Photographie

« C’est bon, la télévision c’est terminé... »

d'Lëtzebuerger Land du 12.05.2011

Vendredi dernier, la Maison AK* – Espace de création photographique, proposait un débat public sur le sujet du journalisme participatif, mais le point d’intérêt de la soirée s’est rapidement recadré sur une présentation qu’a faite Samuel Bollendorff de son travail de webdocumentariste. Dans la presse française, on a récemment donné le surnom de « père » (sic) du webdocumentaire à ce photojournaliste/documentariste, né en 1974. Samuel Bollendorff a toujours su utiliser sa photographie comme outil de communication sur des sujets difficiles. Il pratique la photo comme un moyen de montrer et de dénoncer les problèmes et les injustices sociales.

Après avoir travaillé pendant une décennie pour des commanditaires comme Le Monde, Libération, Elle, Time ou Newsweek, ce sont des voyages en Chine qui ont fait évoluer sa manière de faire du reportage d’images, vers une forme d’expression hybride qui est en train de changer la profession du journalisme de l’image. Entre novembre 2005 et février 2008, Samuel Bollendorff a fait une dizaine de voyages en Chine populaire. Le but des explorations de provinces comme le Shanxi, était de montrer les perdants et les victimes du nouveau Grand bond en avant chinois, à l’aube des Jeux Olympiques de Pékin. Avec, au départ, la volonté de traiter un sujet à chaque voyage. Des thèmes qui devaient montrer le revers de la médaille, comme par exemple le travail à la chaîne dans l’industrie du jouet, et la condition des « ouvrières du père Noël ». Les laissés-pour-compte des grands chantiers des barrages, mais aussi de la pollution, comme pour le « village du cancer », Xidito, à 150 kilomètres de Pékin, village dont la population est décimée par la pollution au plomb.

Essentiellement catégorisé « photojournaliste », Bollendorff , n’a pu trouver aucun quotidien qui aurait accepté de prendre le risque d’un engagement éditorial face à un tel projet. Après coup cependant, il a pu vendre ses photos, sur les conditions de travail dans les mines à charbon de Jinhuagong par exemple, dans plus de dix pays. Pendant sa présentation publique, Samuel Bollendorff a souligné, qu’aujourd’hui le grand reportage photographique tel qu’il était diffusé par la presse écrite était dans une crise profonde. Les grands quotidiens refusent de prendre le risque de produire des webdocumentaires, tout en étant des consommateurs de plus en plus intéressés par ce format récent.

Dans son exposé à la Maison AK* il a pourtant bien précisé que dans le domaine de la production, associée à une diffusion sur le web, le chaînes de télévision avaient réagi plus rapidement à cette nouvelle proposition. Sur la forme, le webdocumentaire posait le problème de l’intégration du texte à l’image, que Bollendorff a résolu dans un système de défilement sur l’écran : simple mais efficace. De plus, ces formats interactifs donnent à l’internaute/lecteur la possibilité de conduire sa propre exploration. Ainsi, le Voyage au bout du charbon a été visionné par plus de 180 000 personnes, lesquelles, dans une attitude d’interaction, pouvaient choisir la suite des séquences image-son.

À la suite, le webdocumentaire s’est rapidement affirmé comme étant un format qui essaye de dépasser une certaine passivité du net : il n’y a plus seulement l’auteur et le photographe, puisqu’à ce duo s’ajoutent maintenant l’internaute, qui choisit une orientation dans sa navigation sur la page du webdocumentaire. Bollendorff sait bien cependant, que cette liberté de choix n’est qu’illusoire et que les auteurs – ou plutôt une équipe d’auteurs: photographes, preneurs de son, vidéastes mais aussi développeurs-web – sont bien là pour orienter les choix et clarifier l’arborescence du site et pour ainsi mieux formuler le message à faire passer. Avec Voyage au bout du charbon qui date donc de 2008 (une petite éternité dans le monde du web, mais toujours présent sur le site du Monde.fr) Samuel Bollendorff a ouvert un nouveau champ d’investigation sur les relations texte-image-son. Le net et la diffusion sur les plates-formes de webdocumentaires demandent de faire court sans toutefois être sommaire.

Samuel Bollendorff précise bien que ses webdocumentaires font en moyenne quinze minutes, et que le spectateur y en passe en moyenne dix, durée exceptionnelle sur le web où le clic est rapide et décisif sur l’intérêt porté à la chose diffusée. Bollendorff est reparti en Chine, pendant qu’au Luxembourg ces notions de partage, d’interactivité, de rapidité de visionnage et de diffusion sur le net semblent loin des préoccupations des créateurs audiovisuels locaux : ici, on discute toujours sur les statuts, par exemple de vidéos d’artiste (est ce que le Film Fund devrait les soutenir comme productions audiovisuelles à part entière ?). Entre-temps Samuel Bollendorff a sauté le pas, en ayant le courage d’une prise de risque, mais aussi en faisant preuve de talent. Cela pourrait motiver la scène locale à dépasser des schémas de création, de production et de diffusion pour le moins conventionnels au Luxembourg.

Les webdocumentaires de Samuel Bollendorff sont à explorer sur www.samuel-bollendorff.com. Son dernier webdoc À l’abri de rien est projeté dans le cadre de l’exposition Views à la Maison AK* à Bonnevoie ; informations sur le site Internet : www.artgentik.
Christian Mosar
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