Marian Turski s’est éteint mardi dernier. Ses enseignements perdureront après lui.
Il disait que pour comprendre l’Histoire, il faut avoir non seulement de l’imagination, mais surtout le savoir.
J’ai pu tourner The Living Witnesses avec ce grand homme. Au Luxembourg et à Auschwitz avec Claude Marx et des jeunes du Lycée technique du Centre. Il voulait aussi rencontrer Xavier Bettel, Premier ministre à l’époque, et Jean Asselborn, encore ministre des Affaires étrangères, qu’il trouvait courageux. Un autre monde, où se préparait pourtant déjà le nouveau bullshitisme et la haine des puissants envers ceux qu’ils voient comme des vers. Des hommes qui réaménagent les faits à leur guise, en ignorant le savoir et le respect de notre histoire commune.
Marian Turski savait que nous, assoupis dans notre confort d’occidentaux depuis 80 ans, étions entrés dans un nouveau cauchemar depuis le 20 janvier. Le cauchemar de ceux qui imposent leurs idées et leurs règles par la force la plus brutale. Il s’est éteint au moment, où le locataire de la Maison Blanche accuse Volodymyr Zelensky de l’invasion russe et de la guerre en Ukraine. C’est ainsi que s’installent les autocraties, dans la sidération totale face aux instrumentalisations et manipulations politiques. Comme si l’on prétendait que la Pologne avait provoquée l’invasion de l’armée allemande en 1939.
Marian Turski, né le 26 juin 1926 à Druskininkai (aujourd’hui en Lituanie, alors en Pologne), était un journaliste, historien et militant polonais-juif, survivant d’Auschwitz. Durant la Seconde Guerre mondiale, il fut enfermé dans le ghetto de Łódź, où il est devenu résistant et ensuite en 1944, à Auschwitz. Son père et son frère y ont été assassinés. Après avoir subi des conditions de vie des plus inhumaines jusqu’à la libération du camp en 1945, il a dû participer à deux marches de la mort des Nazis – d’abord vers Buchenwald, ensuite vers Theresienstadt.
Après la guerre, il a étudié l’histoire aux États-Unis, y a rencontré Martin Luther King, a participé aux marches de Selma et puis est devenu journaliste. Il est aussi devenu une figure influente de la communauté intellectuelle polonaise. Il a rejoint l’hebdomadaire Polityka en 1958, l’un des magazines les plus respectés de Pologne, où il occupait le poste de chef de la section historique.
C’est là que je l’ai rencontré la première fois, il avait 92 ans, impeccable, chemise blanche, beau et extrêmement exigeant. Il a raconté son parcours avec décence en posant des questions pour s’interroger sur l’importance de l’alliance transatlantique, celle de l’Union européenne – la paix durable. Son travail journalistique se distinguait par une analyse approfondie des évènements historiques et contemporains. Par ses ouvrages, il a aidé à la compréhension de la complexe histoire de l’Europe centrale.
À la fin de sa vie, il s’est consacré à la préservation de la mémoire de l’Holocauste et à l’éducation des jeunes sur les dangers de la haine et de l’intolérance. Il était membre actif du Conseil international d’Auschwitz et président honoraire du Conseil de Polin – musée de l’histoire des Juifs de l’Europe centrale, à Varsovie.
Le 27 janvier 2020, lors du 75e anniversaire de la libération d’Auschwitz, où j’accompagnais la délégation luxembourgeoise, Marian Turski a prononcé un discours inoubliable, mettant en garde contre l’indifférence et l’érosion progressive des droits humains. Il a formulé un onzième commandement : « Tu ne seras pas indifférent ! » et « Auschwitz n’est pas tombé du ciel ! »
Le 27 janvier dernier, affaibli, il savait qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps. Il a exhorté les représentants politiques démocrates et nous tous, de ne surtout pas rester silencieux.