membres d’Al-Qaïda en train de faire de la publicité pour Mecca Cola ou de voltiger sur son cheval. Dr. Fasqiyta Ul-Junat alias Manbaa Mokfhi n’est cependant qu’un personnage fictif incarné par l’artiste lui-même dans le but de mettre en question la fiabilité de l’image photographique et la possibilité de manipulation de la société par les médias à travers le pouvoir des images. L’identité apparaît ainsi comme pure construction artificielle oscillant entre vérité et mensonge. Davantage dérangeante, la vidéo de la performance Que le cheval vive en moi du duo artistique Art Orienté objet montre une injection de sang prélevé auprès d’un cheval dans l’organisme humain. Rappelant le centaure mythique et l’expérimentation biotechnologique, cette pratique explore les limites du propre corps et l’hybridation entre l’homme et l’animal. Si une telle expérimentation scientifique et ethnologique s’inscrit dans la prolongation du Body art et se rattache au Bio-art, elle remet aussi en question les limites du statut d’« œuvre » et sa propre place au sein d’une institution culturelle.

Dans son installation Hello world or : How I learned to stop listening and love the noise, un immense écran de projection où défilent plusieurs milliers de vidéos de messages privés téléchargées d’Internet, Christopher Baker s’intéresse à la communication de masse. Cette œuvre, qui n’est pas sans rappeler une vision d’un monde sous surveillance vidéo totale, montre la tension entre le collectif et l’individu dont on n’entend plus le message personnel perdu dans le brouillage de l’ensemble. Les nouvelles technologies assurent cependant aussi la prolongation du propre système nerveux dans le monde, préconisée déjà par Marshall McLuhan dans les années 1960, et permettent à l’individu de communiquer avec un large public.

Dans le programme de l’exposition figure également la projection de la docu-fiction Strangers in the night de Beryl Koltz les 14 juillet et 8 septembre à 19 heures. Le film fonctionne comme témoignage des vies réelle et virtuelle dans Second Life d’un individu. Marié à un avatar dont il ne connaît pas l’identité réelle dans le monde fictif en ligne, cet internaute accompagné de l’équipe de tournage part à la recherche de sa femme virtuelle.

L’exposition Second Lives – Jeux masqués et autres Je s’inscrit dans le cadre du Mois européen de la photographie et montre que la photographie autant que la vidéo sont des moyens de mise en scène (de soi-même). Alors que dans le théâtre et dans certaines traditions, comme par exemple le carnaval de Venise, le masque servait et sert toujours à se transformer en quelqu’un d’autre, les nouvelles technologies et surtout Internet ont aujourd’hui repris ce rôle et permettent aux internautes de se créer un ou plusieurs alter ego. Il est ainsi dommage que parmi le large éventail d’œuvres retenues pour l’exposition ne figurent pas davantage d’œuvres interactives, permettant au visiteur de vivre lui-même une expérience virtuelle hors du quotidien et hors de son moi habituel.

Second Lives – Jeux masqués et autres Je jusqu’au 11 septembre au Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain ; informations sur le site www.casino-luxembourg.lu.
Florence Thurmes
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